La loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (ENR) pourrait-elle avoir des effets pervers dans la lutte contre l'artificialisation des terres alors que la France s'est fixée l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) ? Les points de vue sont à cet égard assez partagés sur ce texte qui a fait l'objet d'un compromis en commission mixte paritaire (CMP), le 24 janvier, et dont le parcours doit s'achever le 7 février au Sénat.
« Pour la première fois, nous donnons, en droit, une définition de l'agrivoltaïsme avec des conditions et un encadrement équilibrés et clairs. Le texte vient également encadrer l'installation de panneaux photovoltaïques sur le sol agricole, afin qu'aucune terre fertile ne soit sacrifiée et qu'aucune forêt ne soit inutilement coupée. En effet, nous favorisons l'accélération des énergies renouvelables dans les zones déjà artificialisées. », s'est félicitée la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, devant la représentation nationale.
« Agrivoltaïsme raisonné »
« L'accord avec le Sénat (…) permet de libérer le foncier nécessaire au développement des énergies renouvelables en mobilisant les domaines publics, mais aussi en ouvrant des dérogations – très encadrées – aux lois Littoral et Montagne, se félicite le député Henri Alfandari (Horizons), rapporteur de la CMP devant l'Assemblée.
« Le texte prévoit un cadre légal à la mesure des enjeux, qui permettra un développement d'un agrivoltaïsme raisonné, vertueux et respectueux de notre ruralité, se réjouit aussi la FNSEA, saluant « de nombreux garde-fous pour préserver la production agricole sur les terres concernées et empêcher à l'avenir tout développement de projets dits "alibis" ».
« Sur l'agrivoltaïsme, les apports de l'Assemblée ont été rayés d'un trait, puisque la définition que nous avions contribué à obtenir disparaît du texte, ouvrant les vannes à un détournement massif de la fonction nourricière des terres et à un mitage des forêts », déplore le député de la France insoumise, Maxime Laisney, lors de la lecture du texte de la CMP à l'Assemblée, le 31 janvier. Dire que les installations agrivoltaïques sont nécessaires à l'exploitation agricole, comme le fait la loi, est contestable en soi, ajoute un spécialiste du droit rural interrogé par Actu-Environnement. « Comment a-t-on fait depuis des siècles ? » interroge-t-il.
« Projets consommateurs de foncier »
Le syndicat Jeunes Agriculteurs (JA), bien que souvent considéré comme l'incubateur de la FNSEA, est également sur ses gardes. S'il se félicite que le texte « encadre enfin le photovoltaïque en agriculture », il alerte sur « de nouvelles brèches ouvertes, qui pourraient être utilisées pour développer des projets consommateurs de foncier ». L'organisation agricole se méfie en particulier de deux décrets d'application prévus par la loi. L'un doit définir la durée minimale au bout de laquelle un sol considéré comme inculte ou non exploité pourra accueillir un projet photovoltaïque, après l'identification des zones par arrêté préfectoral sur proposition de la chambre départementale d'agriculture. L'autre doit préciser les différentes déclinaisons de l'agrivoltaïsme.
« La possibilité de jouer avec ces deux curseurs est une nouvelle opportunité pour les appétits voraces de remettre en jeu la question des terres sur lesquelles installer des panneaux », alertent les JA, qui s'annoncent « intransigeants » dans la négociation de ces décrets.
« L'installation de méthaniseurs en zone agricole a été sécurisée juridiquement (…), tout en assurant un développement raisonné et raisonnable de cette source d'énergie », se félicite par ailleurs le député Henri Alfandari. En modifiant un article du code de l'urbanisme qui permet les constructions de bâtiments agricoles dans les zones théoriquement inconstructibles, la loi va permettre aux installations de production, et même de commercialisation, de biogaz et d'électricité de bénéficier de ce régime dérogatoire, craint au contraire le spécialiste du droit rural interrogé.
Observatoire de la biodiversité
Si la LPO avait fait part de ses doutes sur les dispositions relatives au photovoltaïque ainsi que sur l'octroi de l'intérêt public majeur aux projets étiquetés bas carbone, elle s'était en revanche félicitée que, globalement, les questions de biodiversité soient enfin prises en compte par le texte. « Un Observatoire des énergies renouvelables et de la biodiversité sera ainsi créé pour contribuer à l'amélioration des connaissances sur les impacts des ENR sur leur environnement et les moyens de les atténuer, même si son organisation et les ressources dont il disposera restent encore à préciser », se félicitait ainsi l'association de protection de la nature.
« La planification des zones d'accélération des EnR prévue par le texte devrait également permettre de mieux prendre en compte les avis des gestionnaires d'espaces protégés ainsi que les objectifs de reconquête de la biodiversité, qui n'étaient même pas cités dans le projet d'origine ! » ajoutait la LPO.
À l'issue de la CMP, la Chambre haute se réjouit du compromis trouvé sur la planification. « Introduit au Sénat, le dispositif global de planification territoriale du déploiement des énergies renouvelables à l'initiative des élus locaux a été conforté et renforcé à l'occasion de la CMP, se félicite le Palais du Luxembourg dans un communiqué. En particulier, les modalités de concertation territoriale ont été clarifiées et consolidées, au service d'un dispositif ascendant efficace et décentralisé permettant d'identifier des zones d'accélération ; la possibilité existante de réglementer l'implantation d'ENR a été étendue aux communes couvertes par une carte communale ou par un schéma de cohérence territoriale (Scot). »
Le député Jean-Louis Bricout (Liot) s'en réjouit. « Peut-être aurait-il fallu aller plus loin », réagit toutefois l'élu de l'Aisne qui décrit des paysages « ultra saturés » d'éoliennes dans son département. « Notre inquiétude la plus grande concerne l'entrée en vigueur de la planification, qui n'interviendra pas avant mai 2024. Autant dire que l'anarchie actuelle reste de mise. Il y a même un risque que les porteurs de projets n'accélèrent leur mise en œuvre avant que la loi n'empêche les moins souhaités d'entre eux », explique le député.