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La protection de la biodiversité dans la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables

La loi ENR vient simplifier un cadre administratif complexe pour les installations de production d'énergies renouvelables afin d'accélérer leur développement. Mais les enjeux de protection de la biodiversité sont-ils suffisamment pris en compte ?

DROIT  |  Commentaire  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°322
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°322
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La protection de la biodiversité dans la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables
Laurence Lanoy et Noé Mathivet
Avocats, Laurence Lanoy Avocats
   

La loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (ENR) intervient dans un contexte de crise énergétique et climatique avec pour objectif affiché de permettre à la France de rattraper son retard en matière de transition énergétique, par le biais d'un déploiement accéléré des installations de production d'ENR.

En effet, la guerre en Ukraine et la sous-performance historique du parc nucléaire français ont mis en évidence le sujet de la sécurité d'approvisionnement énergétique, l'un des volets de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La France, et plus largement les pays européens, ont donc réhaussé leurs ambitions climatiques, notamment par l'adoption de cette loi.

Celle-ci s'inscrit dans la continuité de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, laquelle fixe comme objectif majeur de la politique énergétique française d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six.

Parmi les objectifs de la PPE, l'article L. 100-4 du code de l'énergie dans sa rédaction actuelle prévoit de porter la part des ENR à 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et à 33 % au moins en 2030. À cette date, les ENR devront représenter au moins 40 % de la production d'électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10% de la consommation de gaz. Cependant, il faut en moyenne deux fois plus de temps à la France pour la construction d'un parc solaire ou éolien par rapport à ses partenaires européens, ce qui ne facilite pas l'atteinte de ces objectifs. Le droit actuel induit des procédures administratives longues et complexes ainsi qu'un délai très long lié à l'instruction des litiges par les juridictions compétentes.

Au niveau contentieux, de nombreuses simplifications ont été adoptées ces dernières années, comme la compétence en premier et dernier ressort (1) du Conseil d'État en cas de recours contre un projet de parc éolien en mer, la suppression du double degré de juridiction pour le contentieux relatif à l'éolien terrestre (2) , et des mesures concernant les autres sources d'ENR (3)  : méthanisation, photovoltaïque, géothermie …

Cependant, le constat posé est que ces modifications ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs fixés par la PPE et permettre d'accélérer la production d'ENR. La loi ENR a finalement été adoptée le 11 mars 2023 avec de nombreuses modifications majeures de notre droit pour permettre l'essor des ENR.

Les associations environnementales, lorsque le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres le 26 septembre 2022, avaient déjà alerté sur le fait que cette accélération des ENR ne devait pas s'effectuer au détriment des enjeux de protection de la biodiversité. L'ambition de ce texte est de lever tous les verrous qui retardent le déploiement des ENR mais il doit également répondre aux objectifs cruciaux de respect de la biodiversité, elle aussi indispensable pour lutter contre le dérèglement climatique.

La prise en compte de la biodiversité apparaît donc comme une condition essentielle de la réussite du déploiement des ENR. Les mesures d'accélération et de simplification de la loi du 10 mars 2023 prennent-elles suffisamment en considération les enjeux de protection de la biodiversité ? De nombreux dispositifs en faveur de la préservation de la biodiversité sont mis en place par la loi ENR du 10 mars 2023 et le déploiement des ENR en France pourra désormais s'effectuer sur la base de connaissances scientifiques précises des impacts sur l'environnement (I). Toutefois, l'on constate la prépondérance des objectifs de la PPE sur les enjeux de protection de la biodiversité (II).

I.-             La prise en compte des enjeux de protection de la biodiversité par la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production des ENR

L'accélération de la production des ENR participe à la lutte contre le changement climatique tout comme d'ailleurs la protection de la biodiversité (A) et la loi du 10 mars 2023 instaure en ce sens un certain nombre de mesures permettant de limiter l'impact environnemental des futurs projets sur la biodiversité (B).

1. Le déploiement des ENR et la protection de la biodiversité : deux solutions majeures pour lutter contre le changement climatique.

Les ENR proviennent de sources naturelles (soleil, vent, eau …) et permettent de produire de l'électricité en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) par l'utilisation de ressources naturelles durables. Ainsi le déploiement des ENR apparaît comme indispensable pour répondre à l'urgence climatique et les objectifs fixés par la PPE pour chaque type d'ENR sont cohérents avec le chemin nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

En effet, la combustion des ressources fossiles comme le pétrole, le charbon et le gaz, est une des principales causes du dérèglement climatique de par les grandes quantités de dioxyde de carbone (CO2) générées, et le CO2 est reconnu comme ayant un impact important sur le réchauffement du climat lorsqu'il est présent de manière trop abondante dans l'atmosphère.

Une utilisation limitée des énergies fossiles au bénéfice des ENR permet de réduire les émissions de CO2 liées aux activités humaines et donc de lutter contre le réchauffement climatique. Dans un contexte de crise climatique, il est donc légitime que le déploiement des ENR soit simplifié et accéléré, notamment par le biais de la nouvelle loi du 10 mars 2023.

Toutefois, la biodiversité est également une solution majeure pour lutter contre le dérèglement climatique : les écosystèmes participent à limiter le réchauffement du climat notamment en absorbant des émissions de GES, principalement par le sol et les océans. Ces derniers absorbent une importante quantité du CO2 que les activités humaines dégagent dans l'environnement et contribuent donc à atténuer le réchauffement de la planète.

Le déploiement des ENR et la préservation de la biodiversité affichent ainsi des objectifs similaires en matière de lutte contre la crise climatique et il apparaît important que l'accélération de la production des ENR ne s'effectue pas au détriment de la biodiversité. La loi du 10 mars 2023 prévoit en ce sens un certain nombre de mesures favorisant un déploiement accéléré des ENR tout en tenant compte des enjeux de protection de la biodiversité.

2. Les mesures de la loi du 10 mars 2023 permettant un déploiement accéléré des ENR tout en limitant l'impact environnemental des futurs projets

Le Titre 1er de la loi du 10 mars 2023 instaure des mesures de simplification et de planification territoriale afin de permettre un développement accéléré et cohérent des projets d'ENR. Tout d'abord, des zones d'accélération doivent être définies à l'initiative des communes et sous le contrôle d'un référent préfectoral, permettant d'accueillir de manière prioritaire et pour une durée de cinq ans des projets d'ENR terrestres.

La procédure de définition de ces zones d'accélération, d'une durée indicative de six mois, est détaillée à l'article L. 141-5-3 du code de l'énergie qui prévoit qu'elles doivent être « définies dans l'objectif de prévenir et de maîtriser les dangers ou les inconvénients qui résulteraient de l'implantation d'installations de production d'ENR » notamment eu égard à la protection de la nature et de l'environnement.

Par ailleurs, dans le cadre de cette planification territoriale peuvent être délimités des secteurs dans lesquels est soumise à conditions, voire exclue, l'implantation d'installations de production d'ENR, notamment en cas d'atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages.

Ainsi, la planification territoriale devrait permettre une meilleure prise en compte des avis des gestionnaires d'espaces protégés et des objectifs de reconquête de la biodiversité. Un observatoire des ENR et de la biodiversité doit être créé au plus tard un an après la promulgation de la loi, soit avant le 10 mars 2024, afin de contribuer à l'amélioration des connaissances des impacts des ENR sur leur environnement et les moyens de les atténuer.

Enfin, le nouvel article L. 111-33 du code de l'urbanisme prévoit une interdiction d'implanter des installations solaires dans les zones forestières lorsqu'elles nécessitent un défrichement soumis à évaluation environnementale systématique, mesure également favorable à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre le réchauffement climatique, en particulier eu égard aux capacités de stockage du CO2 par les forêts.

Plusieurs dispositifs en faveur d'une meilleure prise en compte des enjeux de protection de la biodiversité lors du développement d'installations de production d'ENR sont donc introduits par la loi du 10 mars 2023. Cependant, le texte instaure une simplification des procédures environnementales et se focalise en premier lieu sur les objectifs de la PPE, lesquels prévalent en définitive sur les enjeux de biodiversité.

II.- La prépondérance des objectifs de la PEE sur les enjeux de protection de la biodiversité

L'article L. 411-1 du code de l'environnement instaure, au titre de la protection du patrimoine naturel, un principe d'interdiction de toute destruction d'espèces animales ou végétales protégées auquel il peut être dérogé de manière exceptionnelle en réunissant trois conditions cumulatives (A). La loi du 10 mars 2023 facilite l'obtention de cette dérogation pour certains projets d'ENR et fait primer les objectifs de la PPE sur les enjeux de protection de la biodiversité (B).

1. Le principe d'interdiction d'atteinte aux espèces animales et végétales protégées en droit de l'environnement

L'interdiction d'atteinte aux espèces animales ou végétales protégées ainsi qu'à leurs habitats est instaurée par l'article 3 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Cette interdiction de perturbation ou d'atteinte s'applique aux espèces dont la conservation est justifiée au regard d'un intérêt scientifique particulier ou des nécessités de préservation du patrimoine biologique national. Ainsi, une espèce est dite protégée lorsqu'elle fait l'objet de mesures de conservation. Les annexes II, IV et V de la directive « Habitats » du 21 mai 1992 fixent la liste des espèces protégées sur l'ensemble du territoire européen.

Lorsque cette interdiction d'atteinte aux espèces protégées est instaurée, les possibilités de dérogation offertes sont réduites. Ainsi, en 1976, au moment de la grande loi relative à la protection de la nature, il n'est possible d'y déroger qu'à des fins scientifiques, en procédant à la capture ou au prélèvement d'espèces, par exemple dans le cadre d'inventaires nécessaires au suivi.

L'interdiction d'atteinte est ensuite transposée in extenso depuis la directive « Habitats » lors de l'adoption du code de l'environnement en 2000, à l'article L. 411-1 l. Celui-ci précise que l'interdiction ne vise pas uniquement les espèces animales et végétales protégées mais qu'il est également interdit de détruire, modifier ou dégrader les habitats naturels de ces espèces.

La consécration d'une dérogation à ce principe d'interdiction pour des raisons impératives d'intérêt public majeur (RIIPM) en 2006 (4) s'accompagne d'un durcissement contentieux autour de cette interdiction que le juge n'hésite désormais plus à faire respecter. L'intérêt public doit être tel qu'il permet de s'affranchir de l'exigence de préservation protégeant certaines espèces.

L'intensité du contrôle aujourd'hui exercé par le juge montre bien l'exigence stricte de préservation des espèces protégées et le caractère fondamental de la notion d'intérêt public majeur qui doit être pris en compte dès la conception des projets ayant un impact sur ces espèces. En instaurant une présomption d'intérêt public majeur pour certains projets d'ENR, la loi du 10 mars 2023 fait primer les objectifs de la PPE sur les enjeux de protection de la biodiversité (B.).

2. La présomption d'intérêt public majeur des projets ENR : l'atteinte des objectifs de la PPE peut-elle être préjudiciable aux enjeux de biodiversité ?

La loi du 10 mars 2023 introduit à l'article L. 211-2-1 du code de l'énergie une présomption d'existence de RIIPM pour les projets ENR, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d'énergie. Cette mesure devrait faciliter, pour certains projets, l'obtention d'une dérogation espèces protégées, à condition que les deux autres critères soient réunis : l'absence de solution alternative satisfaisante et le maintien de l'espèce concernée dans un bon état de conservation.

Les conditions pour obtenir cette présomption de RIIPM doivent être définies par décret et le texte indique que seront pris en compte le type d'ENR, la puissance des projets ainsi que la contribution aux objectifs nationaux. Cette mesure, qui reprend en grande partie celle inscrite dans un règlement européen du 22 décembre 2022, permet de hisser les ENR au rang de projets d'intérêt général pour le pays.

Ainsi, certains projets d'ENR pourront, par principe, remplir cette condition de RIIPM et donc être autorisés à détruire des espèces protégées, bien que cette obtention automatique devrait, au regard des critères de définition préliminaires pour l'obtenir, être réservée aux projets contribuant de façon significative à la transition énergétique. La mesure reste bien encadrée mais démontre toutefois que les objectifs de la PPE priment sur les enjeux de biodiversité, puisqu'il est désormais possible dans certains cas de déroger de manière automatique à un principe d'interdiction stricte et protecteur de la biodiversité.

Par ailleurs, est également introduit par la loi ENR, à l'article L. 311-10-5 du code de l'énergie, un fonds de garantie destiné à compenser une partie des pertes financières qui résulteraient, pour l'installation d'ENR, d'une annulation par le juge administratif d'une autorisation environnementale. Bien que cantonnée aux grands opérateurs, la facilitation du déploiement anticipé des projets comporte un risque pour les espèces protégées, en permettant à des travaux potentiellement nuisibles pour la biodiversité d'être effectués sans subir de perte financière en cas d'annulation de l'autorisation au terme du contentieux.

Enfin, s'agissant de la planification territoriale, les zones d'exclusion des ENR, notamment en cas d'incompatibilité avec la sauvegarde des espaces naturels, ne peuvent être délimitées que lorsque l'avis du comité régional de l'énergie a estimé que les zones d'accélération identifiées permettent d'atteindre les objectifs régionaux en matière d'ENR. Aucun secteur d'exclusion ne pourra être délimité avant que la cartographie permette l'atteinte des objectifs régionaux.

Pour conclure, les décrets d'application ainsi que la pratique de ces nouveaux dispositifs permettront d'apprécier plus précisément l'impact réel de l'accélération du déploiement des ENR sur les composants de la biodiversité. Les débats parlementaires ont permis la mise en place de mesures constructives permettant un développement accéléré des ENR, compromettant le moins possible l'environnement et la biodiversité, cette dernière faisant partie intégrante des moyens de lutte contre le réchauffement climatique.

Si certaines mesures peuvent potentiellement induire une primauté des objectifs de la PPE sur les enjeux de biodiversité, la loi ENR opère toutefois une réelle prise en compte des problématiques environnementales et de la biodiversité. Mais le développement des ENR, indispensable à la transition énergétique, n'est pas neutre en termes d'impacts environnementaux, notamment sur la biodiversité et les sols.

Cet équilibre, entre des objectifs qui peuvent apparaître parfois antinomiques, production accélérée des ENR et enjeux de protection de la biodiversité, doit être recherché lors de l'application des nouvelles dispositions de la loi ENR et lors de leur contrôle par le juge administratif.

1. CJA, art. L. 311-13 et R. 311-1-12. CJA, art. R. 311-53. CJA, art. R. 311-64. L. n° 2006-11, 5 janv. 2006 : JO 6 janv., art. 86 ; C. env., art. L. 411-2 (codification)

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