Cinq ans après le débat sur la transition énergétique et son premier scenario, les économistes de l'Ademe ont ressorti leurs calculettes. Les ateliers de révision de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ont débuté. L'Ademe compte bien alimenter les débats avec de nouvelles trajectoires et mesures. "Ce nouveau scénario n'est pas une vision normative ou prophétique, prévient Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'Ademe. C'est un scénario multi-énergie possible, ambitieux mais réaliste".
Ce scénario millésime 2017 intègre toutes les énergies comme le premier (chaleur, électricité, carburant, combustible) et tous les gaz à effet de serre (GES) y compris les émissions non énergétiques. Il prend en compte les différentes études de l'Ademe parues depuis le premier scénario, comme le mix 100% ENR ou les études sectorielles sur l'éolien ou le power to heat. Mais cette fois-ci, la méthodologie est un peu différente. Au lieu de partir des objectifs déjà écrits dans les textes de loi - comme une réduction de 75% des émissions de GES d'ici 2050 par rapport à 2005 fixée par la loi POPE de juillet 2013 - et d'en déduire les trajectoires à suivre, l'Ademe est partie des grandes tendances démographiques et socio-économiques et des mesures présentes dans les textes de loi pour voir où cela la mènerait. Résultat, la France ne sera pas dans les clous.
Prioriser la rénovation des logements sociaux
L'Ademe démontre une nouvelle fois l'enjeu que représente l'atteinte des objectifs de la loi et le risque d'échec. Selon son scénario, les besoins énergétiques du pays pourraient passer de 148 Mtep en 2010 à 105 Mtep (-29%) en 2035 et 82 Mtep (-45%) en 2050. Or, la loi de transition énergétique demande de réduire la consommation énergétique finale de 50% en 2050 par rapport à 2012.
Les secteurs du bâtiment (résidentiel et tertiaire) et des transports seraient les premières sources d'économies en début de période. L'industrie prendrait le relai entre 2035 et 2050. Pour la rénovation des bâtiments, l'Ademe estime que sur la période 2010-2030, 500.000 logements par an en moyenne, dont 120.000 logements sociaux, devront faire l'objet de rénovations thermiques performantes. Tout le parc de logement social construit avant 2005 serait rénové d'ici à 2030, ainsi que 5 millions de maisons individuelles. Le reste du parc privé (soit 15 millions de logements) sera rénové ensuite, à un rythme de 750.000 par an à partir de 2030.
Côté techno, l'Ademe mise sur les pompes à chaleur (PAC) notamment aérothermiques réversibles, pour le chauffage. Elles équiperont 20% du parc de logements en 2035 et 50% en 2050. Pour l'eau chaude sanitaire, les cumulus (chauffe-eau à effet joule) seront progressivement remplacés par des chauffe-eau thermodynamiques (CET).
Pour la mobilité, l'Ademe ambitionne "une évolution importante des comportements de mobilité, conjointe à une restructuration profonde des systèmes de transport de voyageurs". Dans son scénario, les besoins de mobilité des personnes se stabilisent, puis baissent de 17% en 2035 et de 24% en 2050. La fin des véhicules thermiques diesel et essence sera effective en 2050. Ne se vendront plus que des véhicules électriques (30%), des véhicules GNV (32%) et des véhicules hydrides rechargeables (38%).
L'éolien, le photovoltaïque et la biomasse aux premières loges
Pour répondre à ces besoins, l'Ademe estime que les énergies renouvelables pourraient fournir de 34 à 41% des consommations en 2035 et de 46 à 69% en 2050. Dans ses trois variantes (mix avec 50%, 80% ou 90% d'ENR), l'Ademe mise sur l'éolien, le photovoltaïque et la biomasse. Ces productions alimentent les différents réseaux énergétiques dont l'équilibre évolue progressivement au cours de la période. La quantité de biomasse exploitable durablement étant limitée, les énergies renouvelables électriques constituent le principal levier pour parvenir à des niveaux élevés de pénétration des EnR dans le mix énergétique. Dans tous les cas, l'objectif de réduire la part du nucléaire à 50% de l'approvisionnement électrique est respecté.
Pour les émissions de gaz à effet de serre, la France accuserait une baisse de 52% d'ici 2035 et 70 à 72% d'ici 2050. L'objectif de la LTE de réduire les émissions de gaz à effets de serre de 40% entre 1990 et 2030 et de les diviser par quatre entre 1990 et 2050 n'est ainsi pas tout à fait atteint. Pour se mettre sur une perspective de neutralité carbone comme le fixe le plan climat du Gouvernement présenté en juillet, il faut trouver d'autres mesures. "Il faut ouvrir le catalogue des solutions possibles", estime Fabrice Boissier.
De nouvelles mesures pour recadrer la stratégie bas-carbone
Et des idées l'Ademe n'en manque pas. En parallèle de la mise à jour de ces visions énergie-climat, l'Agence publie des propositions pour réaliser un scénario de neutralité carbone avec un point d'étape à 2030. Les instruments étudiés ont été de tous types (réglementaire, économique, fiscal, communicationnel) et de toute nature (incitative, coercitive, informative). Ces nouvelles mesures visent à combler l'écart entre le scénario prévu par la stratégie nationale bas-carbone (baptisé AMS2) et les mesures en vigueur et déjà prévues pour le réaliser. Pour l'instant, la réalité ne respecte pas la fiction. Selon l'Ademe, le scénario AMS2 a surestimé les réductions d'émissions de GES d'ici 2030. En 2030, la France émettra 23,9 millions de tonne de CO2 de plus que prévu.
Pour revenir sur le "droit chemin", l'Ademe propose 15 à 20 mesures nouvelles, ou existantes mais renforcées. Elle propose par exemple de mettre en place une obligation de rénovation des bâtiments résidentiels lors des mutations ou encore la mise en place de la RT2020 pour le tertiaire. En matière de transport, le développement des zones à circulation restreinte ou des péages urbains sont dans le package. L'Agence propose en outre une incitation fiscale pour les ENR dans les réseaux de chaleur, un dispositif fiscal en faveur des économies d'énergie dans l'industrie ou encore un soutien à l'agroforesterie...
Avec ces études, l'Ademe va plus loin qu'un simple rôle d'appui à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) qui organise les travaux sur les prochaines SNBC et PPE. Elle espère donner des billes pour faire évoluer les scénario officiels et en déduire des budgets carbone cohérents pour chaque secteur. Comme elle l'a fait en 2012, l'Agence prévoit de chiffrer économiquement ces propositions et ces scénario d'ici quelques mois.