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De l'usage des lois de validation contre l'environnement et les territoires

Christian et Benjamin Huglo critiquent l'inconstitutionnalité de la proposition de loi visant à régulariser, sans mise en compatibilité, le PLUi de la Communauté de communes du Bas-Chablais, pour intégrer le projet de liaison Machilly-Thonon (LMT).

DROIT  |  Tribune  |  Aménagement  |  
Droit de l'Environnement N°319
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°319
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De l'usage des lois de validation contre l'environnement et les territoires
Christian et Benjamin Huglo
Respectivement docteur en droit et avocat à la Cour et docteur en droit
   

Vous avez oublié d'intégrer au sein de votre plan local d'urbanisme (PLU) un projet structurant pour votre territoire ? Vous considérez que la prise en compte des atteintes à l'environnement sur votre territoire est une perte de temps ? N'attendez plus : sollicitez un sénateur afin qu'il dépose une proposition de loi de validation.

C'est ce qu'a fait le président de Thonon Agglomération en sollicitant les sénateurs Noël et Pellevat quant au dépôt de la proposition de loi n° 28  (1) visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas-Chablais.

Dans l'exposé des motifs, les sénateurs Pellevat et Noël indiquent que : « Le PLUi du Bas-Chablais, approuvé quelques semaines après la déclaration d'utilité publique du projet LMT [liaison Machilly-Thonon], est incohérent avec la mise en compatibilité opérée par la DUP. Devenu exécutoire, ce document d'urbanisme entrave la réalisation du projet LMT. Cette situation ne résulte pas d'une intention de la collectivité concernée mais plutôt d'un contexte procédural complexe lié à une évolution du PLUi concomitante à une évolution du périmètre de la collectivité, le tout sur la même période que la DUP. Cette conjonction d'événements n'a pas permis de relever l'incompatibilité. Engager la régularisation via une procédure de révision du PLUi retarderait toutefois artificiellement la conclusion du contrat de concession, ainsi que la réalisation du projet, sans aucun bénéfice pour le territoire ».

Non seulement la présentation des faits est fallacieuse (I) mais une telle proposition de loi de validation apparaît en l'espèce inconstitutionnelle (III), nonobstant le fait qu'elle intervienne de surcroît dans la sphère de compétence du pouvoir règlementaire (II).

I.            Une présentation des faits trompeuse

Contrairement à la présentation des faits qui résulte de l'exposé des motifs, la difficulté rencontrée est en totalité imputable aux élus de Thonon Agglomération.

Le décret du 24 décembre 2019 déclarant d'utilité publique les travaux de l'A412 prévoyait la mise en compatibilité des documents d'urbanisme des communes suivantes : Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains. Or, sur ces dix communes, huit avaient transféré leur compétence PLU à Thonon Agglomération (Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel).

Cet établissement public de coopération intercommunale (EPCI) était en train d'élaborer le PLUi (PLUi du Bas-Chablais) au moment où le décret a été adopté. Toutefois, alors même que la mise en compatibilité des PLU des six communes concernées par la liaison autoroutière avait été présentée dès 2018 dans le dossier de demande de DUP de cette liaison, le PLUi n'a pris aucun compte de la réalisation de l'A412 alors qu'il lui aurait été loisible de le faire.

On relèvera que, bien avant son adoption, la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) soulignait dans son avis délibéré du 29 octobre 2019 l'absence de prise en compte de l'A412, ce notamment s'agissant de la consommation d'espaces. Thonon Agglomération n'en a tenu aucun compte et le PLUi du Bas-Chablais a été approuvé le 25 février 2020. Il est en vigueur depuis le 13 mars 2020. Consciente de son erreur, Thonon Agglomération a fini par comprendre qu'il était nécessaire de mettre en conformité son PLUi afin, tout simplement, de permettre la réalisation des travaux autoroutiers. C'est la raison pour laquelle elle a mis en place une procédure de modification simplifiée de son PLUi dès le 5 octobre 2020 et qu'elle a saisi la MRAe Auvergne-Rhône-Alpes d'une demande d'examen au cas par cas de son projet. Par décision du 5 octobre 2021, la MRAe a décidé de soumettre la procédure de modification simplifiée à une évaluation environnementale.

Pour tenter d'échapper à cette procédure, Thonon Agglomération a formé un recours gracieux devant la MRAe qui, par décision du 21 décembre 2021 (2) , a rejeté ce recours. Thonon Agglomération entendait se prévaloir du fait « que le projet de modification du PLUi ne vise qu'à prendre acte d'une DUP prononcée en décembre 2019 par l'État, et qu'à ce titre, elle n'a pas vocation à revenir sur l'impact de ce projet, ceci ayant fait l'objet d'une évaluation spécifique dans le cadre de ladite DUP ».

La MRAe rejette assez sèchement cette argumentation en considérant que « l'évaluation environnementale produite en 2019 dans le cadre de l'élaboration du PLUi n'a pas porté sur l'inscription de ce fuseau autoroutier au PLUi, ne mentionnait ni ces mises en compatibilité ni leurs évaluations environnementales, fournies à l'occasion de la demande de DUP, et n'en restituait a priori pas le contenu » et que « le dossier fourni à l'appui de la demande d'examen au cas par cas de la modification simplifiée du PLUi et celui fourni à l'appui du recours ne restituent pas davantage les analyses de ces mises en compatibilité et en particulier ni l'évaluation de leurs incidences, ni les mesures prises pour les éviter, les réduire et si besoin les compenser ».

Alors qu'il était loisible à Thonon Agglomération de réaliser une évaluation environnementale dès la fin de 2021, elle a préféré, par arrêté du 9 août 2022, purement et simplement renoncer à la mise en compatibilité du PLUi avec la DUP du 24 décembre 2019.

La réalité est donc bien éloignée de la présentation fausse qui en a été faite dans la présentation des motifs de la proposition de loi.

II.           Une immixtion dans la sphère de compétence du pouvoir réglementaire

Une telle proposition de loi est tout d'abord contraire à la répartition des compétences telle qu'elle résulte de la Constitution, dès lors que le législateur entend tout simplement modifier le champ d'application d'un décret. Or, l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne confie au législateur qu'une compétence législative énumérée qui ne lui permet pas, en principe, de s'immiscer dans la sphère de compétence du pouvoir réglementaire telle qu'elle résulte de l'article 20 de la Constitution.

Il s'agit d'un cas typique d'incompétence positive du législateur.

Certes, la jurisprudence traditionnelle (3) du Conseil constitutionnel retient que la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé à la loi, reconnaître à l'autorité réglementaire un domaine propre et conférer au Gouvernement, par la mise en œuvre des procédures spécifiques des articles 37 et 41 de la Constitution, le pouvoir d'en assurer la protection contre d'éventuels empiétements de la loi.

Il suit de là que le Gouvernement devrait normalement opposer l'irrecevabilité de la proposition de loi par application de l'article 41 de la Constitution.

Mais il y a plus grave.

Cette immixtion du législateur dans la sphère du pouvoir réglementaire ne fait, en réalité, que révéler la volonté de s'affranchir ouvertement des règles du droit public.

Aussi, pour justifier la proposition de loi, la rapporteure du projet, la sénatrice Berthet, indique avoir exploré plusieurs pistes dont celle consistant à : « prendre un nouveau décret portant DUP et mise en compatibilité, visant cette fois-ci le PLUi en vigueur, solution impossible au vu de la jurisprudence du Conseil d'État, qui le regarderait comme un détournement de procédure » (nous soulignons).

On ne peut qu'être choqué par le fait que le législateur considère de facto qu'il n'y ait aucune difficulté à cautionner par la loi ce qu'il qualifie lui-même de « détournement de procédure » pour le pouvoir réglementaire.

III.         Sur l'inconstitutionnalité de la proposition de loi

Pour justifier la proposition de loi, la rapporteure avance, en premier lieu, que « la mesure proposée ne contourne pas des décisions déjà prises ou des compétences légitimes mais apporte une solution ». Cette affirmation est démentie dans les faits, dès lors qu'il résulte de la décision précitée de la MRAe du 21 décembre 2021 que la loi de validation a précisément pour objet de contourner sa décision soumettant l'intégration du projet d'A412 au sein du PLUi du Bas-Chablais à évaluation environnementale. Elle n'apporte donc aucune solution à un problème juridique qui a été, rappelons-le, créé de toutes pièces par l'imprudence des élus de Thonon Agglomération.

En deuxième lieu, quant à l'absence d'alternative satisfaisante, la rapporteure énumère trois possibilités, à savoir un décret modificatif (v. supra), mettre en place une procédure de modification ou attendre l'adoption du nouveau PLUi pour 2026. Elle indique que ces « trois options impliquent des délais disproportionnés, or, ces délais sont un élément central du projet de liaison d'infrastructure ». Il convient d'indiquer, de prime abord, que le premier responsable de la situation est Thonon Agglomération, qui a renoncé en 2021 à la modification du PLUi visant à intégrer le projet de l'A412, faute pour celui-ci de vouloir mettre en place la procédure d'évaluation environnementale. Deux ans de perdus : le PLUi modifié aurait pu voir le jour au plus tard en 2024 (à suivre le calendrier de la rapporteure). On rappellera qu'à ce jour, aucun concessionnaire n'a été retenu et donc, par la même occasion, aucun tracé. Il devrait être connu d'ici la fin de l'année civile.

On ne peut que se demander où est l'urgence.

Plus grave encore : l'urgence n'est pas en soi un motif d'intérêt général justifiant l'adoption d'une loi de validation. Saisi d'une loi de validation de l'ensemble des actes devant permettre la réalisation des travaux, ouvrages et aménagements relatifs à l'extension des lignes de tramway de la communauté urbaine de Strasbourg, le Conseil constitutionnel a considéré (4) que l'intérêt général lié à l'extension rapide de lignes de tramway n'était « pas suffisant pour justifier l'atteinte portée au principe de la séparation des pouvoirs et au droit au recours juridictionnel effectif (...), atteinte d'autant plus importante que la mesure contestée porte sur l'ensemble des lignes de tramway ayant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique en 2004 » et ne justifiait « pas davantage l'atteinte portée au droit de propriété (...) lequel exige, avant toute expropriation, que la nécessité publique fondant la privation de propriété ait été légalement constatée ».

À l'inverse, on rappellera que la protection de l'environnement est un objectif à valeur constitutionnelle (5) , et que les garanties qui s'attachent à l'évaluation des effets d'un projet sur l'environnement découlent notamment de l'annexe II de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certaines plans et programmes sur l'environnement.

En l'espèce, il résulte de ce qui a été dit que non seulement il n'existe aucune véritable urgence qui justifie le dépôt d'une loi de validation, mais qu'à supposer qu'un tel motif existât, il ne saurait fonder une loi de validation au regard de la jurisprudence constitutionnelle. En effet : le caractère attentatoire à la séparation des pouvoirs d'une telle mesure impose, comme le rappelle pourtant la rapporteure de la proposition de loi, que « les démarches telles que celles qui président à la proposition de loi, bien que tout à fait compréhensibles, ne peuvent se multiplier ». Tout à l'inverse, la présente proposition de loi n'aboutit qu'à permettre à l'autorité administrative de s'affranchir des procédures d'évaluation environnementale pour de pures considérations de commodité.

En troisième et dernier lieu, la rapporteure souligne que le projet en cause est « d'intérêt général incontestable » et qu'il ferait l'objet d'une très large adhésion. Outre le fait que l'argument apparaît parfaitement inopérant s'agissant de l'adoption d'une loi de validation qui n'a pas pour objet de déclarer le projet d'A412 d'utilité publique, cet argument est, à nouveau, démenti dans les faits par les services de l'État.

Il résulte ainsi de l'avis du Conseil d'orientation des infrastructures figurant à l'annexe de son rapport : « Le projet d'intérêt local n'a pas de caractère prioritaire pour le système de transport national et l'État n'a pas de raison particulière de davantage le soutenir que d'autres projets locaux. Il recommande de modifier la législation pour permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de concéder des projets d'infrastructures à l'instar de ce qu'elles peuvent d'ores et déjà faire pour des ouvrages. L'État a décidé depuis 2010 qu'il ne subventionnerait pas le projet, qui repose sur une concession. Il est estimé à 213 M€ dont 115 M€ de subvention d'équilibre publique, qui serait apportée en totalité par le Département de Haute-Savoie. La DUP a été prononcée en 2019. Des recours fondés notamment sur la concurrence apportée par ce projet au Léman-Express ont été repoussés, mais le projet reste l'objet de fortes contestations en France comme en Suisse. La procédure d'appel d'offres de concession a été engagée par les services de l'État en 2021 afin de désigner en 2023 le futur concessionnaire de l'infrastructure. L'impact environnemental est très élevé, compte tenu d'une artificialisation forte et de nombreuses zones humides et de réservoirs de biodiversités affectés (…) ».

Il apparaît que le projet actuel n'est que la reconstitution du projet d'A400 annulé par le célèbre arrêt d'assemblée (6) "Autoroute Transchablaisienne" à raison de son coût excessif.

Nonobstant le rejet par le Conseil d'État de la requête des associations et de la Ville de Genève à l'encontre du décret du 24 décembre 2019, les expertises démontrent aujourd'hui que le coût du projet a été sous-évalué de plus de 30 % et le développement considérable du Léman Express qui a atteint en un an et demi les objectifs de fréquentation prévus pour dans quatre ans montrent que ce projet est totalement dépassé. Le caractère « incontestable » de l'utilité publique du projet est évidemment tout à fait contestable.

Finalement, on comprend mal l'intervention du législateur, si ce n'est de permettre à une collectivité de déroger aux obligations constitutionnelles et européennes de protection de l'environnement à l'heure où l'impératif climatique n'a jamais été aussi fort. On peut parier qu'une telle initiative ne pourra que réjouir tous ceux qui souhaitent échapper à la procédure d'évaluation environnementale et ouvrir ainsi la porte à tous les abus.

À qui le tour ?

1. Proposition de loi Sénat, n° 28, 5 oct. 2022, visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais2. Déc. MRAe Auvergne-Rhône-Alpes n° 2021-ARA-2489, 21 déc. 2021, sur le recours contre la décision de soumission à évaluation environnementale de la modification simplifiée n°1 du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) du Bas-Chablais (74)3. Cons. const., 30 juill. 1982, n° 82-143 DC ; Cons. const., 20 juill. 1983, n° 83-162 DC ; Cons. const., 19 janv. 1984, n° 83-167 DC ; Cons. const., 27 juill. 2000, n° 2000-433 DC ; Cons. const., 15 mars 2012, n° 2012-649 DC4. Cons. const., 13 janv. 2005, n° 2004-509 DC, sur la loi de programmation pour la cohésion sociale5. Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-823 QPC6. CE, ass., 28 mars 1997, n° 170856 & 170857, Association contre le projet de l'autoroute Transchablaisienne : Lebon ; RFDA 1997, p. 740, concl. Denis-Linton et note Rouvillois

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