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L'incendie de Lubrizol : transparence ou enfumage ?

À l'heure où l'État installe un comité de transparence, les interrogations s'amoncellent sur la gestion des autorisations administratives de l'usine Lubrizol. Gabriel Ullmann en est convaincu : les défaillances sont nombreuses.

Publié le 16/10/2019

La catastrophe de l'incendie de Lubrizol à Rouen révèle les défaillances de la surveillance du site, comme de l'instruction des dossiers par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de Normandie, chargée notamment de l'inspection des installations classées. Elle illustre aussi parfaitement les conséquences néfastes de la déréglementation continue.

Des augmentations de capacité de produits dangereux sans évaluation environnementale

Lubrizol a présenté deux demandes successives d'augmentation importante des quantités de substances dangereuses le 15 janvier et le 19 juin 2019. Conformément à la loi Essoc, c'est le préfet qui s'est prononcé sur ces demandes et non l'autorité environnementale indépendante1. Dans les deux cas, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu à évaluation environnementale (dont une étude de dangers), au motif, notamment, que l'établissement relève déjà du seuil haut de la directive Seveso et que les augmentations de capacités ne conduisaient pas à de nouveaux franchissements de seuils de la directive Seveso, qui auraient donné lieu à une nouvelle autorisation. Pourtant, le cumul des capacités des deux augmentations successives visées par les demandes de l'exploitant conduit à des quantités bien supérieures au seuil haut.

Si le préfet a finalement pris un arrêté le 24 juillet pour « mettre à niveau les dispositions applicables (...) en matière de prévention des risques technologiques », cela ne concernait nullement l'ensemble du site, alors que son étude de dangers datait de dix ans, mais seulement le nouveau stockage de produits classés en ISO containers. On est très loin d'une nouvelle étude de dangers globale du site, malgré les déclarations contraires des autorités.

Lors de sa conférence de presse du 1er octobre, le préfet a précisé : « Le premier arrêté portait sur la réorganisation de stockage du site, et non sur une augmentation de quantité de substances dangereuses2 ». Cela est particulièrement inexact, comme le démontrent les renseignements fournis par l'exploitant au préfet dans le formulaire CERFA d'examen au cas par cas : « Augmentation de capacités des rubriques 1436, 4140, 4510 et 4511 pour un total de près de 4 000 tonnes ». Concernant les 1 600 t de la rubrique 1436, l'exploitant précise qu'une « augmentation notable du nombre de recettes, ainsi qu'une augmentation du stock » conduit ainsi à « 1598 t supplémentaires dans cette rubrique. ». Non seulement il s'agit bien d'augmentations mais, de surcroît, portant sur des substances inflammables pour lesquelles la rubrique prévoit une autorisation pour une quantité supérieure ou égale à 1 000 t (soit étude de dangers, étude d'impact, évaluation par l'autorité environnementale et enquête publique).

 

Contrairement aux exigences légales, l'étude de dangers du site Lubrizol n'a pas été revue

La dispense de toute étude évaluation environnementale par le préfet, pour de telles augmentations et de tels produits, est d'autant plus préjudiciable et rend bien compte du contexte administratif, que l'article R. 515-98 du code de l'environnement exige que l'étude de dangers fasse « l'objet d'un réexamen au moins tous les cinq ans et d'une mise à jour si nécessaire ». Cette mise à jour est même obligatoire « avant la mise en service d'une nouvelle installation (cas de la seconde dispense), et avant la mise en œuvre de changements notables3 (cas de la première dispense) ».

L'avis ministériel du 8 février 2017 a même été pris pour le « réexamen quinquennal des études de dangers des installations classées pour la protection de l'environnement de statut Seveso seuil haut ». Il souligne l'importance de ce réexamen : « Il est attendu de l'exploitant qu'il réalise, sous sa responsabilité, un bilan global relatif à ses installations, afin de déterminer la nécessité éventuelle de réviser l'étude des dangers et/ou de prendre des mesures complémentaires de maîtrise des risques. ». Apparemment rien de tout cela n'a été respecté.

La politique de prévention des accidents majeurs du site Lubrizol n'a pas été mise à jour

Conformément à l'article L. 515-33, l'exploitant doit élaborer un document définissant sa politique de prévention des accidents majeurs, conçue pour assurer un niveau élevé de protection de la santé publique et de l'environnement. Elle inclut les objectifs globaux et les principes d'action de l'exploitant, le rôle et l'organisation des responsables au sein de la direction, ainsi que l'engagement d'améliorer en permanence la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs. L'article R. 515-87 demande que cette politique de prévention soit réexaminée au moins tous les cinq ans ou réexaminée et mise à jour « avant la mise en service d'une nouvelle installation, et avant la mise en œuvre de changements notables ».

Face à tous ces manques, il est probable que si l'examen au cas par cas avait été réalisé par l'autorité environnementale, et non par le préfet, une étude de dangers de l'ensemble du site aurait été demandée à l'occasion de ces projets.

L'implantation d'un fumoir à l'air libre, à proximité immédiate de stockages de produits inflammables

En termes de « niveau élevé de protection de la santé publique et de l'environnement » et d'engagement « d'améliorer en permanence la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs », l'implantation en 2017 d'un tel fumoir à l'air libre, avec les risques liés à des envols de tabac allumé, à cet endroit, en violation des règles strictes du code de la santé publique et du code du travail, dans un site Seveso seuil haut, en agglomération, et ayant fait l'objet de plusieurs incidents dans un passé récent, témoigne au contraire d'un manque de culture du risque. La DREAL qui a donné un avis favorable et qui n'a rien trouvé à redire sur place, lors de ses visites (site « très surveillé » selon elle), n'échappe pas à cette analyse.

Malgré tous ces manques, mutuels il est vrai, pour le directeur de la DREAL « Lubrizol est une maison sérieuse qui ne fait pas n'importe quoi avec la réglementation4 ». Et ce n'est pas tout.

L'incendie de SCMT (Normandie Logistique) et ses suites sont révélateurs d'un grave dysfonctionnement général

Les entrepôts de SCMT jouxtent de très près le site de Lubrizol. Cette situation en présence d'un établissement Seveso seuil haut, déjà peu commune, exigeait une gestion appropriée. Il entrait dans les obligations tant de l'industriel que de l'administration de tutelle de tout mettre en œuvre pour prévenir tout « effet domino » (réaction en chaîne) d'un incendie en provenance de l'un ou l'autre site. Rappelons à cet égard que l'article L. 181-25 prescrit que l'exploitant d'un site soumis à autorisation fournit une étude de dangers qui précise les risques auxquels l'installation peut exposer, directement ou indirectement, l'environnement et sa population, en cas d'accident, que la cause soit interne ou externe à l'installation.

Il revenait donc à Lubrizol d'intégrer dans ses études et dans les mesures prises, la présence de SCMT et de ses produits, et cela d'autant plus que le logisticien stockait… des milliers de tonnes de produits de Lubrizol !

Mais il revenait aussi à l'administration de tutelle, qui, selon elle, surveillait de près Lubrizol, d'imposer les mesures adaptées à cette circonstance aggravante tant à l'égard de cette dernière qu'à l'égard de Normandie Logistique. Ceci devait être fait notamment par le biais du plan de prévention des risques technologiques (PPRT), adopté en 2014, qui peut « prescrire des mesures de protection des populations contre les risques encourus, relatives à l'aménagement, l'utilisation ou l'exploitation des constructions, des ouvrages, des installations et des voies de communication existant à la date d'approbation du plan, qui doivent être prises par les propriétaires, exploitants et utilisateurs dans les délais que le plan détermine » (article L. 515-16-2). Le PPRT ne prévoit rien de particulier à cet égard, alors qu'il retient de nombreuses expositions aux risques pour Normandie Logistique de la part de Lubrizol. Mais l'inverse, apparemment non étudié, était également vrai. D'ailleurs, chacun s'accuse mutuellement d'être à l'origine de l'incendie.

Avis d'expert proposé par Gabriel Ullmann, docteur-ingénieur chimiste, docteur en droit, expert auprès des tribunaux pour les pollutions et les nuisances, ancien membre du Conseil supérieur des installations classées

1 La loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de « confiance » (Essoc), a donné cette compétence au préfet, et non plus à l'autorité environnementale, lorsque le projet (installation classée et loi sur l'eau) consiste en une modification des installations, et non une création. Une compétence que le Gouvernement va étendre, via la loi énergie-climat, à tous les examens au cas par cas des projets (création et modification, et bien au-delà des seules installations classées) : soit environ 80 % des projets concernés par la procédure d'évaluation des incidences environnementales.
2 Amiante, extension de Lubrizol, odeurs… Le préfet répond aux attaques après la catastrophe, 76Actu, 1er octobre 2019
3 Même disposition. L'article 7 de l'arrêté ministériel du 26 mai 2014 relatif à la prévention des accidents majeurs dans les établissements Seveso précise même les attendus du contenu de l'étude de dangers et les principaux éléments de l'analyse de risque.
4 Amiante, extension de Lubrizol, odeurs… Le préfet répond aux attaques après la catastrophe, 76Actu, 1er octobre 2019

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2 Commentaires

Pégase

Le 17/10/2019 à 13h49

Dans ce sinistre, les responsabilités administratives et pénales de toute la chaîne d'instruction du dossier d'autorisation doivent être recherchées et leurs défaillances sanctionnées.
Gageons que ce seront très probablement une nouvelle fois les associations de défense de l'environnement, de riverains et peut-être aussi de consommateurs qui devront s'atteler à saisir la justice, l'administration étant rarement encline à s'auto critiquer.

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AdjtUAF

Le 17/10/2019 à 14h13

C'est ce qu'on appelle un réquisitoire....
Mais il est peu probable que l'Etat et ses serviteurs aient à rendre des comptes devant la justice...

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