"Tous les produits ne sont pas dangereux. La dangerosité dépend de la quantité présente, du devenir des molécules après avoir brûlé et de la manière dont on est exposé (contact cutané, inhalation, ingestion)", veut rassurer la préfecture de Seine-Martime. Cette dernière a publié le 1er octobre au soir la liste des produits qui ont brûlé les 26 et 27 septembre lors de l'accident de l'usine Lubrizol classée "Seveso seuil haut".
Les informations contenues dans cette liste sont loin d'être aussi rassurantes que les messages lénifiants diffusés par les pouvoirs publics, même si l'analyse complète des données va demander un peu de temps.
Plus de 5 000 tonnes de produits
La préfecture a publié le tableau, annoncé comme "exhaustif", des substances impliquées dans l'incendie, tel que communiqué par Lubrizol. Selon ces données, pas moins de 5 262 tonnes de produits dangereux sont partis en fumée. Les informations publiées permettent de savoir où se trouvaient ces produits lors du sinistre. Ils étaient situés principalement dans le bâtiment A5 qui abritait les unités de conditionnement et d'enfûtage et dans le bâtiment A4 qui stockait des produits conditionnés. D'autres lieux apparaissent également sur la liste comme ceux de la société SCMT voisine, qui figure dans le périmètre couvert par le plan de prévention des risques technologiques (PPRT).
Les informations publiées permettent également de connaître les mentions de danger et les conseils de prudence associés à chaque substance ou mélange. Ces mentions sont définies par le règlement européen relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, dit "règlement CLP". "Il est confirmé à travers [ces] mentions (…) que des substances corrosives, irritantes, nocives, cancérogènes, narcotiques, très dangereuses pour l'environnement aquatique ont été dispersées sur les sols de l'usine, les voiries urbaines, la Seine et dans l'atmosphère", analyse l'association Robin des bois, dont l'expertise sur les produits dangereux est reconnue.
La préfecture a également publié les 479 fiches de données de sécurité (FDS) des substances et mélanges que Lubrizol met en œuvre dans son établissement. "Pour avoir une vision précise de la situation, il faudra dépouiller plus de 470 fiches de sécurité et cela prendra du temps", prévient l'association Générations futures, qui salue la publication de ces informations.
Informations inquiétantes
Les informations contenues dans un deuxième tableau, qui liste les dix produits présents dans l'entrepôt A5 dans les plus grandes quantités, permettent toutefois d'avoir des informations plus précises. Des informations qui se révèlent inquiétantes puisque les sept premiers produits de cette liste portent tous la mention de danger H304 "Peut être mortel en cas d'ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires".
Les trois produits présents dans les plus grandes quantités (129, 127 et 117 tonnes) contiennent des distillats de pétrole qui sont classés cancérogènes comme le rappelle l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) sur son site. Mais les dangers présentés par les produits listés ne s'arrêtent pas là puisque plusieurs d'entre eux portent les mentions "Très toxiques pour les organismes aquatiques", "Provoque des lésions oculaires graves" ou encore "Provoque une irritation cutanée".
"Cet inventaire partiel ne concerne que les produits finis et conditionnés en fûts, fait en outre remarquer Robin des bois. Manquent les matières intermédiaires, les déchets de production et les déchets consécutifs à la destruction de certaines installations fixes ou mobiles".
Évaluer la dangerosité des produits de combustion
L'exposition directe au produit à laquelle peuvent être confrontés les opérateurs les manipulant n'est certes pas la même que celles résultant d'une exposition aux substances en mélange après combustion dans un panache de fumée. Ces informations restent toutefois préoccupantes pour l'environnement, les personnels de secours et la population exposée, d'autant que celle-ci n'était pas dotée d'équipements de protection individuelle (EPI) lors du sinistre comme peuvent l'être les opérateurs confrontés à ces produits dans les usines chimiques.
"Il faut (…) qu'au vu des compositions individuelles des molécules déclarées, une évaluation de la nature et de la dangerosité des produits de combustion possiblement émis par ce mélange puisse être réalisée", réclame François Veillerette, directeur de Générations futures. "Nous demandons qu'un suivi épidémiologique de la population soit mis en place car il nous semble indispensable de vérifier dans les années à venir si des pathologies chroniques surviennent ou non plus fréquemment dans la population exposée aux fumées et suies de Lubrizol", ajoute le représentant de l'ONG.
