La loi Climat et résilience, promulguée le 22 août 2021, a fixé l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme de consommation d'espaces d'ici à 2031. Malgré les critiques formulées par certains représentants de collectivités territoriales et un avis défavorable du Conseil national d'évaluation des normes, le gouvernement a publié, le 30 avril, deux décrets d'application en vue de mettre en œuvre ces objectifs. Soumis à la consultation du public en même temps, le projet de décret relatif au rapport local de suivi de l'artificialisation des sols n'a, en revanche, pas encore été publié.
Par un communiqué assez vif, la commission des affaires économiques du Sénat avait dénoncé, le 14 mars dernier, des projets de décrets qui « constituent une négation délibérée de l'intention du législateur », tandis qu'Intercommunalités de France réclamait, le 4 avril, davantage de souplesse au ministre de la Cohésion des territoires, Joël Giraud.
Nomenclature de l'artificialisation
Un premier décret, qui entre immédiatement en vigueur, précise la définition de l'artificialisation des sols et crée une nomenclature des surfaces artificialisées et non artificialisées. Selon l'article L. 101-2-1 du Code de l'urbanisme, introduit par la loi Climat et résilience, l'artificialisation est « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ».
Le décret précise que les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols fixés dans les documents de planification et d'urbanisme concernent seulement les surfaces terrestres. « La réduction de l'artificialisation nette est évaluée au regard du solde entre les surfaces nouvellement artificialisées et les surfaces désartificialisées sur le périmètre du document de planification ou d'urbanisme, et sur une période donnée », précise le gouvernement. La loi avait défini la désartificialisation par « des actions ou des opérations de restauration ou d'amélioration de la fonctionnalité d'un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé ».
Afin de mesurer ce solde, le décret fixe une nomenclature des surfaces artificialisées et non artificialisées. « Le classement est effectué selon l'occupation effective du sol observée, et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d'urbanisme », précise le décret. L'occupation effective est appréciée en fonction de seuils de référence qui seront définis par arrêté ministériel et qui pourront être révisés en fonction de « l'évolution des standards du Conseil national de l'information géographique ».
Cette nomenclature ne concerne toutefois que l'objectif ZAN à horizon 2050 et non l'objectif intermédiaire de réduction du rythme de consommation d'espaces d'ici à 2031. « Cette nomenclature n'a pas non plus vocation à s'appliquer au niveau d'un projet, pour lequel l'artificialisation induite est appréciée au regard de l'altération durable des fonctions écologiques ainsi que du potentiel agronomique du sol », précise le ministère. Malgré cet horizon lointain, mais aussi du fait de celui-ci, Intercommunalités de France avait demandé au ministre de la Cohésion des territoires le report de la publication du décret afin de permettre l'élaboration de la nomenclature « en collaboration avec les collectivités du bloc local en s'appuyant sur les retours d'expérience issus de la mise en place localement de différents dispositifs d'observation et de suivi ». Une demande qui n'a pas été suivie d'effet.
Déclinaison dans les documents de planification et d'urbanisme
Le deuxième décret fixe, quant à lui, les règles de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols qui doivent être déclinées dans le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). La loi Climat et résilience prévoit que les documents de planification régionale (Sraddet, mais aussi Sdrif, SAR et Padduc) intègrent une trajectoire vers l'objectif ZAN avec un objectif de réduction du rythme d'artificialisation par tranches de dix ans. Pour la première, l'objectif est de ne pas dépasser la moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers par rapport à celle observée lors de la décennie précédente. La loi définit la consommation de ces espaces comme « la création ou l'extension effective d'espaces urbanisés sur le territoire concerné ».
La modification de ces schémas de planification doit être engagée avant le 23 août 2022 et achevée avant le 23 février 2024. « Les Sraddet sont composés d'un rapport d'objectifs, qui s'imposent avec un lien de prise en compte aux documents infrarégionaux, et d'un fascicule de règles générales, qui s'imposent avec un lien de compatibilité », indique le ministère de la Transition écologique. En effet, les règles contenues dans le Sraddet doivent être déclinées au niveau des différentes parties du territoire régional, dans un délai de cinq ans pour les schémas de cohérence territoriale (Scot), et de six ans pour les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les cartes communales. « La prolongation de six mois des délais laissés pour réviser les documents d'urbanisme, votée dans la loi 3DS, si elle doit être saluée, est toutefois de portée limitée. Comme le Sénat l'avait déjà affirmé en 2021, repenser les politiques nationales et locales d'aménagement, d'habitat et de transport, ne se fait pas en un an », avait pointé la commission des affaires économiques de la Chambre haute.
Cette déclinaison prendra en compte « les efforts de réduction du rythme d'artificialisation des sols déjà réalisés au niveau infrarégional », tente de rassurer le gouvernement. Les Sraddet, ajoute-t-il, peuvent par ailleurs identifier des projets d'envergure nationale ou régionale, dont l'artificialisation des sols induite sera décomptée à l'échelle régionale et non infrarégionale. Mais la majorité sénatoriale n'a pas apprécié l'inscription de règles contraignantes via le fascicule du Sraddet, et ce, « en contradiction directe et délibérée, tant avec le texte de loi qu'avec l'intention clairement exprimée des parlementaires, qui avaient souhaité préserver le caractère facultatif de ces règles ». Intercommunalités de France a vainement porté la même revendication. En revanche, l'association de collectivités a été entendue sur une autre demande portant sur les projets pouvant être décomptés de l'artificialisation sur le plan local.
Une bien maigre consolation sans doute pour ceux, à l'instar de la majorité sénatoriale, qui ont dénoncé les libertés prises par l'exécutif par rapport au texte de loi adopté en commission mixte paritaire. « Sur un sujet si structurant pour l'aménagement de notre pays, pour des décennies à venir, l'État se doit de soutenir la construction d'un consensus, d'accepter la critique constructive des parties prenantes, d'adapter les principes aux réalités », avait averti la commission des affaires économiques de la Chambre haute. Reste maintenant à voir le degré d'appropriation de ces textes par les collectivités chargées de les mettre en œuvre.