" Une politique nationale de durabilité est bénéfique pour l'environnement, pour l'emploi, pour l'économie, a assuré dans son rapport sur la consommation durable, Thierry Libaert, conseiller au Comité économique et social européen. Elle pourra perturber certains acteurs, mais nous sommes persuadés que ceux-ci sauront réagir avec le sens de l'innovation qui a toujours caractérisé les grands acteurs économiques".
Demandé par Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, ce travail a consisté en un état des lieux européens. M. Libaert s'est également penché sur les impacts de disposition de lutte contre l'obsolescence programmée.
Selon le rapporteur, la quasi-totalité des actions envisagées pour réduire l'obsolescence peut s'effectuer sans la nécessité juridique d'un accord européen. Par exemple, il liste des initiatives comme l'introduction de critères de durabilité dans la commande publique française, l'augmentation modulable et progressive de la durée de garantie des produits, le renforcement de l'information sur la réparabilité des produits, le lancement d'un indicateur de réparabilité ainsi que de durabilité, ou la mise en place d'une éco-contribution spécifique selon la durabilité du produit. "La question principale est donc économique et non juridique", indique-t-il.
Vers une conception de produits plus robuste
Parmi les différentes propositions, Thierry Libaert s'est penché plus particulièrement sur les conséquences d'une augmentation de deux à cinq ans de la période de garantie.
Premier constat : une garantie étendue à cinq ans implique la conception de produits plus robustes et pourrait induire une augmentation des coûts.
"L'éventuelle augmentation du prix pourrait être compensée par l'absence de coûts de réparation durant la période allongée de garantie, estime-t-il, toutefois. L'entreprise économisera par ailleurs en dépenses publicitaires en raison d'une période augmentée entre le lancement des produits".
Autre impact potentiel pour les entreprises : une réduction des bénéficies liés aux ventes d'extensions de garantie. "Les pays ayant des durées légales de garantie supérieure à la France - Irlande, Norvège, Pays-Bas, Suède, Finlande, Islande - ne paraissent pas présenter un modèle de distribution plus fragile", oppose-t-il.
A la crainte d'une distorsion de concurrence dans un contexte de distribution internationale, le rapporteur développe différents arguments. Tout d'abord, il rappelle que la mesure s'appliquera à l'ensemble des produits vendus en France, quel que soit le fabricant. "Quand bien même le prix serait plus élevé, le consommateur a la capacité d'évaluer son intérêt à acquérir un produit ayant une garantie plus élevée, note-t-il. Et, dans l'hypothèse d'une préférence frontalière, celle-ci ne peut être que minimale puisque s'adressant à des frontaliers ; on peut supposer que pour les autres personnes, le bénéfice d'un prix de produit plus faible serait compensé par les coûts de livraison".
La durabilité, un déterminant à l'innovation
Il estime également qu'une stratégie de positionnement des entreprises françaises sur le créneau de la durabilité ne peut être que bénéfique à l'économie nationale. "L'incitation à la durabilité et à la réparabilité peut en effet apparaître comme un déterminant à l'innovation", considère-t-il. Enfin, Thierry Libaert souligne qu'une plus grande durabilité de ces produits pourrait jouer un rôle positif dans la balance commerciale française de la filière des équipements électroniques et électriques (EEI), en réduisant les achats. La France exporterait en effet 87 milliards d'euros d'équipements EEI, et en importerait 109,4 milliards.
"Il nous a toutefois été indiqué lors de nos entretiens qu'une meilleure durée de vie des produits qui passerait prioritairement par une réparabilité accrue, ne serait pas forcément un avantage pour notre balance commerciale, les pièces détachées provenant majoritairement de Chine", modère-t-il.
Pour le rapporteur, le lien entre l'extension de la durée de garantie et la réparation, mais également la baisse constatée dans les métiers de la réparation, laisse envisager une influence positive de cette mesure en terme de création d'emploi.
D'un point de vue environnemental, trois axes de progrès ont été identifiés : la production de déchets, les consommations de matières premières ainsi que les impacts climatiques.
"La France transfère à l'étranger les impacts environnementaux induits par ses besoins en minéraux métalliques, note Thierry Libaert. La relation entre la durabilité des produits et les émissions de gaz à effet de serre reste toutefois à construire puisque les résultats sont corrélés à l'empreinte environnementale globale et la part relative de la fabrication, de l'utilisation et de la fin de vie du produit". Une étude de l'Ademe, sur les conséquences d'un allongement de la durée de vie du produit sur une quinzaine d'équipements, devrait être publiée à la fin de cette année.
Une modulation des garanties
"Plutôt qu'un allongement uniforme de la durée, quel que soit le type de produit, une modulation des durées est envisageable. Les textes actuels - directive 1999/44/CE - autorisent une augmentation modulée et deux Etats - la Finlande et les Pays-Bas - ont mis en place ce dispositif", indique le rapport. Thierry Libaert signale toutefois que la révision de la directive européenne doit être prise en compte dans les réflexions. "Les discussions en cours prévoient une harmonisation totale de la présomption de la durée de garantie (...). Des dérogations seraient apportées aux pays possédant déjà des dispositifs plus favorables aux droits des consommateurs, mais interdisant toute nouvelle avancée", alerte-t-il.
Pour lui, cette mesure nécessite la mise en place d'un dispositif complet et de limiter la durée de présomption à deux ans. "A défaut d'une cohérence de l'accompagnement, l'augmentation de la durée de garantie pourra entraîner des effets négatifs, notamment pour les produits d'entrée de gamme pour lesquels la non-prééminence de la réparation sur le remplacement risquerait d'annihiler l'objet initial poursuivi par une meilleure durabilité du produit", souligne-t-il.
Quatre freins à l'information sur la durabilité
Thierry Libaert s'est également penché sur les obstacles à l'application d'une disposition prévue par la loi Consommation : l'indication sur la durée de vie du produit. Pour lui, un des freins est l'absence de soutien réel des entreprises, notamment de la distribution. Il regrette également une absence de choix politique qui viserait à privilégier la durabilité sur la réparabilité. Cette disposition a également été freinée par des problèmes méthodologiques d'évaluation de la durabilité, selon lui. Aujourd'hui, il n'existe pas de référentiel disponible. Dernière difficulté : le risque de confusion lié au foisonnement d'informations éparses.
"Ce rapport vient nourrir la réflexion en cours sur le projet de loi sur l'économie circulaire qui sera présenté prochainement, a indiqué Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique. Il consolide également notre position à l'échelle européenne. L'objectif : donner aux Français, et aux Européens, les moyens d'une consommation plus responsable et plus juste, tant pour leur budget que pour l'environnement".