« La population du massif des Vosges a décliné de façon dramatique, celle du Jura est stable et celle des Alpes peine à progresser. » Tel est le tableau que dresse le ministère de la Transition écologique à propos du lynx à l'occasion de la mise en consultation d'un projet de plan national d'action en faveur de cette espèce emblématique.
Le lancement de ce plan a été décidé par Nicolas Hulot, en août 2018, juste avant son départ du ministère de la Transition écologique face aux menaces qui pesaient sur cette espèce. Bien que protégé aux plans international, européen et national, le félin est en effet classé « en danger » sur la liste rouge de l'UICN pour la France.
150 collisions fatales
Les menaces sont multiples. Le projet de plan, élaboré sous la coordination de la Dreal Bourgogne-Franche-Comté par l'Office français de la biodiversité (OFB), en identifie plusieurs. Y figure en premier lieu l'impact des collisions routières. Depuis le retour de l'espèce dans les années 1970 à la suite de réintroductions en Suisse et dans les Vosges, « 150 collisions ont été recensées, quasiment toutes fatales, ce qui représente près de 58 % des cas de mortalités détectés », rapporte la Dreal.
Viennent ensuite les destructions illégales, qui représentent 10 % des individus retrouvés morts mais qui sont certainement sous-estimées. « L'année 2020 avec trois lynx tués par arme à feu dans les massifs des Vosges et du Jura illustre la persistance des conflits liés à la coexistence avec le lynx », soulignent les services de l'État. Le Conseil national pour la protection de la nature (CNPN), qui a rendu en juillet un avis favorable au projet de plan sous réserve de l'intégration de ses recommandations, demande un engagement fort de ces derniers dans ce domaine. « Les moyens financiers en fonctionnement semblent faibles (5 000 euros par an) pour la mise en place d'une cellule criminalistique et les moyens humains nécessaires ne sont pas évalués bien que (…) la lutte et la répression relèvent essentiellement de missions dédiées aux agents de l'OFB dans le cadre de leurs attributions professionnelles », pointe l'avis.
« L'acceptation de l'espèce auprès d'une partie du monde de la chasse n'est pas acquise et des craintes persistent vis-à-vis de la coexistence avec les activités d'élevage, pouvant localement occasionner des conflits », relèvent en effet les fonctionnaires de la Dreal. Il faut dire que les ongulés, principalement chevreuils et chamois, représentent entre 70 et 90 % des proies du carnivore. Ce qui ne fait pas l'affaire des chasseurs. Ses autres proies peuvent être des renards, lièvres, marmottes et petits rongeurs.
Une autre menace est constituée par la fragmentation des habitats. « Les forêts des massifs des Alpes, du Jura ou des Vosges offrent des habitats favorables aux lynx en termes de qualité, mais ce sont la taille et la fragmentation de ces habitats qui limitent le développement des populations, la dispersion des individus et freinent la recolonisation de nouveaux territoires », souligne la Dreal. Cette fragmentation réduit aussi « la connectivité fonctionnelle dans les différents noyaux de population » pourtant « essentielle pour maintenir le brassage génétique nécessaire à une viabilité à long terme ».
Dernière menace identifiée : les risques liés à l'intoxication des lynx par des contaminants. Étant au sommet de la chaîne alimentaire, ces grands carnivores sont susceptibles d'accumuler les contaminants. Ainsi, des cas d'intoxication par des raticides (bromadiolone), des insecticides ou encore du plomb sont documentés.
Améliorer les conditions d'existence avec les activités humaines
L'objectif affiché par ce premier plan, d'une durée de cinq ans, est de « rétablir l'espèce dans un bon état de conservation sans réintroduction ni régulation » en s'appuyant sur « des objectifs progressifs et, pour certains, différenciés selon les massifs ». Il prévoit l'amélioration de la connaissance de la dynamique de l'espèce sur l'ensemble des massifs. Dans le Jura et les Alpes, le plan vise « le maintien/rétablissement d'une dynamique démographique interannuelle positive ». Quant aux Vosges, où l'espèce est en danger critique d'extinction, il s'agit d'enrayer la dynamique démographique négative « en travaillant prioritairement à l'amélioration de la perception de l'espèce par les acteurs locaux ».
Le projet de plan comprend une série de quatorze objectifs axés essentiellement autour de la réduction des menaces et de l'amélioration des conditions d'existence avec les activités humaines. Le CNPN souhaiterait y ajouter deux actions qu'il juge importantes. Il recommande, en premier lieu, de mener une étude sur le dérangement du félin par les activités humaines, en particulier certaines pratiques de chasse (battues avec chiens, chasses d'été), et les activités d'exploitation forestière et récréatives, à certaines périodes sensibles ou dans des secteurs-refuge pour l'espèce. Ensuite, il suggère d'analyser la cohérence du réseau des aires protégées existantes avec les besoins du carnivore.
Les services de l'État ne rejettent pas, dans un deuxième temps, l'idée d'une réintroduction de spécimens en cas de nécessité. Une expertise collective scientifique et technique est, en effet, annoncée dès la mise en œuvre du plan pour « définir les conditions de viabilité à terme du lynx sur le territoire ». En cas de besoin de renforcement de l'espèce, elle devra « éclairer les acteurs sur l'opportunité éventuelle de renforcement des populations ». « L'adhésion des parties est un préalable indispensable à la réussite et l'impact positif conditionne notamment la réussite de telles opérations sur le long terme », prend toutefois soin de mentionner le projet de plan.
Place maintenant à la participation du public. « La prise en compte de l'avis du public et des recommandations du CNPN sera réalisée à l'issue de la consultation », précise le ministère de la Transition écologique. Une consultation qui prend fin le 27 octobre pour un plan qui doit couvrir la période allant de 2022 à 2026.