C'est pour proposer un autre paradigme que celui qui domine les sociétés occidentales actuellement que le Manifeste pour l'avenir des systèmes de connaissance a été lancé. ''Le monde regorge de connaissances multiples, très approfondies mais souvent ignorées. Ces systèmes de connaissance traditionnels jouent pourtant un rôle essentiel. Il nous faut sortir de notre ethnocentrisme et de l' ''occidentalocentrisme'' ambiant pour apprendre de ces savoirs'', analyse Walter Erdelen, vice directeur général pour les Sciences naturelles à l'Unesco, lors de la conférence de lancement du Manifeste pour l'avenir des systèmes de connaissance. Le texte, promu par Vandana Shiva, écrivaine, physicienne et figure du courant altermondialiste, et Claudio Martini, président du gouvernement de la région Toscane (Italie), a été signé par de nombreux universitaires et personnalités du monde entier.
Se défaire du paradigme dominant
Le texte défend une autre manière de penser le monde : ''la crise actuelle est liée à une idée démodée du monde et du savoir'', analyse Vandana Shiva.
''Notre civilisation techno scientifique a transformé l'homme en une machine contrainte à consommer, explicite Danielle Mitterrand, présidente de France Libertés. Nous devons retourner au principe de frugalité. Claude Levi Strauss, récemment disparu, dénonçait l'occidentalisme triomphant. Cet homme nous a montré qu'il n'y avait pas de hiérarchie entre les cultures, que les autres n'étaient pas inférieures à la nôtre sous prétexte qu'elles n'étaient pas parvenues au progrès, à notre progrès. La soi-disant avance de la culture occidentale est mesurée par rapport à nos propres critères. Notre foi dans le progrès nous a conduit à un pillage insensé de la planète, à une rupture de l'équilibre naturel… L'humanisme n'est pas le résultat de la technologie et du progrès, l'humanisme c'est la reconnaissance de la diversité des cultures''.
Un point de vue partagé par José Gualinga, représentant du peuple Kichwa de Sarayaki, en Amazonie équatorienne : ''le système dominant a toujours cherché à hiérarchiser et classer les savoirs indigènes. La science a de tout temps voulu avoir raison, nous avons dû combattre cette manière de voir les choses. La modernisation des sociétés a supposé des changements pour améliorer notre vie. L'effet a été contraire, cela a détruit les bases de ce qui nous était nécessaire. Nous ne comprenons pas cette idée qui consiste à détruire pour atteindre quelque chose''.
Apprendre des savoirs ancestraux
Au contraire, les auteurs du Manifeste luttent contre une uniformité de la pensée et appellent à apprendre des différentes cultures qui ont su s'adapter, évoluer avec leur environnement. ''Le savoir traditionnel et indigène a été exclu et est encore méprisé de nos jours. Pourtant, l'idée que certaines personnes (les experts) détiennent le savoir et que le reste de la population ne sait rien est dépassée. Nous ne croyons plus au fait que les experts vont apporter la solution à la crise'', estime Vandana Shiva. Qui mieux qu'un agriculteur qui observe quotidiennement ses semences connaît les problèmes qui y sont liés ? Sans renier l'apport de la science actuelle, les auteurs du texte estiment que les savoirs traditionnels doivent être intégrés à la connaissance scientifique.
''Au moment où les discussions internationales sur le climat nous poussent au pessimisme, les savoirs locaux nous donnent des raisons d'être optimistes. Les Inuits vivent dans un milieu hostile et se transmettent leurs connaissances de génération en génération. Dans les îles Salomon, les villageois savent se protéger de violents ouragans, des tsunamis. Lors des dernières intempéries dans ces îles du Pacifique, alors que l'on craignait tous un désastre humain, il n'y a pas eu une seule victime''.
Protéger le savoir traditionnel
Preuve de la valeur des savoirs ancestraux ? L'appropriation de ces connaissances par des sociétés commerciales… La biopiraterie est d'ailleurs dénoncée par les auteurs du manifeste.
''Tout au long du processus de modernisation, les peuples indigènes ont souffert. On a violé nos droits, nos libertés. On nous a exclu et aujourd'hui on prend nos savoirs pour en tirer profit. Le système actuel a fait que les entreprises ont des droits, les peuples comme nous, la nature n'en ont pas. La nature est pillée, nos savoirs sont appropriés par d'autres'', dénonce José Gualinga.
Vandana Shiva précise : ''aujourd'hui près de 730 brevets sont dans les mains de cinq entreprises, qui privatisent des connaissances traditionnelles. Il faut défendre les savoirs ancestraux comme un bien public. Les peuples doivent pouvoir conserver le droit d'utiliser leurs connaissances''.