Chef du département géochimie de l'Institut français du pétrole (IFP)
Nous n'avons pour l'instant pas d'informations sur les circonstances de l'accident. Ce qu'il faut savoir en revanche, c'est qu'une plate-forme a plusieurs vocations. C'est d'abord un réservoir, où le pétrole extrait du sous-sol est stocké. Cette plate-forme contenait 40.000 mètres cubes de pétrole. D'un coup, l'équivalent de seize piscines olympiques remplies à ras bord de pétrole se retrouve à la mer.
Comme il s'agit d'un accident, les opérateurs n'ont pas eu le temps de fermer les vannes de sécurité. Apparemment, les vannes automatiques n'ont pas fonctionné. Du pétrole continue de fuir. La fuite était estimée à 160 mètres cubes par jour. Elle a été réévaluée aujourd'hui (jeudi 29 avril) à 800 mètres cubes par jour. Cela représente environ cinq petites piscines privées de 12 mètres de longueur sur 6 de largeur et 2 de profondeur.
En plus, c'est un pétrole léger, qui a une tendance importante à s'étaler sur la surface de la mer.
Ce genre d'accident se produit-il souvent ?
Ce n'est tout de même pas fréquent, même si cela arrive ! Pensez qu'il y a 3.500 plates-formes pétrolières dans le golfe du Mexique.
Un tel accident avait eu lieu le 15 mai 2001 au large de Rio, au Brésil. Le 21 août dernier, au large des côtes ouest de l'Australie, un autre accident a eu lieu sur la plate-forme West Atlas. 320 mètres cubes de pétrole par jour ont fui. Il a d'abord fallu un mois pour qu'arrive une plate-forme de secours de Singapour afin de creuser un second puits et colmater le premier. Il a été bouché ensuite en 50 jours.
Dans le cas de la plate-forme Deepwater Horizon, la plate-forme de secours est arrivée lundi 26 avril.
Quelle quantité de pétrole peut s'échapper du plancher océanique ?
Si le puits est bouché en deux mois, comme dans le scénario australien, et en tenant compte des dernières estimations, quelque 50.000 mètres cubes d'huile vont se retrouver dans la mer. C'est un peu plus que le pétrole qui était stocké dans la plate-forme.
Pour donner un ordre de grandeur, l'Exxon Valdez (1989) transportait un volume de 40.000 mètres cubes de pétrole, l'Erika (1999) 10.000, le Prestige (2002) 60.000 et l'Amoco Cadiz (1978) 260.000.
Les Etats-Unis ont mis le feu à une nappe de pétrole pour tenter de contenir la fuite. Qu'en pensez-vous ?
A titre personnel, je ne suis pas favorable à cette méthode pour plusieurs raisons. Une semaine après l'accident, le pétrole a perdu ses hydrocarbures les plus volatils du fait de l'action du vent et du soleil. Or ce sont eux qui brûlent le mieux. Il va donc falloir ajouter autre chose pour que ça brûle, ce n'est pas une bonne démarche.
Ensuite la mer n'est pas un endroit lisse. Les vagues ont très probablement transformé le pétrole physiquement. Une émulsion qu'on appelle une ''mousse au chocolat'' dans le jargon des marées noires a dû se former. Cela ressemble à une mayonnaise noire. Elle pourrait contenir au minimum 50% d'eau. Vous avez donc une sorte de pâte riche en eau que l'on brûle. Or l'eau n'est pas connue pour bien brûler…
Ce faisant, on va polymériser l'huile en surface de l'émulsion ce qui aura pour effet de ralentir les mécanismes d'atténuation. La nappe sera beaucoup plus résiliente dans l'environnement. En mer, le pétrole brûle mal et génère des composés toxiques et cancérogènes. Il ne sert à rien de rajouter une pollution à une autre !
Brûler la nappe est l'une des technologies prévues dans la panoplie d'actions de lutte contre les marées noires. Cette méthode est préconisée dans les premières phases suivant l'intervention de la pollution : la fenêtre d'opportunité se situe entre le premier et le deuxième jour.
Trouvez-vous que la crise est mal gérée ?
Aucune marée noire n'est identique à une autre. Celle-ci a entraîné la mort de plusieurs personnes. On s'est d'abord occupé de la sécurité des personnes, ce qui est normal.
Après, il faut voir que plus le temps passe, plus les stratégies évoluent. Au bout d'une semaine, il devient compliqué d'agir. Il ne reste plus qu'à protéger les environnements les plus sensibles - ports, estuaires - avec des barrages flottants.
Pensez-vous que la marée va toucher la côte ?
Oui. Il existe des technologies pour intervenir sur les plages, sur les côtes après marée noire. Au Brésil, les mangroves ont eu une capacité d'auto-régénération très importante en quelques années, après l'accident de 2001. Malheureusement, ça ne sera pas le cas pour les oiseaux, les mammifères marins, les poissons… Une marée noire est toujours une vraie catastrophe et celle-ci n'échappera pas à la règle !