Depuis la fin du mois de juillet, la côte Atlantique de la Martinique voit s'échouer une quantité importante d'algues dites "sargasses", l'algue brune aux flotteurs sphériques jaune clair, de l'espèce Sargassum fluitans. Problème principal : en se décomposant dans les fonds de baies, les algues jaunes produisent du sulfure d'hydrogène (H2S), dégageant une odeur nauséabonde.
Le phénomène n'est pas nouveau puisqu'il existe depuis 1986, d'après une étude de 2004 de l'Observatoire du milieu marin martiniquais. Mais cette année, "la concentration de ces algues sur une quinzaine de sites a conduit à déconseiller la fréquentation publique de certaines plages en raison des émanations de sulfure d'hydrogène", a souligné Serge Létchimy, le président de la région, dans un courrier envoyé le 26 juillet à la ministre de l'Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet.
Une prolifération liée à la qualité des eaux ?
"Ce ne sont pas des algues invasives", affirme Jean-Philippe Maréchal, directeur de l'OMMM. "Ces sargasses sont des algues pélagiques, c'est-à-dire qui se développent au large, notamment dans la mer des Sargasses, au nord. En raison des conditions environnementales, il y a dû y avoir un bloom de sargasses cette année dans cette région. Les vents et surtout les courants un peu plus importants cette année ont transporté ces algues sur les côtes des Petites Antilles".
Si le directeur de l'OMMM soutient que "cette prolifération n'est pas due à un problème de pollution dans les eaux côtières", le rapport de 2004 de l'OMMM mettait en cause "la dégradation de la qualité des eaux côtières par les effluents des zones urbaines et industrielles de la Baie de Fort-de-France", suggérant également "l'existence d'un courant côtier nord-sud sortant de la baie". Alors, si les algues jaunes arrivent de l'est, ce serait "un excès en nitrates dans l'eau, d'origine agricole ou urbaine" qui serait à l'origine de leur prolifération sur le littoral martiniquais.
Mais, toujours d'après ce rapport, il est aussi possible que "la quasi-disparition des oursins diadème, décimés il y a plus de vingt ans lors d'une épidémie, ait joué un rôle dans l'explosion des algues brunes" : ces herbivores étant en effet des régulateurs importants des populations algales.
Les principales conséquences de la présence d'algues sargasses sont donc la monopolisation de l'énergie lumineuse pour leur croissance, au détriment des autres organismes benthiques, et bien sûr, l'effet néfaste sur le tourisme.
Les algues sargasses ne sont pas comparables aux algues vertes
De l'algue jaune émane donc le même gaz que produit l'algue verte, le sulfure d'hydrogène (H2S), pressenti responsable de la mort de deux chiens en 2008, d'un cheval en 2009 et probablement, d'après les dernières estimations scientifiques, de sangliers ces derniers jours sur les côtes bretonnes. Mais les quantités sont bien différentes : lorsque la croûte blanche des amas d'algues vertes en décomposition est percée, le taux d'hydrogène sulfuré dans l'air est mesuré autour de 500 ppm (partie par million). Le seuil létal étant atteint, d'après l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) au bout de dix minutes d'exposition à 688 ppm. Quant aux algues sargasses, "la production de gaz toxique est considérée comme très faible", précise Jean-Philippe Maréchal. En effet, les études autour de l'algue jaune sur les plages martiniquaises ont évalué les émanations de sulfure d'hydrogène entre 0 et 3 ppm seulement. Toutefois, pour un asthmatique, une faible dose de 2 ppm suffirait à provoquer des problèmes de santé.
Et l'île de la Martinique n'échappe pas non plus à la présence d'algues vertes en petite quantité. Là encore, les raisons sont différentes. Les algues vertes, contrairement aux sargasses, sont considérées comme invasives, et la prolifération, notamment des entéromorphes filamenteuses, est causée par l'apport d'azote et de phosphore. À l'échelle locale, ces rejets de nutriments proviennent principalement des activités domestiques et agricoles, et sont concentrés autour de la Baie de Fort-de-France. Ils proviennent des apports de grands fleuves sud-américains (tels que l'Orénoque et l'Amazone), dont les estuaires sont situés à quelques centaines de kilomètres au sud-est de l'Arc Antillais, mais aussi des eaux littorales provenant des bassins versants de l'île.
Les effets périphériques de la tempête, fortes pluies et inondations, se font toutefois déjà sentir. Selon EDF, 5 000 foyers sont actuellement privés d'électricité. En raison des glissements de terrain et des débordements de rivières signalés, les autorités recommandent à la population d'adopter une extrême vigilance.
Une quinzaine de plages concernées
D'après l'AFP, seuls quatre sites de l'île ont été déconseillés par l'Agence régionale de santé (ARS) aux personnes sensibles (nourrissons, femmes enceintes, personnes âgées) ou souffrant d'affections respiratoires. Une quinzaine de plages seraient tout de même concernées par la présence d'algues sargasses.
Le Comité martiniquais du tourisme préfère ne pas dramatiser la situation, afin de ne justement pas repousser les touristes.
Une enveloppe de 100.000 euros a été débloquée par le Conseil régional pour enlever les algues sargasses et "anticiper sur l'impact économique dans cette période touristique".
"Il n'est pas prévu de nettoyer les plages pour le moment, à l'exception des plages de départ et d'arrivée des étapes du Tour des Yoles Rondes" (entre le 3 et le 9 août), déclare Jean-Philippe Maréchal. "Il faut cependant être très prudent avec les engins mécaniques étant donné la présence de nids de tortues le long de ces plages". En effet, entre avril et octobre, et encore plus entre mai et août, les plages martiniquaises sont susceptibles d'accueillir les tortues en période de ponte.