Si le ministre de l'Agriculture a annoncé hier une hausse de 66% des revenus des agriculteurs français en 2010, il s'agit avant tout ''d'un rattrapage'' du secteur frappé par la crise ces deux dernières années, a-t-il tempéré sur France 2. D'autant que ce chiffre cache des disparités entre filières. Et que les agriculteurs gagnent toujours en moyenne ''10 à 15% de moins'' que dans les autres secteurs, a rappelé Bruno Le Maire.
Face à cette situation, de plus en plus d'agriculteurs misent sur les énergies renouvelables (EnR), ce qui permet de diversifier leurs activités tout en fournissant une rémunération complémentaire. Cet engouement est impulsé par le cadre réglementaire visant à réduire les consommations d'énergie et soutenu depuis 2006 par les prix d'achat de l'électricité issu des EnR plus attractifs. Le tarif d'achat de 60 cts/kWh !, fixé entre 2006 et 2009 par EDF, a convaincu de nombreux exploitants d'investir d'importantes sommes dans des toitures solaires photovoltaïques.
Mais outre ces installations photovoltaïques, qui au regard du moratoire de 3 mois décidé par le gouvernement risquent d'être désormais au point mort…, les agriculteurs se sont aussi tournés ces dernières années vers la méthanisation de leurs déchets organiques et effluents d'élevage pour produire du compost et du biogaz.
Un tarif d'achat de l'électricité encore bas
Aujourd'hui, le pays compte seulement 30 installations de méthanisation à la ferme, selon l'Ademe contre ''5.000 installations'' en Allemagne, a rappelé Olivier Bertrand, responsable France Biomasse Énergie au Syndicat des Énergies Renouvelables (SER), à l'occasion d'une table ronde organisée le 8 décembre par la FNSEA à Paris. Les installations allemandes se sont développées rapidement car elles ont pu dès 2004 bénéficier d'un tarif d'achat incitatif de l'électricité produite à partir de biogaz de 10 à 22 ct€/kWh. Alors qu'en France, il a fallu attendre juillet 2006 pour majorer le tarif entre 7,5 et 9 ct€/kWh selon la puissance de l'installation (12 MWe maximum).
Actuellement, avec un tarif moyen de 13 ct€/kWh, l'électricité produite sur les installations françaises reste deux fois moins chère qu'en Outre-Rhin, regrette Olivier Bertrand. ''La filière est naissante et on ne pourra pas calquer le modèle allemand à cause d'un manque de soutiens publics en France", a-t-il affirmé en pointant du doigt ''des subventions à l'investissement insuffisantes''. Or, ''il y a un potentiel du biogaz en France avec les objectifs du Grenelle qui prévoit de multiplier par 10 la production de chaleur et par quatre la production d'électricité d'ici 2020 '', souligne-t-il.
Plus d'une centaine de projets sont en cours de développement en France, selon l'Ademe qui table sur une augmentation de 15 unités/an. 82 autres projets ont été retenus lors d'un premier appel à projets lancé en 2009 par le ministère de l'Agriculture doté de 10 M€. Il s'inscrit dans le cadre du Plan de performance énergétique (PPE), qui vise à atteindre un taux de 30% d'exploitations agricoles à faible dépendance énergétique d'ici 2013. Le ministère de l'Agriculture a également donné un coup de pouce à cette activité dans la loi de modernisation agricole (LMA) de juillet 2010 en donnant un fondement légal à l'activité de méthanisation à la ferme et en lui conférant un avantage fiscal. La LMA permet dorénavant aux exploitants méthaniseurs de commercialiser de la chaleur, du gaz ou de l'électricité sans créer de société commerciale. Les déchets agricoles doivent néanmoins provenir de l'exploitation à hauteur de 50 % au minimum.
D'autres dispositifs visant à financer des projets de méthanisation existent aussi : les Fonds ''déchet'' et ''chaleur'' gérés par l'Ademe, le fonds CasDar du ministère de l'Agriculture, les aides des Régions ou encore celles du fonds européen de développement régional (FEDER), des Agences de l'eau, a précisé Julien Thual de la direction Consommation durable et déchets de l'Ademe, présent à la table ronde.
Malgré ces aides, le tarif d'achat de l'électricité, situé entre 9,5 et 14 ct€/kWh ne garantit pas la rentabilité des installations dans l'Hexagone, estime Philippe Meinrad, agriculteur dans le Haut-Rhin et vice-président de l'association des agriculteurs méthaniseurs de France. ''Avec le tarif actuel, on ne peut pas concurrencer nos voisins allemands'', a-t-il déploré. ''Ce tarif d'achat de l'électricité n'est pas à la hauteur des objectifs qui nous sont fixés'' par l'Etat. Un décret visant à relever ce tarif est pourtant prévu par le ministère de l'Agriculture mais il n'a pas encore été publié. Philippe Meinrad espère un tarif d'achat de 20 ct€/kWh.
Un autre décret fixant cette fois le tarif d'achat pour le biogaz injecté dans le réseau, se fait aussi attendre. Celui-ci pourrait être de 13ct€/kWh, précisait le 5 octobre dernier Jean-François Carenco, alors directeur de cabinet de l'ex-ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo. Ce dernier avait d'ailleurs prévu la publication du décret pour mi-novembre mais depuis le remaniement, aucune annonce n'a été faite…
Une filière dans les starting blocks
''A quand les textes et à quels tarifs ?'', s'interroge Olivier Bertrand du SER car ''c'est déterminant pour les filières rurales". ''Il faut que le gouvernement se positionne sur ces tarifs'', insiste Dominique Barreau, secrétaire général de la FNSEA.
La ''durabilité'' des projets de méthanisation est liée aux tarifs, affirment les agriculteurs. Mais l'absence de ces tarifs fait que ces projets restent dans les tiroirs. Les exploitants déplorent aussi des délais de raccordement des installations d'un an jugés trop ''longs'' contre 4 à 5 mois en Allemagne. Un agriculteur méthaniseur, présent dans la salle, explique quant à lui le gel des décrets ''par les indécisions du gouvernement sur le photovoltaïque''. ''On paie ces indécisions'', fustige-t-il.
De son côté, Claude Roy, membre du Conseil Général de l'Agriculture se veut moins pessimiste : ''il faut nous laisser le temps de faire les choses en France. L'Allemagne va être obligée de baisser ces tarifs exorbitants d'achat du biogaz et les projets vont être stoppés'', ajoute-t-il en prédisant une nouvelle bulle spéculative Outre-Rhin…