"L'essor de la [méthanisation dans le secteur agricole] n'a pas été à la hauteur des espoirs des porteurs de projet et des ministères impliqués", déplorent les services des ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie dans un rapport rendu public mardi 5 février 2012. Le document d'une trentaine de pages, intitulé "Freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole", évoque "quelques dizaines d'unités qui fonctionnent, dont certaines à l'équilibre financier fragile". "On est loin des milliers d'unités du parc allemand", regrette les auteurs qui font état d'un développement outre-rhin qui "a certes démarré plus tôt, mais est aussi plus rémunérateur et bénéficie semble-t-il d'un cadre règlementaire moins contraignant pour les digestats".
Pourtant, la filière française "a retenu la bienveillante attention des ministères de l'agriculture et de l'environnement", via notamment un soutien financier dans la phase de démarrage. En effet, les pouvoirs publics ont montré de l'intérêt pour "un procédé qui, à partir d'effluents d'élevage, auxquels on ajoute des déchets divers et variés, produit de l'électricité, de la chaleur, mais aussi des matières résiduelles au pouvoir fertilisant", rappelle le rapport qui qualifie l'approche d'"assurément (…) séduisante".
Vision simplificatrice, voire simpliste
"Sur le fond, le frein principal au développement massif de la méthanisation agricole est certainement le refus des cultures énergétiques à titre principal", estiment les rapporteurs qui jugent que "le problème des cultures énergétiques, mis à part le cas particulier de la filière agrocarburant (Ethanol et Diester), semble avoir un côté tabou en France".
Quant aux arguments à l'origine du "tabou", ils sont liés selon les auteurs "aux émeutes de la faim, près de nous en Afrique du Nord, mais aussi dans d'autres régions du monde". A cette occasion, les Français "ont pris conscience que pour des millions de personnes dans le monde, il y avait un minimum vital au sens fort du terme, à pouvoir acquérir du riz ou de la farine de blé". Au delà de ce constat, la mission note que le lien entre le renchérissement des prix agricoles et le recours aux cultures énergétiques a été porté par "certains économistes et sociologues" et que "les leviers médiatiques ont amplifié ce courant d'opinion sans discernement". A une réalité "multifactorielle" le rapport oppose une vision "simplificatrice, voire simpliste".
Si le document rappelle qu'"il s'agit là d'une question de doctrine qu'il n'appartient pas à la mission de trancher", les commentaires des auteurs laissent transparaitre leurs regrets… Leur constat est sans appel : "force est de reconnaître que, si l'on doit rester à ce dogme, il serait illusoire de vouloir développer massivement la filière méthanisation agricole en France".
Trois arguments en faveur des cultures énergétiques
Même si les auteurs rapportent qu' actuellement, personne ne propose d'introduire des cultures principales purement énergétiques, ils avancent cependant trois arguments en faveurs d'une évolution de la doctrine française.
Tout d'abord "un argument de bon sens" : l'activité agricole a toujours eu besoin d'énergie. Et de rappeler qu'à l'époque de la traction animale, "les chevaux et les bœufs arrivaient à consommer jusqu'à 10% voire 15% des quantités de fourrage produites sur l'exploitation" pour ensuite fournir de l'énergie. Sur l'exploitation moderne, le tracteur remplace les animaux de trait et pourrait donc être alimentés en biogaz produit sur la ferme. Selon les agriculteurs méthaniseurs interrogés, l'ensemble du machinisme agricole n'aurait "guère besoin de plus de 2 à 3% de la surface agricole utile (SAU) dédiée" pour atteindre l'indépendance énergétique. Le rapport suggère de limiter ces cultures dédiées à 1 ou 2% de la SAU, rapportant que les "allemands ayant pourtant un fort courant politique de sensibilité écologique n'ont aucun problème sociétal à cultiver des milliers d'hectares de maïs ensilage (800.000) aux seules fins de "nourrir" les méthaniseurs".
Les deux autres arguments sont de nature techniques. Il s'agit tout d'abord du recours aux cultures intercalaires pour la méthanisation. La question se poserait notamment lorsque les sols doivent être fertilisés. Le dernier argument concerne l'équilibre du digesteur qui pour être maintenu peut parfois nécessiter l'ajout de céréales "sans créer pour autant de cultures à vocation principalement énergétique".
Encourager l'usage de la chaleur sur l'exploitation
Par ailleurs, le rapport étudie les textes règlementaires et les tarifs d'achat pour conclure que ceux-ci "ne constituent pas un frein au développement de la méthanisation agricole, même si certains points mériteraient d'être revus". Selon le rapport, les progrès possibles concernent surtout la mise en œuvre des textes, telle que la création de points d'entrée uniques, qui assureraient la liaison avec les services instructeurs des différents volets des dossiers.
Le cadre règlementaire n'est cependant pas exempt de tout reproche. Le principal concerne les conditions "trop restrictives" de la valorisation de la chaleur par les agriculteurs disposant d'un méthaniseur. Reprenant les conclusions d'un précédent rapport, le document indique que l'exclusion de la chaleur substituée à une consommation électrique "est défendue par l'administration de tutelle au motif que cette substitution très rentable n'a pas besoin d'être aidée". Il s'agit là d'une approche "discutable et fragile [qui] laisse entendre que l'électricité doit être traitée différemment que les énergies fossiles". Le rapport recommande donc "la valorisation de la chaleur pour le chauffage des bâtiments d'élevage en substitution à l'électricité, ou encore le cas des toutes petites installations".
Un autre frein réglementaire est lié à l'utilisation et la valorisation des digestats. Pour passer du statut de déchet à celui de matières fertilisantes ou de supports de culture, les matières doivent impérativement être homologuées. Annonçant un rapport à venir sur le sujet, le document note que "le statut de déchet des digestats en pénalise fortement l'utilisation". La normalisation des digestats étant une démarche jugée trop lourde, le rapport préconise un allègement des procédures d'homologation.