Les unités de méthanisation à la ferme peinent à respecter leur plan d'approvisionnement prévisionnel, en particulier s'agissant des intrants extérieurs à l'exploitation. Pourtant, ces derniers sont essentiels puisqu'ils compensent le faible pouvoir méthanogène du lisier. Faute de respecter le plan initial, les performances des unités sont dégradées.
Telle est l'une des principales conclusions de l'étude menée par l'association Biomasse Normandie relative à onze installations de méthanisation, dont six unités à la ferme, suivies sur douze à seize mois. L'enjeu est de taille, puisqu'en 2013 les unités à la ferme représentent la moitié du parc français et leur nombre devrait croître fortement.
Les résultats concernant les unités centralisées et à la ferme ont été présentés le 13 mai 2014 lors de la journée technique méthanisation de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). L'étude passe en revue les aspects techniques, économiques, environnementaux et sociaux, avec pour objectif, notamment, de dresser un diagnostic afin d'optimiser les sites et de proposer des solutions aux futurs porteurs de projet.
Les installations suivies sont très variées, en particulier s'agissant des unités à la ferme. Si les six installations à la ferme utilisent la voie "liquide" ou "infiniment mélangée", la capacité de traitement varie de 3.600 à 8.600 tonnes par an, pour un volume du bioréacteur compris entre 675 et 2.000 m3. Enfin, les sites valorisent le biogaz par cogénération avec des puissances comprises entre 70 et 250 kilowatts (kW).
La concurrence pointée du doigt
Concernant la nature des intrants, l'étude fait apparaître que les unités agricoles recourent principalement aux effluents d'élevage qui représentent systématiquement la majorité des intrants. A cela, s'ajoutent des cultures énergétiques, pour en moyenne 17% avec un maximum à 51%. Quant à l'origine des intrants, Biomasse Normandie note qu'en moyenne 27% des flux ne sont pas produits sur l'exploitation, avec un maximum à 62%. A ce sujet, l'étude souligne que "l'impact [des apports exogènes] sur la production de biogaz (au regard de leur potentiel méthanogène) est notable". C'est un sujet qui nécessite une "grande vigilance", estiment les auteurs de l'étude puisque ces apports sont souvent indispensables au fonctionnement optimal des installations.
En conséquence, l'étude constate que les plans d'approvisionnement prévisionnels sont rarement tenus. Le développement de la méthanisation aidant, la concurrence entre les unités pour accéder à ces intrants essentiels au bon fonctionnement des unités devrait s'accroître, ce qui inquiète Biomasse Normandie. "Afin de pérenniser la filière et optimiser le fonctionnement des unités de méthanisation, il paraît indispensable de mettre en place des dispositifs de suivi adaptés, rigoureux et formatés", alerte l'association. Ces dispositifs peuvent être établis au niveau territorial et national et doivent, entre autres, permettre d'anticiper le risque de concurrence, porter un regard critique sur la faisabilité des projets ou encore limiter les risques de surdimensionnement.
Le retour d'expérience de Franck Rocher, gérant du GAEC du Roitelet (Haute-Loire), confirme la difficulté à maintenir dans le temps un plan d'approvisionnement. "En trois ans, les intrants peuvent varier sensiblement", a expliqué l'exploitant qui gère une unité de 250 kW électrique. Il a notamment expliqué qu'il s'adapte en permanence en fonction des opportunités territoriales. Actuellement, il consacre 35 hectares de culture de maïs pour couvrir un tiers des besoins de l'installation de méthanisation, une situation qu'il déplore mais qui est nécessaire à la bonne marche de son unité dans un contexte de "rentabilité tendue".
Spécifications constructeurs mal respectées
Les problèmes d'approvisionnement constatés se répercutent directement sur deux indicateurs essentiels du dimensionnement des installations : le temps de rétention hydraulique (TRH), c'est-à-dire le temps de séjour moyen des effluents dans l'unité de méthanisation, et la charge organique, qui mesure l'introduction de matière organique dans le digesteur.
En moyenne, le TRH prévisionnel des unités à la ferme étudiées était de 30 jours. La réalité est relativement éloignée puisque le TRH moyen est de 37 jours, avec des observations allant de 22 à 70 jours. Quant à la charge organique, elle varie de 1 à 3,3 kg de matière organique par jour et par m3 de digesteur.
"Le TRH est peu conforme aux spécifications des constructeurs", souligne Sandrine Blanville, directrice de la programmation chez Biomasse Normandie, insistant sur le fait qu'"on n'est pas dans l'optimum prévu", compte tenu de la variabilité de l'approvisionnement. Le dimensionnement des unités étant calculé pour obtenir une production optimale à partir d'une ration donnée, lorsqu'un écart apparaît par rapport au plan prévisionnel, l'unité s'écarte de son optimum. Etant donnés les problèmes d'approvisionnement évoqués précédemment, "il semble inévitable que les indicateurs techniques ne soient pas systématiquement à leur optimum", estime l'étude.
Enfin, la production annuelle moyenne d'énergie primaire s'élève à 3.500 mégawattheures (MWh) par an pour les six unités à la ferme étudiées. Elles affichent des rendements moyens de 38% pour l'électricité et de 43% pour la chaleur, selon les données avancées par les constructeurs.
Cependant, les pertes en énergie primaire réellement constatées sont de l'ordre de 29 à 44%. Cela s'explique en grande part par les difficultés rencontrées pour exploiter l'intégralité de la chaleur produite. Si 10 à 20% de l'énergie primaire est utilisée sous forme de chaleur pour du processus de méthanisation, l'excédent de chaleur n'est pas toujours bien utilisé faute de besoin sur l'exploitation.