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''La méthodologie des prévisions météorologiques et climatiques n'est pas la même !''

Depuis 2006, l'océanographe Pascale Delecluse occupe le poste de directeur adjoint de la Recherche de Météo-France. Elle représente l'organisme auprès du MEDDEM, du ministère de la Recherche, et dans la délégation française du Groupe 1 du GIEC « physique et changement climatique ».

Interview  |  Gouvernance  |    |  C. Saïsset
   
''La méthodologie des prévisions météorologiques et climatiques n'est pas la même !''
Pascale Delecluse
Directeur adjoint de la Recherche de Météo-France
   
AE : Médaille de bronze du CNRS en récompense de votre travail prometteur de jeune chercheur, Médaille d'argent du CNRS pour votre travail d'équipe, Prix des sciences de la Mer de l'Académie des Sciences en 2003 et en 2009, chevalier de la légion d'honneur. Votre carrière de recherche scientifique est marquée de titres de reconnaissance !
Pascale Delecluse :
En effet, et cette carrière, je l'ai faite au CNRS, où j'ai été recrutée pour développer la modélisation océanographique. J'ai fait des campagnes dans les tropiques, où le système océan/atmosphère est complètement couplé. Un signal omniprésent : la tendance au réchauffement. Je me suis dit… Où va-t-on ?! Et déjà, je poussais à ce qu'on fasse du couplage océan/atmosphère. J'étais responsable de l'équipe qui a développé le code de modélisation océanique OPA aujourd'hui dénommé NEMO, qui sert de référence pour la composante océanique des deux modèles français couplés du GIEC et à la plate-forme opérationnelle en océanographie appelée MERCATOR. Il était pour moi intéressant de rejoindre la recherche au sein de Météo France : en tant qu'océanographe, je pouvais regarder les questions de prévision météorologique avec un regard extérieur.

AE : Comment s'opère la recherche sur le changement climatique à partir des océans ?
PD :
Dès qu'on touche aux questions du climat, on est sur des recherches transversales. Pour les projections climatiques qui permettent de déterminer les évolutions du climat dans le temps, on se base sur des modèles aux composantes atmosphère, glace, océan, surface continentale, cycles biogéochimiques. La maîtrise de ces modèles repose sur la coordination de l'ensemble de ces compétences. Pour les observations, il faut rechercher des indicateurs lents du changement climatique, qu'on peut regarder sur de grandes surfaces. Ces indicateurs lents sont : la température mondiale à la surface de la Terre, le niveau de la mer et le maximum de surface enneigée au Printemps dans l'hémisphère nord. Ces indicateurs sont déterminés à partir d'observations réalisées depuis le réseau mondial de marégraphes en ce qui concerne le niveau de la mer, des données provenant des bateaux qui traversent les océans pour la température à la surface de la Terre, et du positionnement de balises grâce aux satellites géodésiques. En ce qui concerne le niveau de la mer, les résultats montrent une augmentation de 1,7 mm/an de 1990 à 2000. Sur des périodes de temps plus courtes, cette augmentation est de 1,8 mm/an, de 1961 à 2003, de 3,1 mm/an de 1993 à 2003, soit un rythme de 31 cm par siècle !

AE : Sur quelle méthodologie repose les prévisions climatiques ?
PD :
Pour la projection dans l'avenir, nous devons nous appuyer sur des modèles couplés océan/atmosphère, car nous n'avons pas de points de référence. Pour prévoir le temps qu'il va faire, on injecte toutes les données du réseau météorologique mondial dans une période de temps (en général 24 h) qui contraint la trajectoire du modèle défini à partir de ses conditions initiales et on fait des ensembles de prévision en perturbant les conditions initiales. Mais quand on regarde l'évolution du climat sur 100 ans, on est dans un modèle contraint par un forçage extérieur et non plus dépendant des conditions initiales. La méthodologie des prévisions météorologiques et climatiques n'est pas la même, nous en sommes conscients !

AE : Que désignez-vous par « forçage extérieur » de l'évolution du climat ?
PD :
Ce forçage extérieur, c'est ce qui contraint l'atmosphère, ce qui lui donne de la mémoire au-delà de quelques semaines (période limite de la mémoire de la basse atmosphère) : le couplage continent/océan, les émissions de gaz à effet de serre, la variabilité de l'activité solaire, la fonte des glaciers de montagnes, des calottes arctiques et antarctiques, l'activité volcanique, les aérosols, etc. Pour le changement en cours, ce sont les gaz à effet de serre qui imposent la contrainte. Chaque composante du système Terre intervient, avec son échelle de temps propre : on considère que l'atmosphère met un à deux mois pour s'équilibrer, l'océan entre un siècle et mille ans, les surfaces continentales quelques dizaines d'années. On pensait 100.000 ans pour la calotte polaire, dénommée « mémoire lente » ; on observe aujourd'hui qu'elle fond beaucoup plus vite que ça… La « mémoire très lente », c'est la lithosphère : les continents bougent sur le manteau en des millions d'années.

AE : Comment se traduit la présence de gaz à effet de serre dans l'atmosphère ?
PD :
Les composantes physiques et chimiques du climat montrent que le niveau de gaz à effet de serre dans l'atmosphère n'est pas équilibré. Les émissions de CO2 ont augmenté de 37 % en 2007 depuis l'ère industrielle (1750), celles de méthane de 156 % ; Celles de protoxyde d'azote de 19%. Ces tendances sont en hausse mais ne sont pas linéaires. Certes, au Jurassique, les dinosaures vivaient dans une atmosphère où la température à la surface de la Terre était beaucoup plus élevée. Mais l'homme n'existait pas ! Son apparition ne date que de quelques millions d'années. Et aujourd'hui, la vitesse à laquelle se produit le changement climatique montre qu'il est d'origine anthropique. Alors oui, la Terre en a connu d'autres, mais elle a connu aussi plusieurs disparitions d'espèces !

AE : Quelles sont les prévisions du climat sur l'Atlantique nord ?
PD :
Là, les modèles ne convergent pas, ce qui génère une source d'incertitude importante. Il y a cependant des traits robustes : le changement climatique aura de lourdes conséquences dans l'océan Arctique, où la banquise pourrait fondre en été d'ici 50 à 100 ans. Les calottes environnantes fondront également, mais on ne sait pas à quelle vitesse. On prévoit aussi le ralentissement de la grande et complexe circulation de ventilation de l'Atlantique nord. En terme de température, on prévoit un réchauffement des hautes latitudes. Cependant, l'amplitude de ce réchauffement peut est réduite de près de 10°C sur l'Europe du nord à échéance de 400 ans, suivant la vitesse de fonte de la calotte du Groenland.

AE : Par quoi se caractérise le changement climatique au niveau des océans ?
PD :
On observe une augmentation de la concentration en CO2 dans les océans, ce qui engendre une baisse du pH des eaux marines qui s'exprime par une acidification des eaux de surface. A cela s'ajoute une augmentation de la différence de température entre eaux de surface et eaux profondes. En conséquence, dans les dans les océans : les processus de calcification vont être affectés, la propagation du son aussi, les zones d'habitat vont évoluer. Les écosystèmes vont devoir s'adapter à ces évolutions, et faire face à des effets combinés complexes entre réchauffement, acidification, dilution, modification de radiation, stress environnemental, cumulant impacts du changement climatique et autres facteurs. La signature du changement climatique se voit maintenant à de nombreux niveaux de l'écosystème marin. Nous avons besoin d'informations au niveau local pour montrer à la société qu'il y a urgence !

AE : Comment se poursuit le travail du GIEC ?
PD :
Là où une dizaine de chercheurs français travaillait il y a dix ans, on trouve maintenant des centaines de chercheurs, avec les équipes derrière. Dans l'exercice publié en 2007, les socioéconomistes construisaient des modèles intégrés démographie-croissance et transfert technologique-économie-conscience environnementale, pour en déduire des niveaux d'émissions en dioxyde de carbone. A partir de ces concentrations, on faisait tourner des modèles de climat et on analysait les impacts. Dans l'exercice suivant prévu pour démarrer d'ici la fin de l'année, on part de scénarios « objectifs » en concentration de gaz à effet de serre, fixés par les négociations. À partir de là, les socioéconomistes vont travailler sur les mesures à prendre pour atteindre ces concentrations (fiscales, sociales, énergétiques). Et les climatologues disent : compte tenu de ces concentrations, voici le climat qui nous attend et les conséquences à l'échelle mondiale et subcontinentale.

AE : Que pensez vous de la mesure fiscale taxe carbone annoncée récemment ?
PD :
Le GIEC est apolitique, il tire ses conclusions de la littérature existante. Mais les mesures qui en découlent sont éminemment politiques. La taxe carbone à 17 euros la tonne… Il faut des mesures politiques énergiques, sans quoi on ne fait que reculer pour mieux sauter ! L'enjeu ne doit pas être de discuter le niveau de la taxe mais de travailler pour chaque mesure, à l'accompagnement nécessaire en terme d'équité et d'acceptabilité sociale. Qu'on le fasse tout de suite ! On ne peut pas attendre que la Sibérie devienne un grenier à blé… ce qui s'accompagnerait d'un dégel généralisé du permafrost et d'un dégagement massif de méthane, dont l'effet de serre est encore plus redoutable que celui du dioxyde carbone...

Réactions5 réactions à cet article

Pape..

Je ne conteste pas la compétence de madame mais je suis litéralement soufflé du fait que madame Saisset ne parle aucunement du méthane qui est généré par la décomposition des matières putréssible contenu dans les premier mètres du pergélisol qui dégel a vitesse - grand V - . C'est là, le véritable dangé.

Hyalin | 14 octobre 2009 à 22h12 Signaler un contenu inapproprié
Petite question pour un non-spécialiste ?

Quelle est la différence entre la météorologie et la climatologie ?

Merci d'avance.

Alexandre | 15 octobre 2009 à 06h36 Signaler un contenu inapproprié
Re:Petite question pour un non-spécialiste ?

en gros, météo = court terme (le temps qu'il fait aujourd'hui, demain...), climato = long terme, succession des conditions météo (reconstitution des climats passés, projections pour 2050, 2100,...).
et en très simplifié toujours, ça implique des phénomènes qui n'ont absolument pas la même échelle de temps, et des calculs différents, d'où le fait par exemple qu'il soit actuellement possible de modéliser le climat MOYEN de 2050 sur la France, mais difficile de donner PRECISEMENT la météo qu'il fera dans 10 jours dans telle ville.

climat | 15 octobre 2009 à 14h07 Signaler un contenu inapproprié
apolitisme!

ça fait plaisir de voir des scientifiques qui politiquement ne crient pas au loup pour nous culpabiliser! vivent les millions d'années et tout les boulversements à venir. Haro sur le baudet

loupgris | 16 octobre 2009 à 12h07 Signaler un contenu inapproprié
Demande de précisions/corrections.

Bonjour et Bravo a Pascale Delecluse !

1) Dans la phrase "En ce qui concerne le niveau de la mer, les résultats montrent une augmentation de 1,7 mm/an de =>1990<= à 2000. Sur des périodes de temps plus courtes, cette augmentation est de 1,8 mm/an, de 1961 à 2003, de 3,1 mm/an de 1993 à 2003, soit un rythme de 31 cm par siècle !"
je suppose qu'il faut lire: "1,7 mm/an de =>1900<= à 2000" ?

2)Dans la phrase: "On prévoit aussi le ralentissement de la grande et complexe circulation de ventilation de l'Atlantique nord. En terme de température, on prévoit un réchauffement des hautes latitudes. Cependant, l'amplitude de ce réchauffement =>peut est réduite <= de près de 10°C sur l'Europe du nord à échéance de 400 ans, suivant la vitesse de fonte de la calotte du Groenland."

Ne manque-t-il pas un mot dans la dernière phrase ? (qui est une de celles qui nous concerne le plus !)

arzi77 | 22 octobre 2009 à 10h58 Signaler un contenu inapproprié

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