Eurodéputée Europe Ecologie Les Verts (EELV) et fondatrice de la Criirad
Actu-Environnement.com : Pourquoi réviser les niveaux admissibles de contamination radioactive des produits alimentaires dans l'Union européenne ?
Michèle Rivasi : Les normes proposées depuis 1987, après l'accident nucléaire de Tchernobyl, par la Commission européenne sont très élevées. Trois types de normes concernent les denrées alimentaires, les enfants et le bétail. Elles vont de plus de 500 Becquerels (Bq) par kilos ou litres pour l'iode à 1.000 Bq pour le césium. Mais des récentes analyses démontrent qu'un enfant consommant du lait dépasse très facilement la dose maximum admissible autorisée fixée à 1 milli-sivert (msv) par an ! Or, le césium 134, 137 et l'iode 131 sont des contaminations qui s'ajoutent à la radioactivité naturelle et occasionnent des cancers. Il a donc été voté par le Parlement européen en février dernier que la Commission propose de nouvelles évaluations sanitaires pour chaque radionucléide et tienne compte de l'expérience de Tchernobyl qui a montré qu'en cas de contamination chronique, des problèmes musculaires et cardiaques apparaissaient.
AE : La catastrophe japonaise peut-elle peser sur les décisions de l'UE ?
MR : Les Japonais ont des normes de contamination beaucoup plus basses que les nôtres. Par exemple, les normes européennes sont de 1.000 Bq/l en césium pour les liquides et produits laitiers alors que les seuils japonais sont limités à 200 Bq/l! Les normes en Europe de contamination à l'iode sont également de 500 Bq/l contre 300 Bq/l au Japon. Le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso a accepté le 5 avril qu'on s'aligne pendant trois mois sur les normes de radioactivité des produits importés japonais compte tenu de l'accident de Fukushima [survenu le 11 mars NDLR]. On est donc sur la bonne voie, car s'il accepte les normes japonaises, ça veut dire qu'il va bien falloir réduire les normes au niveau européen ! M. Barroso a affirmé que Fukushima pourrait avoir des répercussions sur le texte. C'est une bonne chose mais encore faut-il que ce soit réellement accepté dans le futur règlement européen.
AE : Quels sont les produits nippons contaminés ? L'UE pourrait-elle prochainement les boycotter ?
MR : Si M. Barroso accepte de s'aligner sur les normes basses de contamination japonaises, il n'a pas évoqué de blocage des aliments importés comme les brocolis, les épinards ou encore les algues et les poissons du Pacifique. Ce n'est pas un accident européen et la Commission ne remet pas en cause l'approvisionnement des aliments japonais. Or, les produits importés constituent un très faible pourcentage et représentent seulement 0,4%. L'UE ne devrait donc pas s'amuser à faire un contrôle de tous ces produits japonais mais au contraire ne pas les accepter. Quels que soient leurs niveaux de contamination, nous devons tout simplement les empêcher de pénétrer le marché européen. Comme les Indiens, je demande un moratoire. Car en ne voulant pas pénaliser l'économie japonaise en boycottant leurs produits, la Commission prend le risque de contaminer les populations en Europe. Quitte à aider économiquement le Japon, trouvons d'autres alternatives. L'économie ne doit pas primer au détriment de la santé ! De toute façon, les consommateurs vont boycotter les produits japonais. Toute personne sensée ne va pas acheter du poisson sans connaître son origine.
AE : L'abaissement des normes suffira-t-il à réduire les impacts sur la santé ?
MR : Même avec une baisse des normes au niveau européen, toute dose peut occasionner un risque de déclencher des cancers de la thyroïde, notamment dans le cas de l'iode. On ne doit pas prendre ce risque-là ! Il n'y a pas de seuil d'innocuité. Dans un premier temps, la contamination des éléments radioactifs touche les végétaux à large feuille l'herbe puis tous les animaux qui vont la consommer. Le lendemain, le lait et la viande sont contaminés. Ça se passe très vite ! Dans la mer, les algues contaminent les mollusques et les poissons. Plus on s'élève dans la chaîne alimentaire, plus il y a une concentration des radioéléments suivant les espèces. Si l'iode est éliminé au bout de quelques jours, le césium ne diminue que de moitié tous les 30 ans… D'ailleurs, on retrouve encore les traces de la catastrophe de Tchernobyl !
AE : Quelles sont ces traces ?
MR : Des sangliers sont encore contaminés au césium en Autriche et en France mais aussi des moutons en Angleterre ou encore des rennes qui consomment du lichen, touchés par Tchernobyl. En France, on mesure encore quelques becquerels de césium dans la viande d'animaux sauvages, dans les champignons et les baies. Mais le niveau de radioactivité est faible, rien à voir avec celui d'il y a 25 ans, heureusement! Par contre, en Ukraine, les enfants sont toujours malades : perte d'immunité, problèmes cardiaques dus au césium qui s'installe dans les fibres musculaires, effets neurologiques et des difficultés scolaires… L'accident de Tchernobyl est loin d'être fini, alors imaginez Fukushima !
AE : Quand le nouveau projet de règlement européen doit-il être adopté ?
MR : Le projet de révision des normes va être examiné devant le Conseil des ministres de l'UE avant l'été. J'ai demandé que les niveaux japonais soient intégrés dans le nouveau règlement. Pour le césium, les seuils passeraient ainsi de 1.000 Bq/l pour les liquides et les produits laitiers à 200 Bq/l, et de 1.250 Bq par kilo pour les aliments solides à 500 Bq. Ce serait un progrès. Mais j'estime qu'il ne faut plus que ce soit les experts de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) qui établissent les seuils mais des experts compétents sur la santé publique et les consommateurs. Or, complètement liée au lobby nucléaire, la Commission européenne refuse ! Les députés européens veulent également avoir un rôle dans la révision des normes comme défini par le traité de Lisbonne. Ils demandent d'ailleurs à la Commission de faire de nouvelles propositions d'ici mars 2012 en s'alignant sur les populations les plus sensibles.
Criirad : Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité.