Pendant plus d'un siècle, à partir de la fin du XIXe, les plaines d'Achères, de Carrières-sous-Poissy et Triel-sur-Seine (Yvelines), de Méry-sur-Oise et de Pierrelaye (Val-d'Oise) ont servi de zones d'épandage des eaux usées de l'agglomération parisienne. Problème, ces eaux usées contenaient des métaux lourds, et plus particulièrement du plomb, qui ont contaminé les sols sur lesquels elles étaient épandues.
Le 15 octobre dernier, l'Agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France et Santé publique France publiaient deux études inquiétantes, révélant que certains sites présentaient des risques sanitaires inacceptables.
Risques inacceptables pour 84 % des jardins
L'ARS et le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap) ont engagé en 2007 une étude sanitaire sur ces zones qui n'a été finalisée que dix ans plus tard. Réalisée par le bureau d'études HPC Envirotec, elle montre l'existence de risques sanitaires inacceptables pour 84 % des jardins privés et ouvriers investigués et pour 17 % des parcs publics et des établissements sensibles. C'est-à-dire des établissements accueillant des enfants et des jeunes de moins de 18 ans. Des teneurs en plomb allant jusqu'à 690 mg/kg ont été relevées dans un jardin privé, alors que la valeur repère en Ile-de-France est fixée à 53,7 mg/kg. Soit près de treize fois cette valeur.
Or, le plomb, à l'origine de graves effets neurotoxiques, peut être assimilé par le corps humain via un contact main-bouche, les poussières rapportées dans les maisons ou la consommation des légumes produits sur les sols contaminés. Les populations les plus vulnérables sont les jeunes enfants, les femmes enceintes ainsi que les gens du voyage directement exposés par leur présence continue sur des terrains en friche.
Un dépistage infantile préconisé
Cette première étude recommande tout d'abord des actions de prévention et d'information. Parmi celles-ci figurent une meilleure communication sur les arrêtés préfectoraux de restriction existants. En 2000, les préfets ont en effet pris des arrêtés interdisant la production de cultures légumières et aromatiques localisées dans les zones polluées. Mais cela n'a pas empêché les habitants de continuer à exploiter leurs potagers situés dans ces zones. L'étude préconise également une communication sur l'état des sols et sur différentes mesures d'hygiène permettant de prévenir l'exposition : lavage des mains, lavage et épluchage systématique des légumes, entretien régulier du domicile, etc. Le bureau d'études recommande ensuite des actions curatives pour les sites présentant des risques inacceptables : arrêt de l'exploitation des jardins, recouvrement ou substitution des sols pollués, interdiction d'accès aux zones concernées.
La seconde étude sanitaire, réalisée par Santé publique France, portait sur la pertinence de réaliser un dépistage de saturnisme infantile sur les sites d'épandage. L'établissement public conclut qu'il n'est pas possible d'exclure la survenue d'un effet sanitaire pour les enfants de moins de six ans. Il se positionne donc en faveur du dépistage et pour la mise en œuvre de mesures de réduction du risque sanitaire. "Cependant, (...) l'évaluation des risques sanitaires ne permet pas, à elle seule, de proposer des mesures de gestion et/ou de décider de l'opportunité d'un dépistage. Elle doit être complétée d'une analyse technico-économique", se défausse Santé publique France.
Colère des associations
Si les pouvoirs publics font preuve d'un peu plus de transparence que par le passé sur la réalité de la pollution, ils restent très timorés sur la mise en œuvre de mesure de réduction du risque. L'ARS a publié le 21 novembre une brochure d'information à l'attention du public présentant les principaux résultats de l'étude sanitaire et reprenant les recommandations d'hygiène préconisées. L'Agence a également annoncé la tenue de réunions d'information avec les maires des communes concernées, ainsi que des actions de sensibilisation des professionnels de santé. Ces derniers étant appelés à prescrire une mesure du plomb dans le sang en cas de doute.
Les actions curatives préconisées par le bureau d'études, telles que la mise en œuvre de mesures de dépollution, n'ont pas été relayées par l'ARS. Certaines collectivités, comme la commune de Carrières-sous-Poissy, ont toutefois mené à leur initiative des actions de dépollution sur certains sites sensibles. L'ARS a également rejeté le dépistage systématique du saturnisme infantile, arguant qu'il n'y avait aucun cas de saturnisme détecté "en population générale". Ce qui suscite la colère des associations mobilisées sur la question. "Un dépistage réalisé en 2016 sur dix enfants roms habitant un camp exposé aux pollutions a montré que huit d'entre eux étaient atteints de saturnisme, les deux autres présentant aussi des teneurs en plomb importantes dans le sang", révèle Anthony Effroy, président de l'association Rives de Seine Nature Environnement (RNSE).
En novembre dernier, Pascal Boury, président de l'Association citoyenne a déposé une requête en référé liberté auprès du Tribunal administratif de Paris afin que l'ARS et le préfet de région déclenchent un dépistage systématique tel que le préconise le Haut Conseil de la santé publique. "Ce sont bien plusieurs milliers d'enfants qui seraient (...) reconnus comme atteints de saturnisme si un dépistage systématique était déclenché par les autorités dans les 19 villes identifiées", explique le responsable associatif en s'appuyant sur le rapport 2014 de la Cellule interrégionale d'épidémiologie Ile-de-France et Champagne-Ardenne. Cinq jours plus tard, le tribunal rendait une ordonnance de rejet. Il estimait qu'il n'y avait pas de "danger caractérisé et imminent" pour la vie des personnes et que la carence des pouvoirs publics à prendre des mesures de dépistage ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie.
Face à l'inertie des pouvoirs publics, l'association RNSE a, quant à elle, lancé sa propre campagne de dépistage. L'action de l'ONG mobilise toutefois peu les parents, bien qu'elle prenne en charge le coût de l'analyse, réalisée par simple prélèvement d'une mèche de cheveux. Sur six familles volontaires, RNSE a retenu deux enfants répondant aux critères qu'elle a fixés (école fréquentée, type d'habitat, possession d'un potager). Les tests seront réalisés d'ici environ trois semaines.
Action collective
Se pose aussi la question des responsabilités de ces pollutions qui impactent les personnes mais aussi les biens, avec des enjeux indemnitaires considérables. D'où le lancement d'une action collective par la plateforme V pour Verdict. "Nous avons l'information sur la localisation des pollutions mais rien sur qui était informé, de quoi et à quel moment ?", explique l'avocat Rémi Duverneuil, qui défend les victimes avec Élisabeth Gelot, cofondatrice de V pour Verdict. "Le Siapp et la Ville de Paris avaient connaissance des pollutions, ont-ils trompé les victimes ?", interroge Antony Effroy, qui appelle les habitants à rejoindre cette action.
Souhaitant réunir 600 participants avant le 1er mars 2019, V pour Verdict a planifié une action en plusieurs étapes, qui commence par une demande de communication des informations environnementales manquantes à toutes les autorités impliquées : maires, préfets, ARS, etc. Une première étape qui permettra de savoir sur quel fondement et contre qui diriger de futures actions en justice.
La démarche peine toutefois à s'imposer, reconnaissent les avocats, seule une cinquantaine de participants ayant rejoint l'action pour l'instant. La tentation semble grande pour beaucoup de cacher la poussière sous le tapis.