Les systèmes alimentaires du monde sont en constante évolution et sont amenés à se transformer. Sans prétendre prédire quels seront ceux de demain, l'étude prospective « Durabilité de l'alimentation face à de nouveaux enjeux » (Dualine), menée pendant deux ans par quelque 125 chercheurs sous la houlette de l'Inra et du Cirad, examine les contraintes qui vont peser sur la production, comme le changement climatique, qui pourrait induire des déplacements des zones de production, et les phénomènes d'13891s à grande échelle.
Surtout, l'étude recoupe de nombreuses sources de recherche, qui forment un consensus sur le constat que les systèmes alimentaires de type occidental, et a fortiori, leur extension mondiale, ne sont pas durables, en termes de consommation de ressources, d'impacts sur les écosystèmes et d'effets sur la santé.
Contexte de fortes incertitudes
La volatilité des prix agricoles, liés à ceux de l'énergie, sont des variables sensibles. Les systèmes de production devront aussi s'adapter à la concurrence des usages des ressources naturelles - eau, sol, énergies fossiles, biodiversité. La productivité du travail et les volumes de production risquent de décroître sous l'effet de l'épuisement à venir des ressources énergétiques fossiles.
Dans un tel contexte, les filières vont être contraintes de développer des systèmes plus robustes et plus flexibles par rapport à des situations extrêmes. Elles seront conduites à réviser la conception des procédés et de l'organisation logistique. Autre piste d'avenir : la réduction des pertes et gaspillages, estimés à l'échelle mondiale à 30 % de la production initiale destinée à l'alimentation humaine.
Cette somme de contraintes jouera-t-elle dans le sens de l'émergence d'un nouveau paradigme agricole, fondé sur la résilience des systèmes de production et d'approvisionnement ? Tout dépend du modèle agricole qui se développera, sous l'effet des politiques choisies. L'étude pointe la pluralité des réponses possibles, parmi lesquelles l'agro-écologie, récemment mise à l'agenda de la FAO.
Tendances lourdes
La tendance lourde va aujourd'hui à la concentration et à la financiarisation des entreprises, à la tertiarisation des activités et à la standardisation des produits. Extrapolées à 2050, de telles orientations sont de nature à réorganiser en profondeur la structure des emplois, puisqu'on ne compterait à cet horizon plus que 500.000 firmes de l'agribusiness de 4.000 hectares chacune. Pour autant, la durabilité d'une telle tendance est aujourd'hui questionnée. Elle participerait à l'érosion de la biodiversité et à la vulnérabilité aux contaminations pathogènes propagées par cette interdépendance planétaire.
Plusieurs typologies de systèmes alimentaires continuent de coexister, les systèmes traditionnels restant la source principale des populations des pays du Sud. Au Nord, les externalités négatives du modèle agro-industriel prédominant sont de plus en plus documentées - épuisement des ressources naturelles, hypersegmentation des produits, délocalisations d'activités, vulnérabilité aux pandémies. Face à ces constats, de nombreux acteurs, parmi lesquels les consommateurs, producteurs, pouvoirs publics et société civile, en appellent à des systèmes de production alternatifs.
Typologies des alternatives
L'étude se penche sur quatre formes de systèmes alimentaires alternatifs. Les circuits courts, revendiquent des relations plus directes entre producteurs et consommateurs, voire une forme de citoyenneté alimentaire. Mais ils ne font pas leurs preuves, selon Bertrand Schmitt, de l'Inra, en matière de consommation énergétique ou d'émission de gaz à effet de serre, pour qui la solution n'est pas forcément dans la proximité : "Il ne faut pas s'imaginer qu'on produira toute l'alimentation à proximité de la ville". Les 11 millions d'habitants de l'agglomération parisienne consomment 3 millions d'hectares de terres agricoles pour leur alimentation, soit l'équivalent de 6 fois la surface agricole utile. L'urbanisation interroge la durabilité des systèmes alimentaires.
Les productions agro-alimentaires géographiquement certifiées peuvent être vues comme des alternatives à un mode de production agro-industriel tourné vers l'intensification et la standardisation, mais l'étude souligne que leurs cahiers des charges ne sont pas tenus de garantir un mode respectueux de l'environnement ou une quelconque forme d'équité sociale.
L'étude ne plébiscite pas davantage l'agriculture biologique, dont la forte croissance dans les pays du Nord se traduit par une hausse des importations, et donc par un bilan carbone des produits pour le moment défavorable. Quant au commerce équitable, sa massification risque de lui faire perdre ses motivations initiales, dans la mesure où la multiplication des labels entraîne une mise en concurrence croissante des organisations de producteurs.
Une compilation de questionnements
On cherchera en vain des réponses toutes faites dans ce travail de compilation, qui se veut un panorama de questions à la recherche. Son mérite est d'examiner les systèmes alimentaires actuels à l'aune des critères de la durabilité. Sa limite est de s'en tenir aux controverses, sans proposer de scénarios de soutenabilité pour les prochaines décennies. L'étude aborde toutefois une série de leviers pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables parmi lesquels les politiques publiques, la sensibilisation des consommateurs et les engagements volontaires des firmes.
Les réponses sont aussi du côté de l'évolution des modèles alimentaires. L'heure est à la généralisation d'une consommation élevée de calories d'origine animale. Ce qui ne signifie pas nécessairement que les modèles alimentaires vont s'uniformiser, observe l'étude. Les projections montrent que le niveau actuel de consommation des calories animales dans les pays développés est environ le double du niveau généralisable à l'ensemble de la planète.