Sur les préconisations du rapport Charpin, le gouvernement a décidé de geler les autorisations de projets photovoltaïques en attendant une remise à plat du cadre réglementaire. Le projet de décret prévoit une suspension des autorisations de contrat d'achat de quatre mois, le temps de la concertation. Cette pause fait frémir les acteurs du photovoltaïque qui redoutent une véritable asphyxie du secteur. Ils espèrent une modification du texte lors de son examen par le conseil supérieur de l'énergie, jeudi prochain.
Stéphane Maureau, directeur d'Evasol et membre de l'Association des producteurs de l'électricité solaire indépendants (APESI), et Raphaël Claustre, directeur du Comité de liaison des énergies renouvelables (CLER) passent au crible les propositions du gouvernement.
Les projets pénalisés sur des critères peu compréhensibles
Le projet de décret concerne les installations d'une puissance de plus 3 kWc, autrement dit les installations de moyenne et grande puissance. Les projets des particuliers ne seront donc pas impactés. ''C'est un grand soulagement de voir que le segment résidentiel ne sera pas affecté. Il a été bien régulé en septembre dernier avec la baisse du crédit d'impôt. Investir dans le photovoltaïque résidentiel reste rentable aujourd'hui'', analyse Stéphane Maureau.
Pour les projets de moyenne et grande puissance, le projet de décret indique que le gel des autorisations "ne s'applique pas aux installations (...) dont le producteur a versé au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, un premier acompte en vue de son raccordement''. Un choix qui suscite une incompréhension chez les acteurs de la filière : ''les collectivités locales seront pénalisées car elles ne versent pas d'acompte à ERDF. De ce fait, tous leurs projets, même les plus avancés, risquent de tomber à l'eau'', explique Raphaël Claustre. Mais ce ne sont pas les seuls projets menacés : ''ce texte est paradoxal car contraire à l'objectif visé de supprimer de la file d'attente les projets jugés trop onéreux pour la CSPE. Les premiers projets gelés seront ceux qui sont les moins onéreux de ce point de vue, c'est-à-dire ceux qui ont été déposés depuis la dernière révision du tarif d'achat septembre. C'est une maladresse énorme du gouvernement''.
Toute une filière à l'arrêt et dans l'incertitude
''Les conséquences du moratoire seront catastrophiques pour les acteurs de la filière. On estime que près de la moitié ou les deux tiers des projets seront concernés, ce qui va conduire tout un secteur au chômage technique sans aucune visibilité sur l'avenir'', note Raphaël Claustre. Un avis partagé par Stéphane Maureau : ''c'est toute une filière que l'on asphyxie. Il n'est pas idiot de faire un moratoire, mais pas pendant quatre mois. Il aurait été plus judicieux de geler les autorisations le temps que la concertation se mette en place. Il faut éviter le stop and go à l'espagnole qui s'est avéré catastrophique''.
L'exemple espagnol est justement souvent mis en avant par le gouvernement pour justifier ses derniers reculs sur les dispositifs de soutien à la filière. La mise en place d'un tarif d'achat avantageux avait créé une véritable bulle spéculative. Les acteurs n'apprécient pas de se voir opposer cet argument : ''cela fait trois ans que nous prévenons le gouvernement sur un risque d'emballement de la filière, à l'image de ce qui s'est passé en Espagne. Or, la mise en place d'un moratoire ne constitue pas un bon remède : cela va tuer les plus petits qui sont souvent les plus honnêtes'', note Raphaël Claustre.
La cadre réglementaire envisagé ne satisfait pas
Le futur cadre réglementaire pourrait prendre la forme d'un appel d'offres afin de maîtriser les volumes installés. Pour Raphaël Claustre, ''les six expériences d'appel d'offres mises en places dans le secteur des énergies renouvelables ont toutes aboutit à des échecs. Ce dispositif ne fonctionne pas pour des technologies qui manquent de maturité. Cela va favoriser les très gros projets au détriment des plus petits. L'idée de fixer des quotas de puissance installée est toute aussi mauvaise : cela veut dire que le secteur va travailler de janvier à avril et s'arrêter une fois ce quota atteint ?''.
La filière est favorable à un maintien des tarifs d'achats, progressivement dégressifs : ''nous proposons que des objectifs soient fixés pour chaque filière. Le tarif d'achat pourrait être révisé à chaque trimestre en fonction de l'avancement de la filière par rapport à ces objectifs. Si la filière est en retard, on ne baisse pas ou peu le tarif d'achat, si la filière est en avance, la baisse peut être plus importante, explique Stéphane Maureau. Un tel dispositif est basé sur la vitesse à laquelle la filière avance réellement''.
L'argument de l'emploi et des coûts ne convainc pas
Pour justifier ses décisions, le gouvernement avance que le développement de la filière est coûteux et peu créateur d'emplois en France aujourd'hui. Des arguments que réfutent les professionnels.
''Il faut arrêter la malhonnêteté intellectuelle. Si la filière se développe correctement, la CSPE devrait atteindre 1 milliard d'euros par an contre 120 millions aujourd'hui. Comparée aux 200 milliards d'euros nécessaires dans les décennies à venir pour l'entretien des centrales nucléaires, c'est peu'', analyse Stéphane Maureau.
En ce qui concerne les emplois, l'entrepreneur précise que ''l'histoire du photovoltaïque français s'écrira d'abord avec les PME, suivant l'exemple allemand. Or, le projet du gouvernement va favoriser les grands groupes au détriment des plus petits. De nombreux projets industriels qui sont dans les cartons aujourd'hui seront mort-nés si le gouvernement poursuit sa logique. Comment la filière française peut être dans la course de la troisième ou quatrième génération si elle n'est pas sur la deuxième génération aujourd'hui ? Pour développer une production française, il faut d'abord qu'il y ait un marché français. Or, il n'y aura pas de filière française si l'état affiche un renoncement''.