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L'entreprise multinationale dans un monde carbone fragmenté

Les grands émetteurs de gaz à effet de serre que sont les entreprises multinationales naviguent à vue dans un univers de réglementations disparates, faute d'une gouvernance globale du climat.

Gouvernance  |    |  A. Sinaï
   
L'entreprise multinationale dans un monde carbone fragmenté
   

"Comme un navire qui aborde un archipel, la navigation des entreprises est d'autant plus difficile que la carte évoluera au fil du temps selon une combinaison incertaine de rationalité et d'aléa", analyse Richard Armand, expert en changement climatique, dans un ouvrage diffusé par EpE (Entreprises pour l'Environnement) présenté le 20 octobre à Paris. Le monde économique est fragmenté entre des zones dotées de dispositifs différents pour lutter contre le changement climatique. Cette discontinuité résulte de la diversité des cultures politiques des pays, de la puissance de leurs lobbies, de leurs ambitions environnementales. Certaines zones connaissent déjà les quotas échangeables, comme l'Union européenne, d'autres se sont dotées d'une taxe carbone, comme l'Australie, d'autres mettent en pratique des engagements sectoriels nationaux, comme le Brésil, d'autres des systèmes de Cap and Trade, comme les Etats-Unis.

Ces discontinuités se jouent dans le contexte de négociations internationales qui, de Copenhague à Durban dans quelques semaines, peinent à reconduire un cadre mondial de lutte contre les changements climatiques au-delà de la première période du protocole de Kyoto échue en 2012. Dans ce contexte, l'avenir de la finance carbone est en attente de réaffirmation globale, même si, comme le souligne Pierre Ducret, président de CDC Climat à la Caisse des dépôts, "nous avons, du marché européen du carbone au mécanisme de développement propre, un acquis considérable à préserver". Ce noyau de politiques part de l'Union européenne, dont la politique a vocation à exercer "un effet de réverbération", plaide Laurence Tubiana, directrice de l'Iddri. Pour cette experte des négociations climatiques, l'époque est à l'apprentissage de ces nouveaux instruments. La Chine, par exemple, s'en empare en faisant des tests de marchés carbone locaux, entre régions et entreprises.

A la recherche d'une convergence globale

Est-il grave qu'un prix unique du carbone n'ait pas encore été trouvé ? Non, selon Laurence Tubiana. "Dans la dynamique des différentes politiques domestiques, nous ne sommes pas en face d'une matière première, mais d'un bien public global, enjeu de politiques locales", analyse la directrice de l'IDDRI. "Mais on a aussi besoin de mesurer ce qu'on est en train de faire : construire une notion de subvention pour comprendre la valeur de ce carbone dans l'économie, viser un prix élevé en 2030, et comparer ce qui marche à travers les mécanismes de rapportage et vérification (MRV)". L'acquis du protocole de Kyoto, c'est la coordination, corrobore Richard Baron, chef du département des changements climatiques à l'Agence internationale de l'énergie, qui plaide pour une hausse du prix de la tonne de carbone dans le but d'investir dans les politiques climatiques, combinée avec l'effacement des subventions aux énergies fossiles, dont seule une fraction de 8% sert à l'accès à l'énergie des pauvres.

Pour Henry Derwent, PDG de l'IETA (International Emissions Trading Association), "l'ambition de convergence de Kyoto hélas s'est évaporée. On va assister à l'émergence de différents types de politiques". Selon l'économiste indien Lord Meghnad Desai, c'est à travers la gestion de diverses situations locales qu'un bien commun tel que le climat peut être administré, mais on n'assistera pas à l'émergence d'un prix unique du carbone, les priorités de l'Inde n'étant pas les mêmes que celles d'un pays de l'Europe de l'Ouest. Le gouvernement indien sera conduit à "choisir entre le pain et le carbone". Pour des raisons historiques liées à leur moindre responsabilité dans les changements climatiques, les pays dits émergents mettent en place des politiques domestiques sans se soumettre à la nomenclature universelle voulue par les Européens et les tenants du Protocole de Kyoto.

Quant à Björn Stigson, président du World Business Council for Sustainable Development (Conseil mondial des entreprises pour le développement durable), créé en 1992 à l'occasion du sommet de la Terre de Rio, il est persuadé que ce qui compte, c'est d'être dans la "course verte (…) le pays en passe de gagner cette course verte, c'est la Chine. Elle n'est pas la seule. Le Japon aussi. L'Union européenne en est une experte. Quant aux Etats-Unis, ils semblent être dans une impasse. C'est le second syndrome de Spoutnik : ils voient partir la fusée des technologies vertes chinoises mais sont paralysés dans leur impasse politique. Or pour être une compagnie leader, il faut savoir ce que veulent vos clients."

Si les clients et les consommateurs veulent des technologies vertes, les entreprises, elles, cherchent à anticiper les coûts pour les minimiser. "Pour nous, le prix du carbone, c'est le coût du carbone, qui va évoluer comme une matière première à mesure que ce coût va devenir une réalité", analyse Bruno Lafont, PDG de Lafarge et président d'Epe. "Nous n'en remettons pas en cause la légitimité, mais nous avons besoin de clarté pour pouvoir nous préparer. L'idée qu'il y ait un marché carbone est le résultat d'une régulation que j'espère mondiale".

Comme pour les pays, les divergences de vues des entreprises sont nombreuses, selon les caractéristiques de leur activité. "Le ciment est un produit qui ne voyage pas, donc comme nous sommes impactés par les réglementations locales, nous avons intérêt à la convergence la plus grande des réglementations car nous ne pouvons pas déplacer sans frais le ciment", explique M. Lafont. Le directeur général d'Arcelor Mittal France présente un autre son de cloche. Pour Hervé Bourrier, le monde carbone morcelé n'est pas forcément désavantageux pour l'entreprise, susceptible de délocaliser. Inconvénient pour certains, le morcellement du monde carbone est aussi une opportunité dont il faut savoir jouer. Même si, au bout du compte, tout investissement doit pouvoir s'inscrire dans la durée, selon des règles pérennes.

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