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Natura 2000 : le transfert de la gestion des sites aux Régions suscite des craintes

Le gouvernement a prévu de transférer aux Régions la gestion des aires protégées formant le réseau Natura 2000, au 1er janvier 2023. Un rapport de hauts fonctionnaires et une consultation du public révèlent des doutes sur son intérêt.

Biodiversité  |    |  L. Radisson
Natura 2000 : le transfert de la gestion des sites aux Régions suscite des craintes

« Dans leur majorité, les interlocuteurs de la mission ont été surpris par le projet de décentralisation de la gestion du réseau Natura 2000, alors que cette politique est perçue comme un succès de l'État dont l'action n'est pas contestée. » C'est dans ces termes diplomatiques que le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD devenu Igedd) et l'Inspection générale de l'administration (IGA) font part de leurs doutes sur le projet de transfert des sites Natura 2000 de l'État aux Régions, à compter du 1er janvier 2023.

Les hauts fonctionnaires avaient été saisis, le 21 avril 2021, par quatre ministres (Transition écologique, Intérieur, Cohésion des territoires, Biodiversité) de ce projet mis en œuvre par la loi 3DS, et dont le décret d'application a été soumis à la consultation du public, cet été. Daté de février 2022, leur rapport (1) n'a été publié que le 5 octobre. Un document critique qui, ajouté aux 94 % d'oppositions manifestées par le public sur le projet de décret, fait douter du bien-fondé de la réforme.

Transfert partiel de compétences

Début 2021, le réseau Natura 2000 était constitué, en France, de 1 755 sites encadrés par la directive européenne Habitats (1 352 sites) et par la directive Oiseaux (403 sites). Il couvrait près de 13 % de la superficie terrestre métropolitaine. « Le réseau est actuellement placé sous le pilotage et la gestion de l'État, garant devant la Commission européenne des résultats exigés par les directives quant au bon état de conservation des espèces et des habitats », rappelle la mission de hauts fonctionnaires.

Le transfert de compétences prévu n'est que partiel. Il s'agit de confier aux Régions la gouvernance et la gestion des sites exclusivement terrestres (87,5 % du réseau). La gestion de ces sites étant fondée sur une approche contractuelle et volontaire, elles se verront aussi confier l'instruction et le contrôle des chartes, ainsi que les exonérations fiscales qui y sont liées. Ces collectivités, cheffes de file en matière de biodiversité, géreront également les aides non surfaciques du Fonds européen pour l'agriculture et le développement rural (Feader), « dont l'animation et les contrats Natura 2000 non agricoles ».

L'État, quant à lui, conservera les compétences de désignation des sites et d'instruction des évaluations d'incidences, et restera l'interlocuteur institutionnel de la Commission européenne, garante du bon respect des directives. Il aura la charge de gérer les aides surfaciques du Feader, « dont les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), qui sont un levier important de la gestion des sites Natura 2000 terrestres ».

Une valeur ajoutée sans consensus

« Le sens de cette décentralisation (…) et la valeur ajoutée du nouveau dispositif ne font pas consensus », euphémisent les auteurs de la mission, qui pointent plusieurs difficultés. Les Régions n'étaient pas demandeuses de cette réforme, mais l'accepteraient si l'État leur en donnait les moyens et leur confiait également la désignation des sites, ainsi que la gestion des sites à la fois terrestres et maritimes, rapportent les hauts fonctionnaires. Les gestionnaires des sites et les acteurs ruraux, de leur côté, craignent « l'hétérogénéité des politiques ainsi que les incertitudes d'une période de transition insuffisamment préparée ». À cet égard, le rapport demandait l'organisation rapide d'une concertation entre les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), côté État, et les services des Régions, afin de « faire un état des lieux précis de la gestion des sites ».

“ il existe un risque réel de manque d'objectivité et de conflit d'intérêt ” FNE
« Un point critique de la réforme est le caractère opérationnel du nouveau dispositif financier, sans rupture dès 2023 », pointe aussi la mission d'inspection. Et ce, du fait que la source de financement principale est le Feader, qui fait l'objet d'une nouvelle programmation pour les années 2023 à 2027 dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). « Il conviendra, de plus, de préciser entre l'État et les Régions les modalités de financement à partir de 2023 des actions qui n'étaient pas cofinancées par le Feader avec une contrepartie nationale », ajoute le rapport. Autre inquiétude soulevée : le risque de contentieux européen. « Il est indispensable de définir les responsabilités respectives [de l'État et des Régions] en cas de mise en œuvre insuffisante de la gestion des sites Natura 2000 », estiment les hauts fonctionnaires.

Opposition à la décentralisation

À ces réserves formulées par la mission s'ajoute la forte opposition du public au projet de décret. On note toutefois, après la publication de la synthèse des observations par le ministère de la Transition écologique, que 84 % des contributions négatives portaient sur une même disposition qui donnait au préfet la possibilité d'assujettir l'activité d'alevinage à évaluation des incidences sur les sites Natura 2000. Le ministère a reconnu le caractère disproportionné de cette disposition, de portée nationale, destinée en réalité à préserver une variété de truite présente dans un seul département. Il indique par conséquent l'avoir supprimée du projet de décret.

Pour le reste, les oppositions portent sur le principe de la décentralisation de la gestion de ces aires protégées. Une décentralisation qui, pour France Nature Environnement (FNE), semble « plus répondre à un objectif de réduction des effectifs dans l'administration d'État décentralisée (sic) que d'amélioration réelle de la gestion des sites Natura 2000 exclusivement terrestres ». Les craintes émanent également de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « Les Dreal risquent de se voir déposséder de moyens humains et financiers qui étaient utilisés bien plus largement que la seule politique de Natura 2000. Les moyens transférés par l'État seront insuffisants car ils le sont déjà aujourd'hui », pointe Yves Vérilhac, directeur général de l'association de protection de la nature.

En outre, pour FNE, « ce transfert de gestion crée une distorsion difficilement compréhensible, d'une part, entre les sites exclusivement terrestres et les sites ayant une partie marine et les sites marins, d'autre part, au niveau territorial entre des conseils régionaux volontaires et ceux qui ne s'investiront pas ou a minima dans cette gestion ». Onze contributions rappellent ainsi, qu'au cours de la dernière programmation budgétaire, la Région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) n'a ouvert aucune ligne de crédit sur le Feader en vue de financer les sites Natura 2000. « Sur les treize Régions de France métropolitaine, seule la Région Aura a fait le choix de ne pas retenir cette intervention. Or, ce positionnement régional risque de compromettre l'animation des 266 sites Natura 2000 (…), dès 2023 », s'indigne Saint-Flour Communauté. « Cela concerne presque 200 emplois (collectivités territoriales, associations), et mettra à mal l'animation territoriale, explique un autre contributeur. Quotidiennement, ce sont l'accompagnement et le soutien auprès des élus des petites communes et grandes communes, auprès des habitants, des agriculteurs et des forestiers qui sont menacés. »

« Enfin, ajoute FNE, il existe un risque réel de manque d'objectivité et de conflit d'intérêt, car le conseil régional définirait la composition du comité de pilotage et le présiderait, pourrait élaborer le document d'objectif et l'approuver, signerait des contrats Natura 2000 avec les acteurs locaux et établirait la liste des parcelles qui pourraient être exonérées de la taxe sur le foncier non bâti. »

Se rapprocher du terrain

Natura 2000 et pesticides

La FNSEA « prend acte » de la nouvelle répartition de la gouvernance des sites Natura 2000 proposée par le gouvernement. Le syndicat agricole demande toutefois de clarifier l'articulation des compétences entre les Régions et les préfets. « Un autre décret est en cours d'élaboration afin d'encadrer l'utilisation de produits phytosanitaires dans les sites Natura 2000 où il revient aux préfets d'analyser le contenu des documents Natura 2000 », rappelle la fédération. Elle demande la confirmation des prérogatives des représentants de l'État dans l'analyse des mesures d'encadrement des produits phytosanitaires.
Une minorité de contributeurs se positionnent, en revanche, en faveur du décret, affirmant leur soutien au principe de la décentralisation, qui permet de « confier la gestion d'une politique à un niveau local, plus proche du terrain ».

La mission de hauts fonctionnaires a relevé l'existence de ce clivage « jacobins-girondins ». Un clivage qui peut se traduire, d'un côté, par un scénario régalien des aires protégées qui s'appuie sur l'État et, de l'autre, par un scénario décentralisateur, qui repose sur la compétence des pouvoirs locaux.

« L'importance que revêt la question de la biodiversité pour les générations futures justifierait que puisse plutôt émerger une voie médiane fondée sur une collaboration claire et forte de toutes les énergies et la mobilisation de tous les acteurs permettant la meilleure protection et le développement harmonieux de la biodiversité », affirme prudemment la mission. Une voie médiane qui semble être celle retenue par le gouvernement, mais qui nécessite des clarifications et des études d'impact pour éviter des mesures précipitées.

1. Télécharger le rapport
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40429-IGEDD-IGA-rapport-transfert-natura2000.pdf

Réactions2 réactions à cet article

Bonjour

Pour avoir suivi le sites Natura 2000 en DIREN puis en DREAL depuis leur début, c'est très grave de donner aux élus régionaux une politique qui est du niveau national, et parfaitement bien gérée par les services de l'Etat par des agents qui étaient en général très compétents, et par ailleurs détachés du contexte local et non soumis aux pressions des élus locaux. L'argument "plus proche du terrain" est nul; les agents Natura 2000 en DREAL étaient très près du terrain tout autant que pourraient l'être ceux d'agents régionaux, qui eux seront soumis aux influences politiques locales qui ne manqueront pas de vider ses sites Natura 2000 de leur consistance dans beaucoup de cas, surtout lorsque des présidents de region arbitreront dans le sens de ne pas froisser un élu local et ses citoyens agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs du site Natura 2000.
D. Saumet Vienne Nature Poitiers.

Dominik | 10 octobre 2022 à 13h50 Signaler un contenu inapproprié

Après avoir été contraint et forcé par Bruxelles au début des années 2000 a lui présenter une liste de sites Natura 2000 acceptable, l’État français cherche par tout moyen à torpiller, à coups de butoirs répétés, ce réseau qui ambitionne de préserver au plan européen ce qui peut encore l'être de la biodiversité sauvage. Confier la gestion du réseau aux régions est par ailleurs un n-ième renoncement de l’État d'assumer ses fonctions régaliennes.
L'acharnement des anti-nature est sans limites, féroce et tenace. Ils sont les vrais nuisibles.

Pégase | 10 octobre 2022 à 21h09 Signaler un contenu inapproprié

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