Le gouvernement s'apprête, à nouveau, à autoriser l'utilisation de semences de betteraves traitées aux néonicotinoïdes. Conformément à la loi du 14 décembre 2020 et à l'avis favorable donné par le Conseil de surveillance des néonicotinoïdes, il présente à cet effet un projet d'arrêté, ouvert à la consultation publique depuis le 24 décembre dernier et jusqu'au 16 janvier 2022. Une fois validé et publié, le texte de loi autorisera la mise sur le marché et l'emploi de semences de betteraves, traitées à l'imidaclopride ou au thiamethoxam, pour une durée de cent-vingt jours.
L'objectif est de lutter contre les nombreuses espèces de pucerons, vecteurs des virus de la jaunisse de la betterave (comme le BYV). Le gouvernement avait déjà délivré une première dérogation, validée par le Conseil d'État en mars 2021 et approuvée au niveau européen par l'Autorité européenne de sûreté des aliments (Efsa) en novembre. Pour rappel, une telle dérogation temporaire sera impossible dès 2024. Malgré tout, elle suscite encore la controverse.
Des prévisions météos propices aux pucerons
La demande de dérogation pour la saison 2022 s'appuie principalement sur trois justifications. La première se base sur les prévisions météorologiques pour les mois à venir. « Il existe une corrélation entre des températures douces mesurées entre le 1er janvier et le 15 février et l'apparition précoce de pucerons au printemps suivant, affirme Alexandre Quillet, président de l'Institut technique de la betterave (ITB) et membre du bureau de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Cette prédiction s'est révélée exacte en 2021 et elle sera probablement plus importante en 2022. »
L'Institut national de recherche agronomique (Inrae) atteste, dans un document joint au projet d'arrêté, que les probabilités calculées et fournies par Météo-France montrent, effectivement, une « prévision plutôt chaude ou normale » pour le début de l'année prochaine. L'Inrae en déduit donc qu'il n'est « raisonnablement pas possible d'écarter l'hypothèse selon laquelle il y aura, en 2022, une arrivée de pucerons suffisamment précoce, susceptible d'engendrer une fréquence significative de viroses avec une incidence négative sur le rendement en sucre de la betterave sur une part importante de la zone de culture de la betterave sucrière en France ».
Un faible risque viral, mal pris en compte ?
La demande de dérogation se base également sur le risque viral mesuré sur le terrain. Ce risque est évalué par la présence des virus de la jaunisse dans des prélèvements de plantes adventices – considérées comme des réservoirs de ces maladies – de cultures betteravières. La campagne de prélèvements, réalisée cette année par l'Inrae, rapporte un taux de tests positifs, et ipso facto un risque viral, extrêmement faibles : de l'ordre de 0,88 % en moyenne, contre 23 % l'année précédente après « une crise majeure et inédite en 2020 ». Alors même que l'Inrae a conduit, en 2021, sa campagne de prélèvements sur 57 % de parcelles en plus que l'an dernier.
L'ONG Agir pour l'environnement, membre du Conseil de surveillance des néonicotinoïdes, clame ainsi qu'il n'existe aujourd'hui aucun « risque réel et imminent » sur lequel l'État peut baser l'autorisation d'un tel traitement préventif. Ce à quoi Alexandre Quillet répond : « Il ne faut pas en déduire qu'il n'y a pas de risque, mais plutôt que nous ne connaissons pas tout. » En d'autres termes, il serait, selon lui, plus judicieux d'attendre que des projets de recherche en cours, menés à l'ITB et financés par le plan national de recherche et d'innovation (PNRI), s'accordent sur le « bon endroit » où évaluer le risque viral. Le président de l'ITB n'offre néanmoins pas d'hypothèse à cet égard.
L'absence d'alternative comme justification principale
Le gouvernement justifie en dernier lieu sa démarche par l'absence de solutions alternatives suffisantes au traitement de semences. « Les alternatives aux néonicotinoïdes, qui font l'objet d'une recherche soutenue via le PNRI, ne sont pas encore utilisables pour les semis 2022, même si certaines pistes sont prometteuses », explique le ministère de l'Agriculture. En juin 2021, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avait, par exemple, identifié dix-huit solutions substituables aux néonicotinoïdes à moyen terme, « dans un délai de deux à trois ans », et quatre autres à court terme mais conditionnées à l'évaluation de leurs risques pour la santé humaine et l'environnement.
Quant aux projets du PNRI, Alexandre Quillet affirme que s'ils doivent présenter une alternative suffisante à employer en remplacement des néonicotinoïdes, définitivement interdits en 2024, ce sera certainement avant juillet 2023 « afin que les agriculteurs sachent de quoi s'armer pour défendre le soldat betterave la saison suivante ». D'après lui, il s'agira probablement d'une combinaison de pratiques agroécologiques et de techniques génétiques pour renforcer la résistance des semences.
En somme, d'ici là, les dérogations par mesure préventive risquent de se poursuivre. Autrement, indique Alexandre Quillet, le risque de reproduire la crise de la betterave de 2020 pourrait impacter une partie non négligeable des exploitations, les pousser à la reconversion et mettre, peut-être, un coup d'arrêt à la filière. Pourtant, rappelle Stéphen Kerckhove, « la loi n'est pas un blanc-seing pour trois ans ».