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Nitrate d'ammonium dans les ports : un rapport sénatorial pointe de sérieuses lacunes

Nouvelle alerte, du Sénat cette fois, sur les insuffisances dans le suivi et la manutention des ammonitrates dans les ports fluviaux. Pourtant, rien n'a bougé sur ce plan ni sur celui des installations agricoles depuis la précédente mission.

Risques  |    |  L. Radisson
Nitrate d'ammonium dans les ports : un rapport sénatorial pointe de sérieuses lacunes

La catastrophe du port de Beyrouth, le 4 août 2020, en avait été le déclencheur. Le Sénat a publié, le 6 juillet, le rapport (1) de sa mission d'information sur les risques liés au nitrate d'ammonium dans les ports. Les rapporteurs (2) se veulent rassurants sur le fait que cette substance, dans sa formulation technique destinée à la fabrication d'explosifs, ne représente qu'une très faible part des volumes transportés en France. En revanche, comme l'avait fait avant eux une mission de hauts fonctionnaires, dans un rapport publié en juin 2021, les sénateurs pointent de « sérieuses lacunes » dans le suivi des ammonitrates par voie fluviale et leur manutention dans les ports.

La France compte parmi les plus gros consommateurs d'ammonitrates haut dosage du fait de leur utilisation comme engrais agricole. Or, cette substance peut occasionner des explosions, en cas de mauvaises conditions de stockage ou si elle est prise dans un incendie, comme l'a dramatiquement montré l'accident de Saint-Romain-en-Jarez (Loire) durant lequel, en 2003, 26 pompiers avaient été blessés, dont neuf grièvement.

Insuffisances de surveillance

Les sénateurs relèvent, en premier lieu, des insuffisances dans la surveillance du trafic de marchandises dangereuses par voie fluviale, mais aussi maritime, sans d'ailleurs avoir réussi à collecter des informations exhaustives sur ces transports. Seule la répartition des flux importés, qui ne représentent que 20 % de la consommation nationale, est en effet disponible. Elle montre que le trafic relève à 45 % du maritime et à 17 % du fluvial.

La mission propose de mettre en place des systèmes d'information sur le suivi des matières dangereuses transportées par les deux modes, permettant une consolidation des données à l'échelle nationale. Elle demande également de définir un programme de contrôle visant à cibler les importations d'ammonitrates « à forts enjeux de conformité à la réglementation européenne ». Le règlement européen du 5 juin 2019 impose, en effet, certaines caractéristiques physico-chimiques, des tests de détonabilité et des modalités de certification à ces fertilisants.

Afin de renforcer cette surveillance défaillante, les rapporteurs demandent également de rendre effective l'obligation d'annonce du transport de matières dangereuses par voie fluviale dans les règlements particuliers de police de la navigation intérieure (RPPNI). Cette obligation est appliquée de façon inégale sur le territoire national, relève-t-elle. Les sénateurs recommandent, par ailleurs, d'inscrire dans le contrat d'objectif et de performance (COP) de Voies navigables de France (VNF) la transmission aux administrations concernées des informations issues de ces annonces.

Les auteurs de la mission préconisent aussi de publier une instruction qui préciserait les tâches et les responsabilités des services centraux (DGPR, DGITM, DGAMPA) et déconcentrés (capitaineries, DDTM, DDT, Dreal, VNF) de l'État pour la prévention et la gestion des risques liés aux ammonitrates dans le transport maritime et fluvial. Cette recommandation fait suite au constat de la multitude d'intervenants, mais de l'absence « d'autorité clairement identifiable pour la police des matières dangereuses dans les ports ».

Vide juridique pour la manutention fluviale

La mission pointe ensuite la différence d'encadrement réglementaire de la manutention des matières dangereuses dans les ports fluviaux par rapport à celle des ports maritimes. Dans ces derniers s'impose le règlement pour le transport et la manutention des matières dangereuses dans les ports maritimes (RPM) qui interdit le déchargement en vrac d'ammonitrates haut dosage et encadre le dépôt temporaire de ces matières. Le 20 février dernier, le ministère de la Transition écologique a publié un arrêté qui renforce la réglementation encadrant ces dépôts : diminution des quantités maximales, augmentation des distances minimales entre îlots, gardiennage.

Pour le fluvial, les sénateurs constatent, en revanche, un vide juridique, mis à part l'obligation pour les préfets d'agréer les lieux de chargement et de déchargement des matières dangereuses. Ils recommandent, par conséquent, l'adoption d'un règlement national sur le transport et la manutention des matières dangereuses par voie fluviale, à l'instar du RPM en matière maritime. De même que sa déclinaison dans les règlements des ports fluviaux. Les parlementaires demandent de mettre « enfin » en application l'obligation d'identification des lieux de chargement-déchargement par les préfets.

Les rapporteurs refusent pourtant tout alarmisme en la matière, compte tenu du « caractère limité du trafic fluvial »  d'ammonitrates haut dosage et des constatations qu'ils ont pu faire à l'occasion de trois visites sur le terrain dans les ports de Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Seine-Maritime), de Metz (Moselle) et de Neuves-Maison (Meurthe-et-Moselle). Le premier avait pourtant été mis sur la sellette par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'économie (CGE).

Angle mort des installations agricoles

L'absence d'inquiétude des sénateurs interpelle, car les constats qu'ils opèrent ont déjà été établis dans le rapport remis par ces deux instances à leur ministre de tutelle, en mai 2021. Ce qui frappe également, c'est l'absence de toute préconisation concernant le secteur agricole. Certes, la mission portait sur les ports, mais les hauts fonctionnaires n'avaient, quant à eux, pas hésité à se saisir de cette question où leur mission avait identifié les risques les plus importants.

Plus d'un an après, aucune mesure n'a été mise en œuvre pour répondre aux préoccupations soulevées sur les deux secteurs les plus préoccupants : les ports fluviaux et les stockages dans les exploitations agricoles. Seuls le renforcement des inspections et la modification de la réglementation dans les ports maritimes, pour laquelle les hauts fonctionnaires avaient pourtant jugé la situation satisfaisante, ont été effectués. Le ministère de la Transition écologique avait pourtant manifesté son intention d'agir sur les deux tableaux. En janvier dernier, il a mis en consultation deux textes visant à renforcer l'encadrement des stockages agricoles à travers la réglementation des installations classées (ICPE) après avoir effectué des contrôles inquiétants. Mais ces projets ont suscité une levée de boucliers de la FNSEA et de plusieurs organisations professionnelles, qui ont mis en avant l'absence d'étude d'impact économique, ainsi que des arguments de souveraineté nationale alors que les ammonitrates haut dosage sont fabriqués essentiellement en France.

Les sénateurs ne se désintéressent toutefois pas complètement de la question. Ils indiquent attendre les conclusions d'une… nouvelle mission demandée par le gouvernement aux inspecteurs du CGEDD et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Débutée en juin, cette mission, qui doit remettre ses conclusions en décembre 2022, doit évaluer les conséquences économiques d'un abaissement des seuils de la nomenclature des ICPE pour les ammonitrates. Rappelons qu'après l'accident de Saint-Romain-en-Jarez, un premier rapport avait préconisé la réglementation des dépôts d'engrais à la ferme en-dessous des seuils ICPE. Cela fera bientôt vingt ans.

1. Télécharger le rapport
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40034-senat-rapport-information-ammoninitrates-ports-fluviaux.pdf
2. Martine Filleul (Soc.), Pascal Martin (UC), Philippe Tabarot (LR).

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