Ce jeudi 4 septembre, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la France, jugeant qu'elle n'a pas adopté certaines mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre complète et correcte de l'ensemble des exigences de la directive 91/676/CEE de 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. "La République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive", a estimé la Cour, qui reprend à son compte les griefs formulés par la Commission à l'encontre des plans d'action applicables dans les zones vulnérables.
Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie, et Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, indiquent avoir pris acte de la condamnation, soulignant que les programmes d'action incriminés "s'appliquaient dans les zones vulnérables entre 2009 et 2012". Ils s'agit d'"une ancienne génération de programmes d'action", expliquent-ils, rappelant que "la France a engagé en 2011 puis en 2013 une vaste réforme de son dispositif réglementaire « nitrates » pour tenir compte des critiques de la Commission". Ils précisent par ailleurs que "la plupart des sujets soulevés dans le jugement de la Cour de Justice ont déjà été corrigés dans le nouveau dispositif", et que des discussions sont engagées avec la Commission "sur certains points sensibles", tels que les modalités de stockage des fumiers compacts au champ ou l'épandage sur les sols en forte pente.
Cette décision n'est pas une surprise puisqu'en janvier, Juliane Kokott, l'avocat général de la CJUE, avait demandé la condamnation de la France. Par ailleurs, la France conduit actuellement la difficile révision des zones vulnérables et de leurs plans d'action. En juillet, à l'occasion de la présentation en conseil des ministres d'une communication sur la politique de l'eau, Ségolène Royal avait indiqué vouloir faire une priorité de la lutte contre les nitrates. La ministre compte notamment ajouter 3.800 communes supplémentaires aux 19.000 classées en zone vulnérable. Elle attend aussi beaucoup du plan "Energie Méthanisation Autonomie Azote" (EMAA), lancé par les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement en mars 2013 et initié en 2010 avec le plan Algues vertes.
Pour rappel, il s'agit de la deuxième condamnation de la France pour mauvaise application de la directive nitrates. En juin 2012, la CJUE avait condamné la France pour manquement dans la mise en œuvre de la directive. La Cour avait suivi la Commission européenne qui déplorait une désignation incomplète des zones vulnérables aux nitrates lors de leur révision effectuée en 2007. Dix zones vulnérables dans les bassins Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée-Corse et Adour-Garonne auraient dû être ajoutées.
Si la France ne satisfait pas aux attentes de la Commission, de nouvelles condamnations pourraient être prononcées, aboutissant à des amendes qui devraient se chiffrer en dizaines de millions d'euros.
Les six griefs de la Commission
Dans sa requête, déposée en mai 2012, la Commission européenne avait soulevé six griefs concernant principalement l'arrêté du 6 mars 2001 relatif aux plans d'action à mettre en œuvre dans les zones vulnérables.
Le premier concernait les périodes minimales pendant lesquelles l'épandage des divers types de fertilisants est interdit. L'exécutif européen reprochait d'avoir prévu des périodes d'interdiction d'épandage des fertilisants contenant de l'azote organique (le lisier ou le fumier pailleux, par exemple) trop restreintes.
La Commission reprochait ensuite à la France l'absence de règles contraignantes, comportant des critères clairs, précis et objectifs, concernant le calcul des capacités de stockage d'effluents d'élevage. De même, rien ne garantissait que les exploitations soient dotées de ces capacités. Enfin, la France autorisait le stockage au champ du fumier compact pailleux, pour une durée de 10 mois.
Le troisième grief visait l'absence de règles permettant aux agriculteurs et aux autorités de contrôle de calculer de manière exacte la quantité d'azote pouvant être épandue afin de garantir une fertilisation équilibrée.
La Commission critiquait aussi les valeurs de rejet d'azote prévues par la circulaire du 15 mai 2003 pour les vaches laitières, les autres bovins, les porcins, la volaille, les ovins, les caprins, les équins et les lapins. Ces valeurs ont été calculées sur le fondement de quantités d'azote excrété par les animaux inexactes ou de coefficients de pertes d'azote par volatilisation surestimés, estimait l'exécutif européen. De telles valeurs ne permettraient pas de garantir le respect de la limite d'épandage des effluents d'élevage fixée à 170 kg d'azote par hectare par an.
Cinquième grief : la France ne disposait pas de règles satisfaisantes, comportant des critères clairs, précis et objectifs, concernant les conditions d'épandage de fertilisants sur les sols en forte pente. La réglementation française ne précisait pas les pourcentages de pente au-delà desquels l'épandage de fertilisants est interdit.
Enfin, la Commission reprochait l'absence de règles interdisant l'épandage de tout type de fertilisants sur les sols gelés ou couverts de neige alors qu'un tel épandage comporte des risques importants de ruissellement et de lessivage.
Mieux appliquer la directive ou pousser à sa révision ?
"Cette nouvelle condamnation n'est évidemment pas une surprise, tant les gouvernements successifs ont tellement tergiversé et fui leurs responsabilités, pour ne pas déplaire à la FNSEA", estime l'association Eau et rivières de Bretagne (ERB). Elle rappelle notamment que l'abandon des captages pollués et les marées vertes "constituent les signes les plus visibles de cette pollution qui coûte chaque année plus d'un milliard d'euros aux contribuables". ERB demande d'ailleurs que les éventuelles amendes soient payées par le ministère de l'Agriculture et la FNSEA qualifiés de "co-gestionnaires de la politique agricole qui a nitraté nos rivières".
ERB estime que les outils réglementaires, financiers, techniques permettant de soutenir et de développer une agriculture respectueuse de l'environnement existent. "Des milliers d'exploitations en font déjà la démonstration !", rapporte l'association, ajoutant qu'"il n'y a aucune fatalité à la pollution par les nitrates. C'est la volonté politique qui manque !". Et de demander au gouvernement de mettre en œuvre rapidement trois mesures : taxer les engrais chimiques azotés, utiliser les aides de la politique agricole commune pour encourager les pratiques agricoles à basses fuites d'azote, renforcer et mieux contrôler et sanctionner la réglementation préventive des pollutions dans les zones vulnérables.
Pour la FNSEA, les Jeunes agriculteurs, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et Coop de France, cette nouvelle condamnation "[démontre] à quel point nous sommes aujourd'hui dans l'impasse, les pouvoirs publics ayant conduit les agriculteurs dans le mur". Ils rappellent notamment le renforcement de la réglementation française intervenu depuis le début de la procédure de recours ouverte par la Commission. "Multiplication des contrôles, de décisions inadaptées, de jugements biaisés, empilement de mesures incompréhensibles et inapplicables, voilà désormais le quotidien des agriculteurs", déplorent-ils, ajoutant que "la directive « nitrates » actuelle a perdu la tête !".
Estimant que "les producteurs subissent les entraves règlementaires de l'Union européenne et les surtranspositions françaises", ces représentants du monde agricole réclament qu'"au vu des nouvelles connaissances scientifiques sur ce sujet, il faut remettre à plat la directive européenne sur les nitrates".