Plusieurs actions d'éclat ont été menées par des agriculteurs, dans le Sud-Ouest notamment, en fin de semaine dernière. Les raisons de cette grogne ? La désignation de nouvelles communes en zones vulnérables aux nitrates dévoilée fin juillet par le ministre de l'Agriculture afin de satisfaire aux exigences de la directive nitrates.
La France, condamnée par la Cour de justice de l'UE en juin 2013 pour désignation incomplète de ces zones puis le 4 septembre dernier pour insuffisance des plans d'actions, doit en effet donner des gages à l'Europe pour éviter de lourdes sanctions financières.
Nuit du fumier
Les agriculteurs du Sud-Ouest ont organisé une "nuit du fumier" le 18 septembre au soir, durant laquelle plus de 2.000 exploitants ont manifesté à l'appel des Jeunes Agriculteurs (JA) dans toute la région Midi-Pyrénées. Il faut dire que cette région est particulièrement touchée par le nouveau classement, jusque-là beaucoup moins impactée que l'Ouest et le Nord par les pollutions aux nitrates. Mais d'autres actions ont également été menées sur l'ensemble du territoire national, à l'initiative notamment de la FNSEA et des JA.
"Au moment même où la conjoncture agricole est au plus bas, ce nouveau zonage est tout simplement le coup fatal pour les éleveurs de notre département. En effet, les coûts de mise aux normes sont exorbitants, de l'ordre de 50.000 euros pour les éleveurs laitiers", s'insurgent les Jeunes Agriculteurs de Haute-Garonne.
Absence de fondement scientifique ?
Le syndicat agricole réclame un zonage fondé sur des données scientifiques et agronomiques. "Alors que jusqu'à présent, la directive nitrates concernait les zones où le seuil de nitrates dépassait 50 mg/l, le nouveau critère choisi par le gouvernement est de 18 mg/l. Un seuil, sorti du chapeau sans aucun fondement scientifique, que l'Etat lui-même n'arrive pas à nous justifier !", s'indignent les Jeunes Agriculteurs.
La Coordination rurale dénonce également l'absence de prise en compte des connaissances scientifiques et médicales dans ce domaine. "Les nitrates ne sont pas responsables de l'eutrophisation car les coupables sont les phosphates industriels et domestiques directement dissous dans l'eau (…)", affirme l'organisation agricole. Cette dernière déclare par ailleurs que "les nitrates sont bons et indispensables pour la santé humaine et ne peuvent donc pas rendre l'eau impropre à la consommation à des taux de 50 mg/l". Un avis diamétralement opposé à celui des eurodéputés verts, selon lesquels "le lien entre l'ingestion de nitrates et certains cancers est (…) avéré".
Outre l'absence de fondement scientifique, la FNSEA dénonce de son côté plusieurs carences dans ce projet de classement qu'elle juge "simplement inacceptable" : l'absence de prise en compte des efforts réalisés par les agriculteurs qui devrait conduire au déclassement de certains zones, l'absence d'accompagnement financier, ainsi que la non-prise en compte des spécificités territoriales. "Il n'est pas concevable que tous les départements, aux caractéristiques pédoclimatiques et aux productions différentes, soient soumis aux mêmes cahiers des charges", estime le syndicat agricole qui demande de rouvrir le débat sur la question des épandages sur les sols en pente, sur les périodes d'interdiction d'épandage et sur le stockage des effluents.
L'agriculture intensive pointée du doigt
"La source principale de nitrates varie selon les régions", reconnaît France Nature Environnement (FNE). Dans les régions d'élevage, les nitrates proviennent des lisiers et fumiers, et les pollutions sont dues à des concentrations excessives d'animaux qui imposent une importation massive d'aliments, analyse la fédération d'associations de protection de l'environnement. Dans les régions de grandes cultures, ajoute-t-elle, l'azote provient des engrais minéraux apportés en grande quantité pour augmenter les rendements. Mais, dans les deux cas, l'agriculture intensive est pointée du doigt.
"L'Etat doit s'orienter vers une vraie agroécologie, qui soit économiquement et environnementalement performante", conclut FNE qui émet toute une série de propositions dans un dossier publié à l'occasion de la nouvelle condamnation de la France. Des propositions assez éloignées de celle du Premier ministre Manuel Valls qui, réagissant à cette condamnation, s'est prononcé en faveur d'une adaptation de la directive dont l'approche normative aurait montré ses limites. Une manière de casser le thermomètre pour éviter de voir la fièvre.