"La première révolution industrielle a démarré ici, dans le Nord-Pas-de-Calais. Nous devons les aider à se réinventer pour la troisième révolution industrielle", a déclaré l'économiste américain Jeremy Rifkin qui a présenté, le 25 octobre, à Lille, son "master plan". L'idée : faire de la région une pionnière dans le domaine des énergies renouvelables, des bâtiments positifs, du stockage de l'énergie, des réseaux intelligents, des transports non polluants… Autrement dit, les cinq piliers identifiés par l'économiste pour entrer dans l'ère post carbone à l'horizon 2050.
Onze mois de travaux collectifs ont été nécessaires pour aboutir à un diagnostic complet et partagé. Cofinancés par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) et le Conseil régional, à hauteur de 360.000 euros, ces travaux vont désormais être traduits dans une feuille de route régionale qui sera présentée d'ici la fin de l'année et définira les priorités, le programme opérationnel et le calendrier de mise en œuvre. "La Troisième révolution industrielle sera évidemment inscrite dans les priorités du futur contrat de plan État-Région", indique Daniel Percheron, le Président du conseil régional.
"Le temps est venu de la confrontation avec la puissance économique du Nord-Pas de Calais, fondée sur des milliers d'entreprises, un PIB de 100 milliards d'euros, 10% des exportations françaises. Nous sommes aujourd'hui en état intellectuel et physique d'être la première région de France à pouvoir décliner concrètement la pensée de Rifkin", déclare Daniel Percheron.
Celui-ci estime que près de 800.000 euros par an pourront être engagés grâce à la mobilisation du contrat de plan Etat-Région mais aussi des fonds structurels européens, des investissements d'avenir… Le plan table sur 5 milliards d'investissements privés et publics par an entre 2014 et 2015, soit 5% du PIB annuel de la région. "Parallèlement, la seule baisse de la facture énergétique (économies estimées à 7 milliards d'euros en rythme annuel en 2050) occasionnera un transfert de flux vers d'autres secteurs plus porteurs en termes d'emploi".
Conjuguer efficacité environnementale et sociale
En matière de développement durable, l'ancienne "usine de France" n'est pas vierge, souligne d'abord la synthèse du rapport. Trame verte et bleue, plan de rénovation de l'habitat (100.000 logements), schéma régional des transports et mobilités… font déjà partie des actions lancées à l'échelle de la région, tandis que communes, départements, citoyens et entreprises se mobilisent également.
Le master plan s'appuie notamment sur le Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) qui vise, en 2050 dans ses scénarios les plus volontaristes, un objectif de réduction de la consommation d'énergie de 60% et une division par 4 des émissions de gaz à effet de serre (GES).
"Une des principales faiblesses de la région Nord-Pas de Calais tient dans l'inefficacité de sa consommation énergétique (sa principale force consistant à pouvoir faire beaucoup mieux)", souligne le master plan. Alors qu'en France, la consommation d'énergie moyenne par habitant et par an est de 27.800 kWh, dans le Nord-Pas de Calais, elle atteint 35.700 kWh. "Au plan macroéconomique, chaque GWh d'énergie produit 600.000 euros de PIB en Nord-Pas de Calais, quand il génère 948.000 euros de PIB en moyenne en France. Autrement dit : la France mobilise en moyenne 8% de son PIB en énergie, quand la région en mobilise 13%".
Pour davantage d'efficacité, différents leviers devront être levés. En conjuguant économie de fonctionnalité (basée sur les services et non sur les produits) et économie circulaire, "deux modèles économiques complémentaires", la région engagera "une décroissance rapide des prélèvements de ressources naturelles non renouvelables". Le SRADDT fournit déjà une feuille de route détaillée et des outils : financements adaptés, tissu d'éco-entreprises et de laboratoires agréés, circuits courts, services de mutualisation de biens…
Le plan vise aussi l'efficacité environnementale et sociale, c'est-à-dire l'intégration, "dans toutes les démarches, [de] la question du besoin réel, de l'intérêt particulier et collectif, de l'éco-conception des produits et services, du cycle de vie des matériaux, des impacts sociaux et environnementaux…".
Parallèlement, il faudra modifier les réglementations et les dispositions fiscales pour favoriser les investissements. Un travail de sensibilisation et d'éducation devra être mené pour éviter l'effet rebond et "enraciner durablement les nouveaux comportements". Les formations devront être adaptées aux transitions engagées.
Mobiliser toutes les ressources du territoire
Toutes les énergies renouvelables devront être mobilisées. L'autoconsommation devra être incitée via un nouveau cadre juridique, ainsi que le tiers investissement. Pour chacune des énergies renouvelables, le master plan identifie les leviers d'action. Coopératives de petits producteurs, cadastre solaire et simplifications administratives peuvent permettre un meilleur déploiement du photovoltaïque. Développer l'éolien terrestre, dont le potentiel est estimé à 3.000 MWh/an, dans les sites en reconversion, nombreux dans la région, devrait permettre de limiter l'opposition à cette énergie et d'en réduire les coûts (transport facilité, besoin en voiries nouvelles diminué, connexion au réseau rapprochée…). Pour l'éolien en mer, la région peut "s'appuyer sur son industrie sidérurgique et ses infrastructures maritimes pour viser une position de leader dans la logistique éolienne en mer". Enfin, la méthanisation agricole et de déchets ménagers doit être soutenue, car elle pourrait "fournir 40% des besoins en gaz de la région d'ici 2050 (dans le contexte d'une consommation d'énergie de chauffage décroissante)", soit les besoins en chauffage l'hiver, ainsi que des intrants naturels et des composants utiles aux secteurs de la construction (isolants…).
Le stockage de l'énergie devra être développé. Outre l'hydrogène et la mobilisation du parc de véhicules électriques, le plan table sur le stockage hydraulique "dans les anciennes mines de charbon (pompage-turbinage entre un bassin de surface et un bassin en sous-sol) ou encore la construction de réservoirs géants dans les eaux peu profondes de la Manche (déjà à l'étude en Belgique sur la mer du Nord)". A plus long terme, le stockage à air comprimé est également envisagé.
Enfin, les smart grid seront développés, pour maîtriser les consommations (compteurs intelligents), analyser et modifier les flux (création d'une plateforme de centralisation des données) et optimiser la régulation (développement de micro réseaux localisés en parallèle des super réseaux).
L'intelligence sera également au service des transports. "Avec l'internet de la logistique [conjuguée à une infrastructure ouverte], les entreprises de transport et de logistique voient s'ouvrir un vaste chantier de rationalisation des flux qui engendrera des économies d'énergies, de temps perdu en embouteillage, d'investissements…". De même, une Agence des mobilités visera à optimiser le transport des personnes (interconnexion des réseaux, tarification unique des trajets multimodaux, rôle réservé au vélo ou à la marche…).
Le projet n'oublie pas la biodiversité. "Un programme de reconquête des friches industrielles, anciens sites miniers, permettra d'ouvrir de nouveaux territoires dépollués, utiles à la régénération de la biodiversité,à la production de biomasse, au redéploiement des cultures de proximité, tout en effaçant les séquelles des précédentes révolutions industrielles".