À Belfort, Emmanuel Macron a donné sa vision du futur énergétique de la France. Selon les travaux de RTE, la hausse de la consommation électrique et la relance du nucléaire envisagée par le président auraient effectivement des bénéfices économiques.
Le 10 février, Emmanuel Macron a déroulé ce qu'il jugeait être la feuille de route idéale s'agissant du développement énergétique de la France à l'horizon 2050. Relance du nucléaire, accélération plus ou moins relative des énergies renouvelables, le futur système électrique imaginé par le président de la République n'est pas sans rappeler les propositions prospectives élaborées par RTE, le gestionnaire du réseau d'électricité, en octobre 2021. À l'occasion de la présentation d'analyses complémentaires et de la clôture officielle de ses travaux en la matière, RTE est justement revenu sur la compatibilité des annonces du président avec ses scénarios.
Miser sur la trajectoire de réindustrialisation
« À la publication de notre rapport, nous recommandions qu'il était urgent de se mobiliser et de prendre des orientations concernant la composition de notre futur mix électrique, rappelle Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE. Nous nous réjouissons donc que des orientations aient été prises. » Dans son discours prononcé à Belfort, Emmanuel Macron s'est appuyé sur l'une des hypothèses émises par RTE : une augmentation de la consommation électrique de la France, en 2050, jusqu'à 60 % de plus que ce qu'elle était en 2020. Cette hausse drastique résulterait d'une électrification massive des usages, en particulier dans le secteur industriel, dans l'optique du remplacement des énergies fossiles et de la neutralité carbone en 2050. La réindustrialisation de la France, déjà esquissée par le plan d'investissement France 2030 et les mesures de « décarbonation profonde » du secteur, est effectivement au cœur de la stratégie économique du gouvernement.
Il était urgent de se mobiliser et de prendre des orientations concernant la composition de notre futur mix électrique
RTE a modélisé cet avenir envisagé par Emmanuel Macron au sein de l'une de ses trois trajectoires principales, celle de «
réindustrialisation profonde ». La hausse de 60 % de la consommation électrique à laquelle elle correspond
« implique que le système électrique devra être plus gros », souligne Xavier Piechaczyk. Pour répondre à cette éventualité, RTE a formulé six scénarios de mix de production d'électricité décarbonée, s'appuyant sur diverses proportions d'énergies renouvelables et de nucléaire en fonction des trajectoires prévisionnelles de consommation. Parmi ces six stratégies énergétiques, Emmanuel Macron se rapproche des deux s'appuyant le plus sur l'atome.
Deux scénarios en un
Pour rappel, dans sa propre vision prospective, le président envisage d'atteindre 100 gigawatts (GW) d'énergie solaire photovoltaïque installés en France en 2050, 40 GW d'éolien en mer et 40 GW d'éolien terrestre. Il ajoute à cela environ 25 GW de « nouveau nucléaire », constitués de six à quatorze réacteurs de type EPR2 et de quelques petits réacteurs modulaires (SMR), accompagnés d'un nombre indéterminé de « tous les réacteurs nucléaires (existants) qui peuvent être prolongés », parmi les 61,4 GW du parc actuel. Sur le papier, cette configuration hypothétique s'approche des scénarios de RTE surnommés « N2 », comportant 63 % d'énergies renouvelables et 36 % de nucléaire, et « N03 », partageant le mix électrique à 50-50. Appliqués à la trajectoire de « réindustrialisation » modélisée par RTE, ces mix se composent de :
- entre 119 (N2) et 98 GW (N03) de photovoltaïque ;
- entre 54 et 40 GW d'éolien offshore ;
- entre 60 et 54 GW d'éolien terrestre ;
- et entre 23 et 27 GW de nouveau nucléaire (14 EPR2, sans ou avec SMR), ainsi que 16 à 24 GW de nucléaire historique prolongé au-delà de soixante ans d'activité.
Le coût des trajectoires de référence et de sobriété
Lors de la présentation des analyses complémentaires de son rapport 2050, RTE a donné son estimation du coût total du système électrique. En moyenne, quelle que soit la configuration du mix envisagé (parmi les six scénarios élaborés), la différence entre les trajectoires de consommation électrique de référence (arrêtée à 645 TWh), de sobriété (555 TWh) et de réindustrialisation (752 TWh) est de plus ou moins 10 milliards d'euros par an. « L'intérêt économique de faire du nouveau nucléaire ne change pas dans un scénario sobre », atteste néanmoins Xavier Piechaczyk.
« Ce que le président a mis sur la table ne correspond pas exactement à l'un de nos scénarios, statue Xavier Piechaczyk.
Nous les avons construits comme des idéotypes contrastés pour éclairer le débat. » En somme, seul le ralentissement du développement de l'éolien terrestre anticipé par Emmanuel Macron n'entre pas en adéquation avec les répartitions de production électrique formulées par RTE. Son directeur assure néanmoins que cette différence ne serait pas de nature à mettre en cause la sécurité d'approvisionnement électrique à l'avenir. Quant à son impact économique, «
pour chaque mix, on peut augmenter ou non la part de l'éolien terrestre : l'enjeu n'est pas économique, mais d'acceptabilité », souligne Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie, prospective et évaluation chez RTE.
Le choix de la compétitivité économique ?
L'intérêt des travaux de RTE, et de leur mise en perspective avec les annonces d'Emmanuel Macron, réside surtout dans leur évaluation économique. Selon le gestionnaire du réseau électrique, la relance du nucléaire dans un contexte de réindustrialisation envisagée par le président a un véritable avantage économique. Le coût total d'un tel système électrique varie ainsi entre 71 milliards d'euros par an (Md€/an), dans le scénario « N2 », et 67 milliards par an, dans le scénario « N03 », avec le plus de nouveaux réacteurs et de réacteurs nucléaires historiques prolongés.
Évolution du coût total du système électrique (en fonction des six scénarios de mix électrique possible) selon les trajectoires de réindustrialisation et de référence.
© RTE
À titre de comparaison, le coût pour le scénario « M0 », comportant un mix à 100 % d'énergies renouvelables, suivant la trajectoire de réindustrialisation s'élève à 86 Md€/an, contre un peu plus de 40 Md€ dépensés pour le mix électrique en 2020. Les dépenses d'investissement, nécessaires au lancement de nouveaux réacteurs et à l'accroissement des énergies renouvelables entre 2020 et 2060, se chiffrent, quant à elles, à environ 770 milliards d'euros (soit 200 milliards de moins que pour les scénarios sans nouveau nucléaire).
« Le coût rapporté au mégawattheure (MWh) d'énergie consommée est sensiblement le même, quoi qu'il en soit, assure cependant Xavier Piechaczyk.
Le système électrique est donc très largement finançable et supportable d'ici à 2050. »
Enfin, du point de vue économique, le gestionnaire du réseau électrique donne l'avantage à encore plus d'énergie nucléaire après 2050. « Dans un mix optimal théorique, le plus compétitif économiquement, il nous faudrait privilégier de l'éolien en mer posé près des côtes, sans éolien flottant, de grands parcs solaires au sol plutôt que des petits sur toitures, et viser 40 GW de nouveau nucléaire d'ici à 2060 », avance Thomas Veyrenc. Autrement dit, pour offrir l'électrification massive des usages la plus avantageuse économiquement, s'arrêter à 14 EPR2 lancés en 2050 ne serait pas suffisant à terme. Atteindre les 40 GW escomptés impliquerait de mettre en service dix réacteurs additionnels sur dix ans.
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