En août 2019, le CEA annonce l'abandon d'Astrid, le projet de réacteur nucléaire de 4ème génération capable de consommer les produits issus du « recyclage » des combustibles usés. Ce projet s'inscrivait dans la lignée des réacteurs français à neutrons rapides refroidis au sodium initiée avec Rapsodie (en service de 1967 à 1983) et poursuivie avec Phénix (1974 - 2009) et Superphénix (1984 - 1997). L'arrêt d'Astrid remet en cause la stratégie française de retraitement du combustible usé conduite depuis plusieurs décennies, alerte un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) présenté ce mercredi 21 juillet. Les parlementaires demandent que « [soit fondée] une nouvelle stratégie de recherche sur le nucléaire avancé au travers d'un projet ou d'une proposition de loi programmatique ».
La stratégie de fermeture du cycle est clairement remise en cause
« En ne poursuivant pas Astrid, la France met de côté les investissements réalisés depuis 40 ans pour réutiliser les matières et fermer le cycle [du combustible] », explique l'Opecst. Il s'agit d'abord des investissements de recherche réalisés depuis la fin des années 1950. Sur ce point, l'Opecst demande que « [soit identifiée] la meilleure façon de valoriser les acquis du projet Astrid et des travaux précédents sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium ». L'Opecst craint surtout la perte de compétence, à l'image de ce qu'il s'est passé avec l'arrêt de la construction de réacteurs « classiques ». Les difficultés rencontrées sur le chantier de l'EPR en témoignent, rappelle l'Office qui défend le lancement d'un nouveau projet de réacteur de 4ème génération.
Mais l'enjeu est en réalité ailleurs : « l'arrêt d'Astrid n'est pas qu'une question de choix technologique, ça touche beaucoup de sujets », alerte le rapporteur Stéphane Piednoir (député Les Républicains du Maine-et-Loire). L'un des plus importants est le choix français de « fermer le cycle du combustible ». Par « fermeture du cycle », on entend la stratégie qui consiste à retraiter à La Hague (Manche) le combustible usé des réacteurs actuels pour séparer les déchets radioactifs de haute activité, le plutonium et l'uranium appauvri. Les déchets sont destinés à être enfouis à Bure (Meuse), alors que le plutonium et l'uranium appauvri sont censés entrer dans un nouveau cycle de production énergétique avec des réacteurs de 4ème génération.
L'abandon de cette stratégie de fermeture du cycle est-elle envisageable ? L'arrêt d'Astrid « pose clairement cette question », s'alarme Stéphane Piednoir. Le rapport juge même qu'il s'agit « [du] risque sans doute le plus grave résultant de la fin du projet Astrid ». Aussi l'Opecst demande-t-il à l'État de « réaffirmer [ce] choix stratégique ».
Que faire du plutonium et de l'uranium appauvri ?
L'abandon de cette stratégie remettrait en cause le statut des matières extraites du combustible depuis des décennies à La Hague et poserait ouvertement la question de l'avenir de l'usine de retraitement.
Le plutonium pourrait être éclusé avec l'utilisation du combustible Mox qui en consomme dans des réacteurs classiques. Il y a 10 ans, l'Opecst évoquait déjà cette possibilité. À l'époque, l'utilisation du Mox était jugée contreproductive, car elle ralentissait la constitution du stock initial de plutonium nécessaire au développement de la 4ème génération. Avec l'arrêt d'Astrid, le Mox pourrait maintenant constituer une opportunité pour consommer le plutonium… C'est d'ailleurs la stratégie menée depuis 2000 par les États-Unis et la Russie pour utiliser les « excès » de plutonium militaire.
Quant à l'uranium appauvri, son passage du statut de « matière » valorisable à celui de « déchets » est ouvertement envisagé. Il n'a d'ailleurs fallu que « quelques mois » après l'arrêt d'Astrid pour que cette remise en cause soit évoquée. Fin 2020, dans le cadre de l'élaboration du prochain Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), l'État a proposé de renforcer le contrôle du caractère valorisable des matières radioactives. Les 320 000 tonnes d'uranium appauvri accumulées depuis des décennies sont clairement visées. Pour l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le sujet ne fait même plus débat : la consommation du stock existant « est irréaliste (…) à l'échelle du siècle », prévient le gendarme du nucléaire qui « estime indispensable qu'une quantité substantielle d'uranium appauvri soit requalifiée, dès à présent, en déchet radioactif ». Sur ce sujet, le rapport de l'Opecst réclame que « [soit pris] le temps d'examiner la question ».
Rénover La Hague ou renoncer au traitement des combustibles ?
Reste la question de l'avenir de La Hague. À quoi bon séparer le plutonium et l'uranium appauvri si le stock du premier est déjà suffisant pour produire du Mox et le second devient un déchet ? « La question d'une remise en cause du retraitement des combustibles usés à La Hague finira nécessairement par se poser », admet le rapport. Et cela d'autant plus, explique l'Opecst, qu'il faudra consentir « un énorme effort » pour lancer le retraitement du combustible Mox usé et renouveler les installations actuelles, celles-ci arrivant en fin de vie à l'horizon 2040.
La France doit donc engager dès maintenant une réflexion et décider de reconstruire l'usine de La Hague ou d'abandonner le retraitement. Sur ce sujet, l'ASN a d'ailleurs averti les parlementaires en mai dernier : compte tenu des délais de mise en œuvre, la question devra être tranchée avec le 6ème PNGMDR qui prendra la suite de celui couvrant la période 2019-2021 (qui n'est d'ailleurs pas encore adopté…). Pour l'Opecst, un choix s'impose : l'État doit lancer la rénovation des installations du cycle.
Enfin, pour être complet, l'abandon du retraitement conduirait à enfouir le combustible usé, plutôt que les déchets séparés à La Hague. Bien sûr, Cigeo n'a pas été conçu pour cela et la faisabilité d'une telle solution n'a pas été étudiée. Sans compter que cette option n'a jamais été présentée aux populations concernées. Cela « pourrait ramener le projet de stockage géologique une trentaine d'années en arrière », s'alarme l'Opecst.