La construction de six EPR2, proposée par EDF et soutenue par Emmanuel Macron, pourrait coûter entre 52 et 56 milliards d'euros, selon un rapport publié par le gouvernement. La mise en service du premier réacteur est attendue pour 2037.
Une semaine après le discours d'Emmanuel Macron, à Belfort, le gouvernement a fini par rendre publics son rapport sur la faisabilité du nouveau nucléaire ainsi que les deux audits du programme proposé par EDF. Ces trois documents, publiés le 18 février, étaient prévus par la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) adoptée en avril 2020. Ils apportent des estimations sur les coûts et les délais attendus pour la construction de six réacteurs nucléaires de type EPR2 (ou réacteur pressurisé européen optimisé) dans les années à venir.
Attendue depuis la publication du rapport de RTE sur le mix électrique à horizon 2050, leur parution devait, initialement, précéder l'annonce du président de la République. En octobre dernier, une partie du document, intitulé « Travaux relatifs au nouveau nucléaire – PPE 2019-2028 », avait été obtenue par le média Contexte. D'après les informations révélées, l'Administration tablait sur un coût oscillant entre 52 et 64 milliards d'euros (Md€) pour six EPR2, contre 46 Md€ selon les premières estimations d'EDF en mars 2019. Quant au lancement des réacteurs, elle envisageait une première mise en service au plus tôt en 2040, soit cinq ans après la date proposée par EDF et retenue par RTE dans ses scénarios. Le rapport rendu public aujourd'hui affine les estimations.
Des coûts moindres grâce à la construction par paires
Tout d'abord, s'agissant du coût de construction d'un tel programme, le document du gouvernement le fixe entre 51,7 Md€, « en scénario médian, hors coûts de financement », et 56,3 Md€, dans un « scénario dégradé » intégrant des frais de retard. Le premier montant comprend la réalisation de trois paires d'EPR2, distribuées sur une période d'environ vingt-cinq ans, pour une durée d'exploitation de soixante ans à compter de leur mise en service. Cette enveloppe se décomposerait, a priori, comme suit :
- 3,8 Md€, pour « l'ensemble des études considérées comme identiques et réutilisables pour plusieurs tranches (réacteurs) ou paires » ;
- 16,9 Md€, pour la construction de la première paire (Paire 1) ;
- 15,8 Md€, pour la deuxième (Paire 2) ;
- Et 15,3 Md€ pour la troisième (Paire 3).
Par ailleurs, tout cela s'ajoute à 1,7 Md€ de frais de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs, ainsi qu'à 6,9 Md€ d'assurance face « aux incertitudes, risques, aléas et opportunités ».
L'engagement dans un programme de trois paires ne génère pas que des gains, il évite également des coûts induits et impacts sur la filière industrielle
Nuc Advisor et Accuracy, cabinets d'audits
Ce budget rejoint, à peu de choses près, le calcul formulé par le plus récent des deux audits : celui des cabinets
Nuc Advisor et Accuracy, réalisé en octobre 2021, arrête leur estimation à 52,2 Md€ dans leur propre
« scénario dégradé ». La même expertise mise également sur des
« gains liés aux effets de mutualisation [en référence à la construction par paires, NDLR]
s'élevant, a minima
, à 6,1 Md€ ». En outre,
« l'engagement dans un programme de trois paires ne génère pas que des gains, il évite également des coûts induits et impacts sur la filière industrielle dont le chiffrage est difficile à estimer à date », souligne les deux cabinets dans leur audit. Le cabinet Roland Berger, responsable du
premier audit daté de janvier 2020, évalue justement à 8 % la réduction moyenne des coûts des paires 2 et 3, par rapport à la première. En somme, il
« estime que le coût de l'EPR2, sur la base du coût d'un programme de trois paires de tranches, est compétitif vis-à-vis des réacteurs de troisième génération », en référence à l'EPR1 en construction à la centrale de Flamanville, aux réacteurs de Taishan, en Chine, d'Hinkley Point C, au Royaume-Uni, et d'Olkiuoto, en Finlande.
« La robustesse des coûts estimés pour les paires 2 et 3 sera également très dépendante du déroulé de la construction de la première paire, qui devra permettre de confirmer la levée des risques liés à la maîtrise des fabrications », souligne le rapport du gouvernement. Ce dernier avance qu'une année de retard sur les travaux d'un réacteur « coûterait de l'ordre de 100 millions d'euros, avant l'enclenchement du chantier, puis 600 millions d'euros, en phase de réalisation ».
Une paire d'EPR2, tous les trois ans, dès 2037
Concernant ensuite le calendrier, le rapport du gouvernement envisage le « couplage définitif au réseau d'un premier réacteur EPR2 » à l'horizon 2037 (voire fin 2038, dans le scénario dégradé), soit une marge de deux ans vis-à-vis de l'échéance avancée par EDF. « Le respect de cette échéance de 2037 dépend à court terme du calendrier de prise de décision et de la tenue des délais du processus de consultation et d'autorisation réglementaire », énoncent les auteurs du rapport.
Le gouvernement rappelle que les prévisions initiales d'EDF s'appuyaient sur l'hypothèse d'une saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) en mars 2012 – laquelle n'a finalement pas eu lieu. D'après les précédentes informations de Contexte, cette saisine aurait été décalée à septembre 2022, ce qui expliquerait les différences d'échéance. La date escomptée de première mise en service dépendra également de l'instruction du dossier par l'Agence de sûreté nucléaire (ASN), centrée sur le design pas encore totalement mâture de l'EPR2. L'obtention du décret d'autorisation de construction est ainsi attendue pour 2026.
Quid de la gestion des déchets radioactifs ?
La technologie de l'EPR2, élaborée en réaction à l'accident de Fukushima, est très similaire à l'EPR1, déjà en construction à Flamanville et en service ailleurs. Par conséquent, « les déchets qui seraient produits par de nouveaux réacteurs de type EPR2 sont similaires à ceux déjà produits par le fonctionnement du parc de réacteurs nucléaires actuel », affirme le rapport du gouvernement. Leur prise en compte ne remettrait donc pas en question les modalités en vigueur de maîtrise des risques des centres de stockage actuels. À cet égard, l'Agence nationale pour la question des déchets radioactifs (Andra) avance que les déchets les plus radioactifs des six EPR2 pourront notamment être accueillis dans le centre de stockage géologique prévu sous Bure (Meuse), Cigéo.
Quant à la durée de la construction de chaque réacteur, le calcul d'EDF serait de 148 mois (environ douze ans), entre la prise de décision effective de lancement du programme et la mise en service industrielle, pour le premier. À titre de comparaison, les deux réacteurs EPR1 de Taishan ont été construits en 110 et 113 mois et 200 mois pour le
finlandais. L'effet de la mutualisation des constructions pourrait néanmoins faire gagner six mois de travaux entre les tranches d'une même paire, selon l'audit du cabinet Roland Berger.
Enfin, l'audit d'Accuracy et de Nuc Advisor donne une idée des éventuels calendriers et lieux de construction des 6 EPR2, prévus donc par paires à trois ans d'intervalle chacune. La première paire, ciblée en 2037, serait installée dans la centrale de Penly (Seine-Maritime), la deuxième sur le site de Gravelines (Nord) et la troisième, au Bugey (Ain) ou à Tricastin (Drôme). Chaque réacteur devrait disposer d'une puissance d'environ 1,6 gigawatt.
Des retours d'expérience toujours attendus
« Ce rapport constitue un rapport d'étape, les travaux devant se poursuivre pour affiner les modalités de mise en œuvre d'un programme de construction de nouveaux réacteurs », conclut cependant le gouvernement. Ce dernier attend, d'une part, les résultats des premiers retours d'expérience sur la construction de l'EPR1 de Flamanville. Ces initiatives, surnommées « Excell » et « Juliette » en interne par EDF, donneraient déjà « des résultats positifs qui doivent désormais être consolidés ». En revanche, rien n'est dit sur les conséquences du dysfonctionnement observé récemment sur le réacteur chinois.
Il compte, d'autre part, sur les futurs « travaux d'affermissement et de levée des risques du projet en intégrant les retours issus du "detailed design" », c'est-à-dire lorsque la technologie (actuellement à l'état de « basic design ») aura gagné suffisamment de maturité. De plus, il reste vigilant sur le manque d'informations disponibles actuellement sur certains coûts, notamment ceux du génie civil et des futures chaudières commandées à Framatome.
Rien n'a malheureusement été dit sur l'éventualité, avancée par Emmanuel Macron et par RTE, d'ajouter huit (voire dix-huit) réacteurs EPR2 au-delà de ce premier lot de six.
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Note Télécharger l'audit du cabinet Roland Berger Plus d'infosArticle publié le 21 février 2022