Comme le souligne un récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) sur les politiques énergétiques en Europe, la majeure partie des centrales nucléaires du Vieux Continent sont en passe d'atteindre leur limite d'âge. Quelque 88 unités de production ont été retirées et devront être démantelées dans un futur prévisible. Quant aux nouvelles constructions, il s'agit des EPR en chantier à Flamanville en France et à Olkiluoto en Finlande, et de deux unités de technologie russe en République Slovaque. Des projets de nouvelles centrales sont à l'étude en Bulgarie, en République tchèque, en Finlande, en Hongrie, en Lithuanie, en Pologne, en Roumanie, et en Suède. Le Royaume-Uni entend relancer le nucléaire avec la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point dans le Somerset, situé dans le sud-ouest du pays.
Hinkley Point C, l'objet industriel le plus cher jamais construit
Reste que les déboires financiers du concepteur du réacteur EPR, Areva, ainsi que les retards et surcoûts du chantier EPR de Flamanville soulèvent des craintes sur l'avenir du projet britannique. Selon Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, "pour Hinkley point, la facture a encore augmenté avant le début du chantier. Selon une note de la Commission européenne, le coût pourrait atteindre 30 milliards d'euros pour les deux réacteurs. En outre, l'état de faillite virtuel d'Areva déclenche des inquiétudes. En Pologne, qui envisage de construire des réacteurs, le gouvernement et l'opinion publique comprennent que s'engager pour 35 ans à un tarif de 110 € le mégawatt-heure n'est pas très compétitif par rapport à leurs centrales thermiques ou à des projets d'éolien terrestre. Industriellement, Areva est dans une telle situation qu'on ne peut que douter de sa capacité à mener à terme de tels projets".
Au Royaume-Uni, les opposants au projet Hinkley Point C arguent du coût astronomique des deux réacteurs : selon Peter Atherton, de Liberum Capital, s'exprimant à un forum sur l'énergie organisé par The Spectator, le coût de la centrale de Hinkley fait de cette réalisation le plus coûteux objet jamais construit dans l'histoire du Royaume-Uni.
Démanteler ou prolonger
Sur les 131 réacteurs en fonctionnement dans l'Union européenne, 75% tournent depuis plus de 27 ans, et la moitié des unités sont en activité depuis plus de 29 ans. 25% des unités sont en production depuis 33 ans ou plus. "Ce qui signifie qu'il reste grosso modo dix ans pour les renouveler, ce qui est totalement hors de portée : ce sont des ordres de grandeur très supérieurs aux capacités industrielles et financières. Reste à savoir si on peut investir massivement dans le prolongement de leur durée de vie. Dans une logique de court terme, cet investissement peut être moins lourd que l'investissement dans de nouveaux moyens de production", analyse Yves Marignac.
Ces échéances, note l'AIE, requièrent de nouvelles décisions : faut-il démanteler dans un futur proche ces centrales, ou les prolonger, et selon quelles normes et quels investissements ? En Allemagne, la fermeture des centrales a été décidée conjointement par la Commission de la sécurité des réacteurs nucléaires et par la Commission éthique : huit réacteurs de plus de 30 ans ont été arrêtés en août 2011, d'une capacité de 8.422 MW, tandis que l'Allemagne décidait d'accélérer son programme de transition énergétique (Energiewende).
Les investissements dans les renouvelables s'annoncent plus rentables, comme en témoigne la décision spectaculaire de l'énergéticien allemand E-ON de séparer actifs positifs (ENR et réseaux électriques) et actifs négatifs (nucléaire et thermique). Selon Yves Marignac, "on voit fortement émerger en Europe la vision d'un système électrique tout renouvelable grâce au développement du réseau et du stockage, comme en témoigne la décision d'E-ON et une note de l'UBS suisse datée de fin août 2014 : les grosses centrales de production en base sont les dinosaures du système électrique de demain. On est en train de basculer vers un système électrique très différent : donc faut-il prolonger ou basculer ?"
Le coût de prolongation d'une centrale nucléaire est variable, selon les projets, et peut aller de quelques dizaines de millions d'euros pour moderniser un générateur de turbine, à des centaines de millions d'euros, voire un milliard, pour prolonger une centrale de 20 ans. Des chiffres de l'ordre de 1.000 euros le kilowatt pour l'ensemble de la modernisation de la flotte ont été avancés par EDF. Ces chiffres incluent la rénovation, le renforcement de la sûreté et de la capacité. "Maintenir la sûreté va coûter extrêmement cher en arrêts de tranche. D'une manière générale, l'industrie nucléaire sous-estime le coût et la capacité de mise en œuvre du prolongement de la durée de vie des centrales. Renouveler ou prolonger quelque 100 réacteurs en Europe serait une tâche titanesque", estime Yves Marignac.
Des retours d'expérience attendus
En matière de démantèlement, les retours d'expériences en cours sont attendus, selon les technologies. Le démantèlement du réacteur à eau pressurisée (dit PWR) de Chooz en France devrait être achevé en 2020, en Allemagne ce sont 9 réacteurs à eau bouillante (dits BWR) et 13 PWR qui sont en cours de démantèlement, en Italie deux BWR d'ici à 2025, aux Pays-Bas un BWR. Le démantèlement des réacteurs graphite-gaz est plus problématique en raison de la manipulation du graphite. C'est le cas de la centrale de Bugey en France. En Espagne, Enresa, l'entreprise nationale de traitement des déchets radioactifs, a achevé sur le réacteur Vandellos 1 la première tranche de ce type de décontamination en 2003 après 63 mois de chantier pour 93 millions d'euros. Cependant, le réacteur n'a pas encore été démantelé et attendra de l'être encore pendant 30 ans. En Lituanie, le démantèlement en cours des unités 1 et 2 de la centrale d'Ignalina est estimé à un coût de plus de 2,8 milliard d'euros, dont 1,58 milliards financés par l'Union européenne. En République Slovaque, le démantèlement de deux réacteurs de la centrale de Bohunice sera achevé en 2025 pour un coût estimé à 1,14 milliard d'euros.
"La doctrine en France pousse pour un démantèlement qui s'enclenche rapidement, on n'est plus dans l'idée qui consistait à laisser passer 30 à 50 ans. L'enjeu du démantèlement, tant qu'on a des compétences et une mémoire des installations, est prioritaire". Celui-ci ne se passera pas de subventions publiques, car "quand elles sont provisionnées, les sommes sont notoirement insuffisantes et non disponibles sous forme de liquidité", commente Yves Marignac. Le budget de l'Union européenne alloué au démantèlement des centrales pour la période 2007-2013 était de 1786 millions d'euros, et se monte à 969 millions d'euros pour la période 2014-2020.