Récemment promue régulateur officiel des impacts environnementaux du secteur du numérique, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) progresse dans la connaissance. À la demande de l'État, et en binôme avec l'Agence de la Transition Écologique (Ademe), elle a précisé les impacts du secteur à travers plusieurs études. « Depuis le début de nos travaux, on voit bien que la collecte de données est le nerf de la guerre », justifie Laure de La Raudière, présidente de l'Arcep.
La réalisation d'une analyse du cycle de vie (ACV) multicritère, et non pas uniquement axée sur l'impact carbone, révèle ainsi de nouveaux chiffres bien utiles : la consommation électrique pour les services numériques en France est estimée à 48,7 TWh, soit 10 % de la consommation du pays. Leur empreinte carbone est égale à 16,9 Mt CO2 eq., soit 2,5 % de l'empreinte carbone nationale, quasiment au même niveau que le secteur des déchets (2 %). Autres données : 62,5 millions de tonnes de ressources sont utilisées chaque année pour produire et utiliser les équipements numériques, et le secteur produit 20 millions de tonnes de déchets par an sur l'ensemble du cycle de vie.
Des impacts significatifs que l'État compte réduire par l'application de sa feuille de route, présentée en février 2021, et de la loi du 15 novembre 2021. Mais d'autres enseignements de l'étude peuvent aider à mieux cibler les actions en identifiant les responsables.
Trouver les coupables
L'ACV a permis de cerner les étapes responsables des impacts environnementaux. Ainsi, les premiers coupables sont les terminaux des utilisateurs, c'est-à-dire les appareils électroniques et, en premier lieu, les écrans de télévision (entre 64 et 92 % des impacts), suivis par les centres de données (entre 4 et 22 % des impacts) et les réseaux (entre 2 et 14 %).
Un second niveau de distribution d'impacts est présenté selon les phases du cycle de vie (fabrication, distribution, utilisation et fin de vie). Les résultats montrent que la phase de fabrication est la principale source d'impacts pour les trois responsables (terminaux, réseaux et centres de données), suivie de la phase d'utilisation. Ce qui confirme l'importance d'allonger la durée d'usage des équipements numériques à travers le réemploi, le reconditionnement, l'économie de la fonctionnalité ou la réparation.
Une campagne de sensibilisation des citoyens vient d'ailleurs de débuter sur les ondes afin d'encourager aux « bons réflexes ». Un premier pas nécessaire, sachant que le taux d'équipement des Français est d'environ quinze appareils connectés par personne, soit bien supérieur à la moyenne mondiale, qui est de huit.
Concernant la fabrication, les impacts sont conséquents pour deux raisons principales. D'une part, les usines sont très consommatrices d'énergie et sont principalement installées dans les pays dont le mix énergétique est fortement carboné (Asie, États-Unis). D'autre part, ces équipements utilisent une quantité importante de métaux stratégiques, qui requièrent également beaucoup de ressources et d'énergie pour leur extraction. Concernant la phase d'utilisation, les impacts viennent majoritairement de la consommation d'électricité.
Le reconditionnement a du bon
« Le reconditionnement d'un téléphone mobile, même s'il induit le changement de l'écran et de la batterie ainsi que l'ajout d'accessoires neufs, est à l'origine d'un impact environnemental plus de 2 à 4 fois inférieur à celui de la production d'un équipement neuf et, ce, quels que soient la provenance et le lieu de reconditionnement », conclut l'Ademe. Des données qui pourraient convaincre les Français à se tourner vers ces équipements : si plus d'un tiers ont déjà acheté un smartphone de seconde main, 82 % comptent encore acheter neuf leur prochain téléphone.
Maximiser les bénéfices
Mais les utilisateurs et consommateurs ne sont pas les seuls à devoir jouer le jeu. Les acteurs du reconditionnement pourraient maximiser ces bénéfices environnementaux, selon l'Ademe, qui leur prodigue pour cela quelques conseils : reconditionner son équipement au plus près de son marché avec des produits issus du même marché ; privilégier les pièces de rechange de seconde main ; ne pas systématiser les changements de pièces ou encore optimiser l'emballage par son volume, sa masse et ses matériaux.
Et les réseaux dans tout ça, notamment la 5G ?
Même si les réseaux ne représentent que 2 à 14 % des impacts du secteur, l'Ademe a pris soin d'en savoir un peu plus. Elle constate ainsi, qu'à l'échelle de la France, les réseaux fixes génèrent plus d'impacts que les réseaux mobiles (entre 75 et 90 %, contre 10 et 25 %). En effet, les réseaux fixes consomment plus d'électricité en phase d'utilisation et requièrent plus d'équipements, notamment du fait des boîtiers d'accès à internet installés chez les utilisateurs. Mais, rapporté à la quantité de gigaoctets (Go) consommée sur chaque type de réseau, l'impact environnemental des réseaux fixes devient trois fois inférieur à celui des réseaux mobiles.
Et qu'en sera-t-il de la 5G, dont l'impact environnemental inquiète ? L'Arcep dispose de premiers éléments de réponse. Dans une étude qu'elle vient de publier, elle évalue, à tendance de consommation identique, les impacts énergétiques de l'introduction de la 5G en bande 3,5 GHz, en comparant deux scenarios : un réseau de 4G seule et un réseau combinant 4G et déploiement de la 5G. Résultat : dans un premier temps, dont la durée dépend des scénarios de déploiement de la 5G, cette technologie engendre une hausse de la consommation énergétique. Par la suite, le déploiement de la 5G permettrait de réaliser, au total (à horizon 2028), par rapport à un scénario de densification des réseaux mobiles via la 4G seule, des économies d'énergie (jusqu'à dix fois la consommation énergétique réalisée en 2020) et une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) correspondantes (jusqu'à huit fois les émissions GES réalisées en 2020). En revanche, dans les zones moins denses, de déploiement à faible densité de trafic, des gains, quasi inexistants, n'apparaissent, au plus tôt, qu'en 2025 et, au plus tard, en 2028.
D'autres études en préparation
Ces premières données sont incomplètes pour le moment. « Les enseignements de cette étude se limitent uniquement à la phase d'utilisation de la technologie. Une approche d'analyse par cycle de vie complète, incluant également la phase de fabrication et la phase de fin de vie, serait nécessaire à une compréhension exhaustive de son impact environnemental », précise l'Arcep. Par ailleurs, cette étude prend comme hypothèse une croissance tendancielle de la consommation des données mobiles de 30 % par an. Elle n'inclut pas l'effet d'accélération de cette croissance due au gain technologique de la 5G, dit « effet rebond ».
D'autres études viendront compléter d'ici quelques mois ce premier jeu de données. « L'extension du pouvoir de collecte de l'Arcep devrait représenter un élément important permettant d'avancer plus efficacement », souligne, à ce propos, l'Ademe. L'Agence prévoit de préciser ses méthodologies pour affiner la connaissance des impacts. En matière de reconditionnement, les résultats relatifs aux autres appareils électroniques (tablettes, ordinateurs, etc. hors smartphones) seront disponibles en mars prochain.
De son côté, l'Arcep poursuit ses travaux pour la définition d'un baromètre environnemental du numérique. L'Ademe et l'Arcep ont également lancé une analyse prospective des impacts du numérique aux horizons 2030 et 2050 sur la base des quatre scénarios Ademe. Les résultats sont prévus pour avril.