Gérard Payen : Le défi lancé à la Communauté Internationale d'améliorer l'accès à l'eau potable et à l'assainissement inquiète l'opinion publique. Mais contrairement à une croyance répandue, ce n'est pas par manque de ressources en eau qu'autant de personnes se trouvent dépourvues d'un service minimum. Une grande partie de ce milliard de personnes vit dans des pays où l'eau disponible est abondante. C'est donc avant tout un défi de gestion, d'organisation et de volonté politique. Ce problème ne se règlera pas en mettant plus d'eau dans les tuyaux. L'enjeu est d'apporter de l'eau à ceux qui n'ont pas la chance d'être au bout d'un tuyau, à ceux qui ne bénéficient pas encore du « service public ».
AE : Pour remédier à cet état de faits, la Communauté Internationale s'est fixée des Objectifs du Millénaire pour le Développement en terme d'accès à l'eau potable et à l'assainissement. Les OMD jouent-ils le rôle moteur espéré ?
GP : Les OMD ont le grand mérite d'être simples et de donner une direction pour le monde. Ce serait parfait si tous les pays s'organisaient pour y contribuer. Les OMD visent à diminuer de moitié les problèmes d'accès minimum à l'eau potable et à l'assainissement sur la période 1990- 2015. Après, il faudra faire l'autre moitié. Malgré les difficultés pour les atteindre, leur ambition reste assez modeste : ils visent à offrir à la population un service d'eau et d'assainissement qu'aucun de vos lecteurs ne considérerait comme satisfaisant pour lui même. Aujourd'hui près de 3 milliards de personnes n'ont pas accès à l'eau courante à domicile ou à proximité immédiate. Mais en terme d'accès à l'eau potable, l'OMD cible une population estimée
à 1,1 milliard d'individus, à qui il serait donné la possibilité de transporter chaque jour de l'eau depuis des fontaines publiques. En matière d'assainissement, l'OMD ne mesure que l'accès à des toilettes privatives, indépendamment de toute collecte ou épuration des eaux usées. Et sur ce seul objectif, le monde semble n'avoir aucune chance de réussir d'ici 2015.
AE : Vous avez fait partie du groupe de travail sur le financement des services d'eau potable et d'assainissement présidé par Michel Camdessus. Quels sont les besoins pour parvenir aux OMD ?
GP : En réalité, ce groupe de travail a conclu essentiellement sur des problèmes de gouvernance et d'organisation institutionnelle. Certes, il y a de grandes difficultés économiques. Le rapport Camdessus a estimé que pour atteindre les OMD, il fallait doubler tous les flux de financement existants : budgets publics, aide internationale, contributions des utilisateurs etc. Mais lorsque toutes les parties prenantes sont d'accord pour un projet bien monté, habituellement l'argent se trouve. Par ailleurs, dans notre monde en urbanisation rapide, en ville, les personnes qui n'ont pas accès aux services publics d'eau potable, même pauvres, achètent de l'eau par d'autres moyens. Ce qui prouve que la grande majorité des citadins est capable de payer une consommation d'eau. Reste à la collectivité de réussir à s'organiser pour apporter à chacun le « service public ».
AE : Ce défi d'accès à l'eau potable et à l'assainissement est-il l'enjeu principal de l'eau douce à l'échelle de la planète ?
Gérard Payen : Au niveau mondial, c'est certainement un défi majeur et il est souvent malheureusement mal compris. Il y a trois autres enjeux. Le second est l'augmentation du stress hydrique. Il s'agit de la difficulté croissante dans un grand nombre de pays à faire face à l'accroissement de la demande en eau des hommes à des fins de production agricole et alimentaire, de développement des entreprises ou encore pour leurs besoins individuels, à cause de la croissance démographique et de l'augmentation du niveau de vie. Un troisième enjeu pose la question de la pollution des eaux par l'homme. L'activité anthropique rend de plus en plus nécessaire une meilleure gestion de la pollution rejetée par les activités humaines dans le milieu naturel. Et ce, pour protéger à la fois l'environnement et la vie des personnes qui habitent en aval. Enfin, un quatrième enjeu correspond aux catastrophes liées à l'eau : les inondations, les tsunamis, les sécheresses exceptionnelles. À ces quatre défis de l'eau douce viennent s'ajouter un facteur aggravant qui rend les problèmes existants plus difficiles : le changement climatique.
AE : Comment peut-on régler ce problème majeur d'augmentation du stress hydrique ?
GP : Selon un récent rapport de l'OCDE, 2,9 milliards de personnes vivent déjà dans des zones géographiques à fort stress hydrique. Et d'ici 2030, 1 milliard de personnes supplémentaires vivront cette situation. Et encore, ces estimations n'intègrent pas les effets du changement climatique. La gestion du stress hydrique se pose aussi bien à l'intérieur d'un pays qu'entre pays voisins. Elle nécessite la mise en place d'une organisation institutionnelle légitime, dotée de pouvoirs sur la bonne répartition de l'eau disponible et qui se préoccupe de ce que les utilisateurs l'emploient à bon escient. Pour le lac Tchad, en Afrique, dont la surface a été diminuée par dix ces trente dernières années, la Commission intergouvernementale ad-hoc n'a pas eu les pouvoirs qui lui auraient permis d'arrêter le drame. C'est un problème politique fréquent : un organisme doit avoir les moyens d'arbitrer et de répartir l'eau entre les vrais besoins de la communauté sans forcément suivre ceux qui crient le plus fort.