Alors que les associations de défense de l'environnement et des consommateurs dénoncent l'obsolescence programmée depuis des années, une proposition de loi, déposée le 18 mars par le groupe écologiste du Sénat, vise à lutter contre ce phénomène et à organiser une économie de la réparation. Les sénateurs souhaitent également lancer une réflexion sur l'économie de fonctionnalité, en demandant au gouvernement un rapport sur ce sujet.
Le texte vise d'abord à donner une définition à l'obsolescence programmée, la plus large possible pour englober les différents types d'obsolescence (matérielle, logicielle…) des produits. Ainsi, "l'obsolescence programmée est l'ensemble des techniques par lesquelles un fabricant ou un importateur de biens vise, notamment par la conception d'un produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d'utilisation potentielle de ce produit afin d'en augmenter le taux de remplacement". Introduction volontaire d'une défectuosité, fragilité, arrêt programmé, limitation technique, impossibilité de réparer et non-compatibilité logicielle sont notamment visés dans l'exposé des motifs.
Ces stratégies, mises en place par les industriels lorsque les taux d'équipement des ménages sont devenus tels que le marché ne portait quasiment plus que sur le renouvellement des produits, pourraient ainsi devenir un délit, punis d'une amende de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 37.500 euros.
Durées légales de garantie et de conformité
En 2004, le plan national de prévention de déchets prévoyait la mise en place d'une norme expérimentale sur la durée de vie des produits. La norme avait alors été préférée à la garantie car cette dernière "suppose de surmonter le problème posé par les conditions aléatoires d'utilisation des produits par les consommateurs", précisait le plan. Mais les travaux commandés à l'Afnor et à l'Ademe sur cette norme n'ont jamais abouti…
"La plupart des produits sont fiables pendant au moins cinq ans, les fabricants ne devraient donc pas être particulièrement pénalisés par cette mesure. L'allongement de cette garantie peut même constituer un avantage concurrentiel", estiment de leur côté les sénateurs écolos. "Regardez le constructeur automobile Kia, il a fait de sa garantie sept ans un véritable argument marketing. Et cette marque se porte plutôt bien sur le marché aujourd'hui", illustre Jean-Vincent Placé.
L'article 3 prévoit une augmentation du délai de couverture des défauts de conformité, de six mois à deux ans. "Actuellement, les défauts de conformité qui apparaissent dans un délai de six mois à partir de la délivrance du bien sont présumés exister au moment de la délivrance, sauf preuve du contraire", détaille l'exposé des motifs.
Réparabilité et pièces de rechange
La proposition de loi prévoit également la mise à disposition des pièces détachés indispensables à la réparation d'un produit pendant au moins dix ans, mais aussi la disponibilité de la notice de réparation. "Les éco-organismes doivent être, par ailleurs, incités à prélever des pièces détachées sur les équipements usagés collectés lorsque la réparation n'est pas possible, en vue de la réparation d'autres produits de même type", ajoute l'exposé des motifs. L'article 5 prévoit aussi qu'un des critères de fixation de l'éco-contribution porte sur l'allongement de la durée de vie des produits, et notamment l'amélioration de leur réparabilité.
Des impacts encore incertains
Cette proposition de loi implique donc un profond bouleversement du modèle économique actuel. Les impacts positifs, on les devine aisément : moindre usage des ressources, diminution de la production des déchets, développement d'une économie locale de la réparation... Une étude de 2012 de l'Ademe sur le secteur de la réparation en France indique que, de 2007 à 2009, le nombre d'entreprises des secteurs de la réparation de biens d'équipements (électronique, électroménager, cordonnerie, horlogerie et bijouterie) était en baisse de 1 à 10 % alors qu'à partir de 2009, la tendance a commencé à sinverser, sauf pour l'électronique (baisse de 3%).
Mais quels impacts sur le modèle économique des fabricants, voire des distributeurs qui vendent aujourd'hui aux consommateurs des extensions de garantie correspondant à 10 – 15% du prix de vente ? Et comment être sûr que le report de ces mesures sur le prix de vente final soit limité pour garantir le pouvoir d'achat des ménages ? Le débat sur l'obsolescence programmée, organisé le 23 avril au Sénat par le groupe écologiste, répondra probablement à ces questions.