Maïs MON 810, maïs Bt, coton Bollgard… Tous ces organismes génétiquement modifiés (OGM) ont un point commun : une protéine issue de la bactérie Bt (Bacillus thuringiensis (1) ), qui confère à la plante une résistance aux insectes nuisibles. Cultivés en Europe (Espagne, Portugal, République Tchèque, Slovaquie et Roumanie), en Afrique, en Amérique du Nord, en Asie, ces OGM ont été déployés sur plus de 400 millions d'hectares depuis leur première mise sur le marché en 1996. Leurs atouts, selon les firmes qui les produisent ? Réduire le recours aux insecticides.
Mais si ces plantes génétiquement modifiées ont effectivement permis de réduire l'utilisation de produits chimiques, "elles ont aussi entraîné (…) l'apparition d'insectes résistants", relaie le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), après qu'un de ses chercheurs ait réalisé, en collaboration avec l'université de l'Arizona, une revue de 77 études scientifiques (2) sur le sujet.
L'apparition de résistances à une protéine Bt (3) chez certains insectes est dénoncée depuis longtemps. Les semenciers de produits transgéniques la reconnaissent également. Mais cette étude permet de comprendre en combien de temps apparaît une résistance et quels sont les facteurs qui influent sur les défenses des ravageurs.
Cinq espèces résistantes en 2010, contre une en 2005
Sur les 13 espèces de ravageurs examinées, la plupart sont restées sensibles à la protéine Bt, notent les auteurs. Mais cinq populations ont développé une résistance en 2010, alors qu'était dénombrée une seule espèce résistante en 2005. "Trois de ces cinq cas se situent aux États-Unis (4) , où les agriculteurs cultivent près de la moitié des superficies mondiales de plantes Bt, les autres sont apparus en Afrique du Sud et en Inde (5) ", indique le Cirad.
Est considérée comme résistante, une population dont au moins 50% des individus sont devenus résistants à l'ingestion de cette toxine. Cette insensibilité serait liée à l'augmentation des superficies cultivées (les plantes Bt ont progressé de 1,1 million d'hectares en 1996 à 66 Mha en 2011) et à la durée cumulée d'exposition des ravageurs à la toxine.
Mais cette résistance s'est développée différemment selon les cas recensés. Aux Etats-Unis, l'insensibilité du ver du cotonnier (Helicoverpa zea) à la protéine Cry2Ab est apparue au bout de deux ans alors que la résistance de cette même espèce à la protéine Cry1Ac a été recensée au bout de six ans. En Afrique du Sud, il aura fallu huit ans au foreur du maïs (Busseola fusca) pour développer une résistance à la protéine Cry1Ab.
"L'adaptation des insectes aux cultures Bt est inéluctable et ces cultures verront leur efficacité anéantie, à plus ou moins brève échéance, par les résistances développées par les insectes. Il s'agit donc de retarder l'apparition de ces résistances en mettant en œuvre une gestion intégrée des ravageurs, qui associe plantes transgéniques et dispositifs de maîtrise de la résistance des populations d'insectes", estiment les auteurs.
Faire durer les OGM plus longtemps
Parmi les mesures efficaces pour limiter l'apparition des résistances, les auteurs soulignent l'intérêt des "zones refuges" (autrement dit des zones sans OGM), qui "permettent aux insectes sensibles aux toxines de survivre et de s'accoupler avec les insectes résistants pour donner des descendances sensibles".
Sur son site internet, Monsanto préconise aussi la mise en place de telles stratégies. Cette zone refuge, qui couvre généralement 20% du champ selon la firme, "fournit un abri pour des insectes qui restent sensibles à l'insecticide Bt produit par le maïs ou le coton". De ce fait, cette zone "préserve l'efficacité de l'insecticide Bt et permet aux cultures de continuer à se défendre elles-mêmes contre les insectes ravageurs". Pour faciliter le travail de l'agriculteur, qui doit donc semer OGM et non OGM, la firme a obtenu l'autorisation de l'Agence américaine de l'environnement (EPA) pour commercialiser des sacs contenant ces deux types de semences : "L'agriculteur peut donc semer son champ en une seule opération, ce qui lui permet de gagner du temps"…
Cependant, pour être efficaces, les zones refuges doivent être définies de manière précise, soulignent les auteurs de la revue scientifique. Leur nombre doit être "précisément calculé en fonction de la dose de toxine produite par la culture Bt et de la fréquence initiale des gènes de résistance dans la population d'insectes", sous peine d'inefficacité. Ils citent l'exemple de l'Australie, "où la réglementation a été appliquée strictement", et où moins de 1% d'individus résistants ont été recensés dans les populations de deux espèces de ver (6) sur le cotonnier Bt. Dans le même temps, aux Etats-Unis, où la réglementation est beaucoup moins contraignante, plus de 50% d'individus résistants ont été détectés pour certaines populations de Helicoverpa zea.
Les OGM deuxième génération
Mais créer des zones refuges revient à réduire l'espace de culture GM à 80% du champ… C'est pourquoi les semenciers ont développé une autre solution : les OGM contenant au moins deux protéines Bt. C'est la deuxième génération d'OGM. "Si une population d'insectes résistants à un des insecticides apparaît, il y a de grandes chances qu'elle soit sensible à l'autre", explique Monsanto, qui commercialise déjà des variétés de maïs contenant plusieurs Bt. Avantage de cette solution, selon la firme : elle permet de réduire la proportion des zones refuges à "seulement 5%" du champ. "Comme la proportion de plante OGM, fournissant plus de rendement, représente 95% du champ -et non pas 80% comme auparavant- l'agriculteur verra sa production augmenter".
En citant à nouveau l'exemple de l'Australie, les auteurs de la revue scientifique indiquent que cette solution est plus efficace si elle n'est pas cultivée à côté de plantes produisant une seule toxine ou si "la résistance à l'une des toxines ne s'est pas déjà installée, leurs avantages étant alors considérablement réduits, comme en témoigne la résistance de H. zea à l'une des toxines du cotonnier Bt aux Etats-Unis".