Le Conseil d'Etat a annulé le 28 novembre la clause de sauvegarde interdisant la mise en culture en France du maïs MON 810. Le feu vert pour une reprise des cultures d'OGM ?
Par deux décisions en date du 28 novembre, la Haute juridiction française a annulé deux arrêtés du ministre de l'Agriculture suspendant, pour le premier, la cession et l'utilisation des semences de maïs génétiquement modifié MON 810, et interdisant, pour le second, la culture de ces variétés de semences.
Décision préjudicielle de la CJUE
Ces décisions font suite à l'arrêt du 8 septembre dernier, par lequel la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), répondant à une question préjudicielle renvoyée par le Conseil d'Etat, avait considéré que la clause de sauvegarde prise par la France était illégale.
La Cour avait considéré qu'un Etat membre ne pouvait prendre des mesures de suspension ou d'interdiction provisoire de l'utilisation ou de la mise sur le marché d'OGM, dont la demande de renouvellement est en cours d'examen, en application de la directive 2001/18. En revanche, elle avait estimé qu'il pouvait le faire sur le fondement du règlement 1829/2003 mais qu'il devait alors établir, non seulement l'urgence, mais aussi "l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement".
Pas de risque particulièrement élevé justifiant l'interdiction
Suivant la CJUE, le Conseil d'Etat considère que le ministre de l'Agriculture a commis une erreur de droit en fondant ses arrêtés sur la directive 2001/18. Mais, compte tenu de ses pouvoirs de juge de l'excès de pouvoir, il examine également la légalité des arrêtés sur le fondement du règlement 1829/2003. Sans plus de succès pour le ministre de l'Agriculture.
Le Conseil d'Etat relève que ce dernier n'a pu justifier de sa compétence pour prendre les arrêtés, faute d'avoir apporté la preuve de l'existence d'un niveau de risque particulièrement élevé pour la santé ou l'environnement. L'avis du comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM, sur lequel il avait fondé ses décisions, se bornait en effet à faire état "d'interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques possibles de la culture et de la commercialisation de MON 810". Ce qui est insuffisant aux yeux de la Haute juridiction administrative.
Les OGM de nouveau dans les champs au printemps ?
Réagissant à la décision du Conseil d'Etat, l'ONG Greenpeace France, par la voie de son directeur des campagnes, Sylvain Tardy, estime que "si le Gouvernement ne fait pas le nécessaire en mettant en place une nouvelle interdiction, on risque donc de voir réapparaître les OGM dans nos champs dès le printemps prochain".
Une crainte fondée. L'association Initiatives Biotechnologies Végétales (IBV), représentant les semenciers français, annonce effectivement vouloir reprendre la culture des OGM en France. "Aujourd'hui, il faut que les maïsiculteurs qui le souhaitent puissent cultiver les OGM autorisés en Europe, comme le stipule la loi française sur les OGM. Nous plaidons pour la liberté de choisir", a déclaré Philippe Gracien, porte-parole d'IBV.
La ministre de l'Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, réagissant à la décision de la CJUE en septembre dernier, avait déclaré que "si la clause française était annulée pour des questions procédurales, nous prendrions une nouvelle clause de sauvegarde selon la procédure jugée adéquate par la Cour de justice de l'Union européenne, car les questions environnementales, elles, demeurent sans réponse".
Mais le gouvernement français est-il encore en mesure de prendre une telle clause, alors que le Conseil d'Etat vient de considérer que les arrêtés étaient illégaux, y compris sur le seul fondement jugé acceptable par la CJUE ?
Pour Corinne Lepage, député européen et ancien ministre de l'Environnement, "il est inhabituel que des juges se prononcent sur le bien fondé scientifique d'une décision. En faisant cela, le Conseil d'Etat réduit encore la marge de manœuvre dont disposent les Etats membres sur les OGM. C'est d'autant plus regrettable que les décisions d'autorisation reposent en premier lieu sur une expertise européenne critiquée et entachée de conflits d'intérêt et qui, elle, ne peut faire l'objet d'aucun recours !". D'où son souhait de voir la législation européenne adaptée afin de donner aux Etats membres une base juridique solide pour interdire la culture d'OGM.
MON 810 : une clause de sauvegarde illégale mais des mesures d'urgence toujours possibles (article paru le 08/09/2011) La clause de sauvegarde prise par la France pour interdire la culture du maïs MON 810 est illégale selon la CJUE. Mais le Gouvernement peut adopter des mesures d'urgence équivalentes sur un autre fondement. Lire la news
Directive européenne du 12/03/2001 (2001/18/CE) Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil.
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Règlement du 22/09/2003 (1829/2003/CE) RÈGLEMENT (CE) No 1829/2003 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Le règlement dispose que les produits auxquels il s'applique ne doivent pas :
- avoir des effets néfastes sur la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ;
- induire le consommateur ou l'utilisateur en erreur ;
- différer des denrées alimentaires et aliments pour animaux qu'ils sont censés remplacer à un point tel que leur consommation normale serait, du point de vue nutritionnel, désavantageuse pour les êtres humains (et les animaux s'il s'agit d'aliments pour animaux génétiquement modifiés) ;
- dans le cas des denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés, nuire au consommateur ou l'induire en erreur par l'altération des caractéristiques spécifiques des produits d'origine animale.
Ce règlement met en place une procédure communautaire centralisée, uniforme et transparente pour toutes les demandes de mise sur le marché, que celles-ci concernent l'OGM lui-même ou ses produits alimentaires dérivés.
Cela signifie que les opérateurs industriels peuvent introduire une demande unique pour l'OGM et toutes ses utilisations : une seule évaluation des risques est effectuée et une seule autorisation est accordée pour un même OGM et toutes ses utilisations (culture, importation, transformation en denrées alimentaires/aliments pour animaux ou en produits industriels). Il suffit qu'un des usages soit alimentaire pour que tous les usages (culture, transformation en produits industriels, etc.) puissent être traités en vertu du règlement (CE) n° 1829/2003.
Pour une denrée alimentaire contenant des OGM ou consistant en de tels organismes, le demandeur a deux options : il peut présenter sa demande en vertu du seul règlement (CE) n° 1829/2003, en application du principe ''une clef pour chaque porte''. Il s'agirait alors d'obtenir une autorisation de dissémination volontaire d'un OGM dans l'environnement – selon les critères établis par la directive 2001/18/CE – et une autorisation d'utilisation de cet OGM dans les denrées alimentaires et aliments pour animaux – selon les critères établis par le règlement (CE) n° 1829/2003. Il peut également choisir de scinder la demande et de l'introduire en vertu, à la fois, de la directive 2001/18/CE et du règlement (CE) n° 1829/2003.
Ce règlement garantit également que des situations comme celle du maïs Starlink aux USA (un maïs GM qui n'était autorisé que pour l'alimentation animale, mais qui a été retrouvé dans des denrées alimentaires) ne se reproduiront pas. En effet, les OGM susceptibles d'être utilisés comme denrées alimentaires et aliments pour animaux doivent être autorisés pour ces deux usages.
L'autorisation, valable dans l'ensemble de l'Union européenne, est accordée sur la base d'une évaluation unique des risques effectuée sous la responsabilité de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et d'une procédure unique de gestion des risques faisant intervenir la Commission et les États membres par l'intermédiaire d'un comité de réglementation.
Le règlement (CE) n° 1829/2003 établit une procédure de délivrance d'autorisations pour la mise sur le marché de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux génétiquement modifiés. Cette procédure reconnaît à la Commission un rôle important. Elle prévoit notamment que celle-ci adopte la décision finale de délivrer ou non l'autorisation si le Comité, composé de représentants des États membres, et le Conseil ne sont pas parvenus à adopter de décision à la majorité qualifiée dans le délai qui leur est imparti.
Les demandes sont, tout d'abord, soumises à l'autorité compétente de l'État membre où le produit doit être commercialisé en premier lieu. La demande doit définir clairement son champ d'application, indiquer quelles sont les informations confidentielles et inclure un plan de surveillance, une proposition d'étiquetage et une méthode de détection. L'autorité nationale doit accuser réception de la demande par écrit dans un délai de 14 jours et informer l'EFSA. La demande et toute information complémentaire fournie par le demandeur doivent être mises à la disposition de l'EFSA, qui est responsable de l'évaluation scientifique des risques pour l'environnement et pour la santé humaine et animale. Son avis sera communiqué au public, qui aura la possibilité de le commenter.
En général, un délai de six mois est accordé à l'EFSA pour rendre son avis. Ce délai peut être prolongé si l'EFSA doit demander des informations complémentaires au demandeur. Un document d'orientation pour l'évaluation des risques liés aux plantes génétiquement modifiées et aux denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés a été adopté par l'EFSA le 24 septembre.
Dans les trois mois suivant la réception de l'avis de l'EFSA, la Commission rédige une proposition accordant ou refusant l'autorisation. La Commission peut s'écarter de l'avis de l'EFSA, mais doit alors justifier sa position. La proposition de la Commission doit être approuvée à la majorité qualifiée des États membres au sein du Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, composé de représentants des États membres.
Si ce Comité donne un avis favorable, la Commission adopte la décision. Si le Comité ne donne pas d'avis favorable ou rejette à la majorité qualifiée la proposition de la Commission, le projet de décision est soumis au Conseil des ministres pour adoption ou rejet à la majorité qualifiée. Si le Conseil n'agit pas dans un délai de trois mois ou ne parvient pas à une majorité qualifiée pour l'adoption ou le rejet de la proposition de la Commission, la Commission adopte la décision.
Les produits autorisés doivent être inscrits dans un registre public des denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés. Les autorisations sont accordées pour une période de 10 ans, sous réserve, le cas échéant, d'un plan de surveillance postérieur à la commercialisation. Les autorisations sont renouvelables tous les 10 ans. En savoir plus
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Définition de « Organisme Génétiquement Modifié (OGM) » Un organisme génétiquement modifié (OGM) est un organisme (animal, végétal, bactérie) dont on a modifié le matériel génétique (ensemble de gènes) par une technique nouvel... Lire la définitionArticle publié le 28 novembre 2011