La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), suivant les conclusions de l'avocat général, considère dans sa décision du 8 septembre 2011 que la France ne peut recourir à la clause de sauvegarde prévue par la directive 2001/18 pour adopter des mesures suspendant puis interdisant provisoirement l'utilisation ou la mise sur le marché d'un OGM tel que le MON 810, compte tenu des mesures dont il a préalablement fait l'objet.
Le MON 810 régulièrement autorisé par l'UE
Le maïs MON 810 a été autorisé en tant que semence à des fins de culture, en application de la directive 90/220 sur la dissémination volontaire des OGM dans l'environnement, directive abrogée et remplacée par la directive 2001/18. La France a donné son consentement écrit à cette mise sur le marché. Le MON 810 a ensuite été notifié par Monsanto Europe en tant que "produit existant" conformément au règlement 1829/2003, puis a fait l'objet d'une demande de renouvellement d'autorisation, en cours d'examen, au titre de ce règlement.
A titre de mesures d'urgence, la France a adopté en 2007 un arrêté suspendant sur son territoire la cession et l'utilisation des semences de cet OGM, puis deux arrêtés en 2008 interdisant leur mise en culture.
Suite à des recours en annulation formés par Monsanto et plusieurs sociétés productrices de semences devant le Conseil d'Etat, ce dernier a adressé une question préjudicielle à la CJUE sur les règles applicables aux mesures d'urgence régissant les autorisations de mise sur le marché dont bénéficient les produits OGM en cause.
Si le recours à la clause de sauvegarde se révèle illégal dans de telles circonstances, en revanche, des mesures équivalentes peuvent être adoptées en vertu du règlement 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Mais, dans ce cas, les Etats membres doivent établir "outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement".
Ils doivent informer officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures urgence. C'est en l'absence d'intervention de cette dernière que l'Etat membre peut prendre des mesures conservatoires. Mais il doit informer immédiatement la Commission et les autres Etats membres de la teneur de ces mesures.
Vers une nouvelle "clause de sauvegarde"
Quelles sont les conséquences pratiques de cette décision ? Réagissant très rapidement, Nathalie Kosciusko-Morizet estime que l'arrêt de la Cour n'est pas conclusif car la décision finale sur la validité de la clause sera rendue par le Conseil d'Etat. Il est vrai qu'il s'agit là d'une décision préjudicielle de la CJUE sur des demandes présentées par la Haute juridiction administrative française.
"La clause de sauvegarde française reste à ce stade valide et l'interdiction de cultiver des variétés de maïs génétiquement modifié MON810 perdure sur le territoire français", tient à rassurer la ministre de l'Ecologie.
Mais, comme le souligne Greenpeace dans un communiqué, le Conseil d'Etat peut mettre plusieurs mois pour procéder à l'annulation de l'arrêté de février 2008 mais "quoi qu'il en soit, il devra tôt ou tard se conformer à la décision de la CJUE, comme le veut le droit européen".
"Si la clause française était annulée pour des questions procédurales, nous prendrions une nouvelle clause de sauvegarde selon la procédure jugée adéquate par la Cour de justice de l'Union européenne, car les questions environnementales, elles, demeurent sans réponse", précise NKM.
Pour Sylvain Tardy, directeur des campagnes de Greenpeace France, si cette nouvelle clause n'est pas adoptée, "le moratoire français sur la culture du maïs MON 810 sera bel et bien condamné et on risque de voir réapparaître les OGM dans nos champs dès le printemps prochain".
Une perspective pas très réjouissante pour les apiculteurs français lorsque l'on voit les conséquences économiques que peut avoir une contamination par des cultures OGM. "Etant donné l'importance des superficies cultivées en maïs (…), l'autorisation de cultiver le MON 810 interdirait la commercialisation d'une part importante de la production française de miel et une bonne part de l'apiculture française n'y survivrait pas, entraînant un déficit de pollinisation pour de nombreuses cultures", souligne la Confédération paysanne.
Sur le fond, des questions sans réponse
Sur le fond, les questions restent effectivement sans réponse. La clause de sauvegarde française avait été motivée, en février 2008, par "des risque sérieux pour l'environnement" : dissémination, apparition de résistances sur les ravageurs cibles effets sur la faune non cible. "Les résultats récents venus des Etats-Unis concernant les risques d'apparition accélérée de résistances, comme chez la chrysomèle, par la culture de plantes de ce type viennent nous rappeler l'importance d'examiner ces impacts et de les prévenir en amont", argumente la ministre de l'Ecologie.
En décembre 2008, l'ensemble des Etats membres avait demandé à la Commission européenne une réforme en profondeur des mesures d'évaluation des OGM. Pour Greenpeace, "voilà plus de trois ans que la Commission européenne doit réformer les modalités d'évaluation des OGM, mais elle tarde à le faire. Comment dire qu'un OGM est risqué ou non pour l'environnement, l'imposer à un Etat souverain, alors que les moyens mêmes d'une évaluation complète et non partisane ne sont pas réunis".
De la même façon, pour Corinne Lepage, ancien ministre de l'Environnement et député européen, cette décision de la CJUE "démontre qu'il faut adapter la législation européenne afin de donner aux Etats membres une base juridique solide pour interdire la culture d'OGM (…). Le vrai problème des OGM n'est pas procédural, c'est le manque d'indépendance et l'insuffisance de l'évaluation des risques menée au niveau européen par l'EFSA. Il est illusoire de croire que la Commission et l'EFSA, qui proposent les autorisations d'OGM, se contrediraient en validant une interdiction nationale".