Avec la possible levée du moratoire sur le maïs MON810 en France, les questions de la nécessité et de la pertinence de tests complémentaires pour évaluer les risques d'une alimentation à base de produits OGM reviennent sur le devant de la scène.
Car si la robustesse scientifique de l'étude de l'équipe du Professeur Séralini a été remise en question, elle a cependant ouvert un débat sur l'innocuité des OGM et la consolidation des tests.
Une première avancée sur ce sujet a été réalisée le 8 juin dernier : les règles renforçant l'évaluation sanitaire et environnementale ont enfin été publiées au Journal officiel de l'Union européenne. Le texte prévoit notamment l'obligation de réaliser des études de toxicité sur 90 jours. Les premières consultations des "parties prenantes" sur les protocoles de ces tests à 90 jours du programme Grace (Gmo risk assessment and communication of evidence) viennent d'être publiées.
Les OGM, une démarche particulière
Les travaux pour élaborer une méthodologie afin d'évaluer la sécurité des OGM ont débuté à l'OCDE dès 1983. Car la question n'est pas si simple. Pour les produits chimiques, les tests classiques de toxicité consistent à administrer de grandes quantités à des animaux, d'observer les altérations sur la santé et ensuite de déterminer les effets à faibles doses. La démarche pour les aliments présente quelques particularités.
"Nous sommes limités par la quantité absorbée et l'acceptabilité : par exemple, avec 30% de maïs dans son régime alimentaire, un rat ne se porte pas très bien : en moyenne, nous pouvons leur donner environ 10%", précise Jean-François Narbonne, toxicologue, expert auprès de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
La transparence sur ce sujet n'est pas de mise : un étiquetage particulier ne devient en effet obligatoire pour l'ensemble des aliments que lorsque le taux d'ADN génétiquement modifié dépasse 0,9%.
Auparavant, mis à part pour les aliments irradiés ou ceux cuits et réchauffés au four à micro-ondes, l'évaluation des risques représentés par un aliment était empirique et les interdictions liées à des "accidents".
Mesurer l'étendue des modifications et estimer les conséquences
Pour les OGM, les experts ont choisi de comparer et d'identifier les divergences entre produits modifiés et produits "naturels". Les éventuelles molécules différentes sont ensuite extraites et testées comme des produits chimiques. L'objectif est de mesurer l'étendue des modifications et d'estimer les conséquences.
"Nous utilisons des tests in vitro performants, il resterait à les compléter avec des bio-essais, qui sont aujourd'hui opérationnels, pour détecter par exemple le potentiel perturbateur endocrinien", estime Jean-François Narbonne.
Pour lui, de nouveaux outils analytiques plus puissants devraient pouvoir être intégrés dans les protocoles. "Nous essayons de mettre dans les tests officiels les dernières méthodes disponibles, mais ce sont les administrations qui décident des homologations et le temps administratif est plus long", soulignet-il.
Tester l'innocuité des OGM sur des cellules humaines
L'association Antidote Europe propose une autre méthodologie, la toxicogénomique, pour vérifier l'innocuité des OGM. Elle souhaite en effet se dégager du modèle animal et réaliser les tests sur des cellules humaines. "Avec des lignées différentes, de souris ou de rats, nous observons des résultats différents, souvent opposés, pointeClaude Reiss, ex-directeur de recherche au CNRS, président et directeur scientifique d'Antidote, globalement l'espèce souris se cancérise beaucoup plus facilement que l'homme et l'espèce rat est beaucoup moins sensible à des perturbateurs endocriniens que l'espèce souris". Son équipe recherche par toxicogénomique d'éventuelles dérégulations génétiques subies par des cellules humaines du fait de la construction génétique qui est ajoutée dans l'OGM testé. Les gènes dérégulés indiquent les effets biologiques de cet élément et ses conséquences sur la santé à court, moyen et long terme.
"Bien que la toxicogénomique soit inscrite dans le règlement Reach, la Commission européenne considère qu'elle n'est pas validée, explique Claude Reiss, tandis que son Institut en charge de cette validation ECVAM a pour mission de valider exclusivement par rapport à des données obtenues sur des "modèles"animaux"".
De nouveaux tests pour de nouveaux OGM ?
"Un grand nombre d'animaux d'élevage mangent des OGM tous les jours, nous ne constatons pas de problème de reproduction, les éleveurs sont plutôt contents", constate Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche à l'Inra, spécialisé dans les biotechnologies. Il se réjouit toutefois de l'adoption récente par l'UE des études de toxicité à 90 jours qui constituent une "alerte fiable" selon lui.
Mais si les constructions OGM actuelles s'avèrent simples (avec par exemple, l'introduction d'un gène de résistance à un herbicide) et n'entraînent vraisemblablement pas de modifications dans la composition de la plante, des OGM plus complexes pourraient poser d'autres questions.
"Pour améliorer les apports nutritionnels, il devrait arriver sur le marché des colzas qui ont des compositions en huiles différentes, ou des sojas qui ont des compositions en protéines ou lipides différentes de la plante d'origine, détaille-t-il, cette augmentation de certains lipides ou acides aminées pourrait déséquilibrer des voies métaboliques de la plante".
L'expert préconise de compléter les tests actuels par d'autres expérimentations, au cas par cas.
Les scientifiques pourraient ainsi estimer la reprotoxicité (qui consiste à vérifier que les rats nourris avec des OGM se reproduisent avec la même fréquence que les autres) et réaliser des tests de teratogénèse (malformation d'organes ou du fœtus).
Une vision globale nécessaire
"Il n'y a pas un test qui va répondre à toutes les questions, nous sommes sur une intégration de tests : cellulaire, jusqu'à une modélisation complexe de toxicocinétique, ou d'organe reconstitué de manière artificielle, note Jean-François Narbonne, le problème concernant les OGM est que chacun a une vision qui dépend de sa formation… la seule vraie expertise est celle qui permet la confrontation des différentes opinions".