Le Pacte vert européen et ses 720 milliards d'euros pour réaliser les transitions écologiques et numériques de l'Europe pourraient inspirer les fraudeurs : c'est, en tout cas, l'impression qui se dégage à la lecture du rapport pour l'année 2021 de l'Office européen de lutte antifraude (Olaf). À noter toutefois, aucun des exemples de fraudes environnementales présentés ne concerne la France.
Le premier domaine prisé des fraudeurs est celui du traitement des déchets. « L'évolution vers une économie circulaire en Europe a entraîné une augmentation des taux de recyclage des déchets. Mais les trafiquants essaient de profiter de l'écart entre les capacités de production et de valorisation des déchets, pointe l'Olaf. On estime que jusqu'à 30 % de tous les transferts de déchets pourraient être illicites, ce qui représenterait 9,5 milliards d'euros par an pour les criminels. »
Pesticides illégaux et tromperie pour obtenir plus d'aides
Les fraudeurs s'intéressent également au marché de la production de phytosanitaires. Dans une opération conjointe entre l'Agence européenne de police criminelle, Europol, et l'Olaf, plus de 1 200 tonnes de pesticides illégaux ont été saisies, pour une valeur de 80 millions d'euros.
L'office a également enquêté sur les irrégularités de plusieurs projets cofinancés dans le cadre du programme Life+ en Italie, dont des solutions alternatives aux pesticides traditionnels. « L'Olaf a établi que certains bénéficiaires de ces financements avaient gonflé leurs coûts de sous-traitance afin de présenter des reçus frauduleux, faisant état de coûts bien supérieurs à ceux qu'ils avaient réellement engagés, décrit-il. Ils ont réussi à réclamer des services de conseil même si les règles de financement leur interdisaient de le faire. Les bénéficiaires ont réussi cette tromperie en qualifiant les honoraires de conseil de "frais de diffusion" et en gardant leurs accords de conseil confidentiels. »
Autre piste pour les trafiquants : le gaz réfrigérant. « Les gaz fluorés sont souvent de puissants gaz à effet de serre et, à ce titre, leur utilisation a été progressivement supprimée dans l'UE depuis 2014, avec un quota limitant la quantité pouvant être importée par une entreprise, par exemple, indique l'Olaf. En conséquence, il y a eu une augmentation de l'activité du marché noir liée à ces substances. » Durant l'année 2021, l'office a mené plusieurs actions conjointes avec des partenaires pour empêcher que ces gaz inondent l'UE.
« Dans le cadre de l'opération Verbena, l'Olaf a aidé l'administration fiscale espagnole et la police espagnole à saisir 27 tonnes de gaz fluorés et à arrêter cinq personnes, décrit-il. L'opération a également permis de découvrir 180 tonnes d'hydrofluorocarbures illicites qui avaient été introduits en contrebande en Espagne. »
Une surestimation des reboisements pour disposer de plus de fonds
L'Olaf met également en avant une affaire de fraudes réalisées pour bénéficier d'un programme financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), normalement utilisé pour le reboisement. « Les éléments recueillis ont révélé que les terres boisées en Bulgarie étaient inférieures à la superficie déclarée par le bénéficiaire. Certaines parties du terrain étaient des propriétés privées et des ravines, et les arbres ne pouvaient donc pas y être plantés, souligne l'Olaf. L'argent a été réclamé pour des zones qui n'ont jamais vu l'ombre d'un arbre. L'enquête a également mis au jour des fraudes liées à la déclaration des activités de maintenance. Il n'y a eu aucun signe visible d'entretien dans la majeure partie de la zone du projet pendant une période de cinq ans, malgré des déclarations contraires. »
Le secteur de l'aviation constitue un autre secteur où l'Olaf a pu débusquer des fraudes, comme la création d'une société fantôme pour le développement et la livraison d'avions plus respectueux de l'environnement. « La société était enregistrée plusieurs fois sous le même numéro de chambre de commerce à plusieurs adresses différentes et avait fait faillite à plusieurs reprises, note l'Olaf. Le registre officiel italien mentionnait la société comme "inactive" ». L'Olaf a découvert que 700 000 euros de financement de l'UE avaient été retirés en espèces par l'ancien P-DG et transférés sur son compte privé.
Un projet d'infrastructure frauduleux pour de l'alimentation en eau potable
« Les projets d'infrastructure (à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE) attirent généralement les fraudeurs et le crime organisé en raison des sommes généralement importantes en jeu, qui peuvent être obtenues frauduleusement au moyen d'irrégularités administratives », remarque l'Olaf. Par exemple, plusieurs anomalies ont été découvertes dans un projet de construction d'une canalisation d'approvisionnement en eau potable reliant des puits à un réservoir, en République du Tchad (Afrique centrale). Le Fonds européen de développement avait financé deux contrats en 2014. « L'Olaf a constaté que la canalisation mesurait 250 mm de diamètre, au lieu des 400 mm requis, ce qui entraînait des coûts d'exploitation plus élevés et signifiait que la capacité du réseau ne permettrait pas de satisfaire les besoins, compte tenu de la croissance attendue de la population autour des zones desservies par le pipeline, indique l'office. Des documents avaient été falsifiés pour dissimuler cela. » Pour finir, les habitants n'ont même pas pu bénéficier de la canalisation : le réservoir d'eau s'est effondré en avril 2020. L'enquête a révélé que du béton de mauvaise qualité avait été utilisé dans sa construction.
L'Olaf met également l'accent sur des fraudes douanières sur des produits qui contribuent à réduire l'empreinte environnementale. « Sur les seuls vélos électriques, en 2021, l'Olaf a découvert des fraudes équivalentes à 5 millions d'euros, et sur des modèles à pédales plus anciens, la fraude identifiée s'élevait à plus de 12 millions d'euros », indique le service de presse de l'Olaf, sollicité par Actu-Environnement.
L'impact de la crise sanitaire
Dans son rapport, l'Olaf pointe également que les fraudeurs ont adapté leurs stratagèmes à la suite de la crise de la Covid, exploitant notamment davantage les outils numériques. « Les fraudeurs ont répondu aux difficultés accrues pour déplacer de grandes quantités de marchandises en fractionnant les expéditions en envois plus petits, plus difficiles à détecter et à intercepter, relate l'Olaf. Des modèles complexes de sociétés écrans établies dans de nombreuses juridictions, y compris en dehors de l'UE, permettent aux fraudeurs d'opérer librement dans le monde entier, ce qui rend la fraude plus difficile à combattre. » Ces nouvelles approches concernent des produits liés au Covid-19, ainsi que des importations de produits liés à la transition verte et à la gestion des déchets. « De la découverte de forêts invisibles à la lutte contre le trafic de déchets, l'Olaf s'engage pleinement à œuvrer pour la réussite de la transition verte en Europe », assure néanmoins l'office.