Porte-parole du projet Alluvio
Actu-Environnement : Quels sont les acteurs et les objectifs du projet Alluvio?
Olivier Matrat : Alluvio est une démarche participative qui doit, par le développement de filières industrielles novatrices et porteuses d'emploi, transformer en force la contrainte que constituent les sédiments pour le transport fluvial et pour les territoires de la région Hauts-de-France. Cette problématique, l'organisme Voies Navigables de France (VNF) ne pouvait pas y répondre seul. Les collectivités territoriales sont aussi touchées, de même que les industriels. Il faut donc trouver une solution qui puisse convenir à tous.
En associant l'ensemble des forces vives concernées (collectivités, monde agricole, industries, scientifiques, acteurs de la voie d'eau), il s'agit d'identifier les sources de sédiments pour limiter les dépôts en amont, et de développer des solutions économiquement pertinentes pour leur gestion. Pour VNF, c'est un fonctionnement très novateur. On était tourné uniquement vers le canal, maintenant nous sommes tournés vers les territoires. Des comités territoriaux se sont réunis le 13 octobre à Lille (Nord) et le 17 et le 18 octobre à Dunkerque (Nord) et à Valenciennes (Nord). Ces réunions nous permettent de déterminer progressivement les applications et les solutions précises et adaptées à chaque territoire.
AE : Comment les sédiments constituent-ils un obstacle à la navigation fluviale ?
OM : Les sédiments se déposent au fond du canal et limitent la hauteur d'eau disponible. Or, et c'est le principe d'Archimède, la masse que peut emporter un bateau est directement liée à son enfoncement. Plus il y a de sédiments, moins il peut être chargé et moins il peut être rentable. L'excès de sédiments est donc un frein au développement du transport fluvial.
AE : Quelles sont les contraintes qui pèsent sur le maintien de la navigabilité des canaux ?
Pour garantir les niveaux d'eau suffisants et la sécurité du transport fluvial, VNF extrait entre 100.000 et 200.000 mètres cubes de sédiments par an. Cet objectif n'est pas viable sur le long terme.
La règlementation européenne sur les sédiments, déclinée en droit français, est extrêmement rigoureuse et pénalisante pour la création de débouchés. Les sédiments sont en effet considérés comme des déchets. Ils doivent donc être entreposés dans un site adapté - l'équivalent d'une décharge - construit avec une enveloppe étanche, un suivi écologique mis en place avec clôture, voire des caméras pour surveiller le site. Une fois que le sédiment a été déposé, on ne sait pas quoi en faire. Il ne sort plus de son statut de déchet.
En Belgique, par exemple, les choses sont différentes. Les sédiments sont aussi considérés comme des déchets au moment où on les extrait de l'eau. Ils sont envoyés dans des sites de regroupement où ils sont entreposés pour sécher. De façon très simple et ouverte, les sédiments peuvent être ensuite réutilisés pour produire des matériaux de construction ou de remblai.
Aujourd'hui, les sédiments extraits dans le Nord-Pas-de-Calais sont donc pris en charge par des entreprises belges et transportés en Belgique. Ces sédiments sont stockés et utilisés selon les normes belges. Les sédiments extraits du Nord-Pas-de-Calais font donc en pratique les bénéfices d'entreprises belges.
AE : Quels sont les coûts de stockage des sédiments actuellement ?
OM : Avant que la règlementation européenne (directive cadre sur les déchets 2008/98/CE du 19 novembre 2008) n'entre en vigueur, le stockage des sédiments coûtait 20 euros par mètre cube. Suite à son application, on était dans des gammes de coûts d'environ 70 euros par mètre cube. On comprend vite à quel point cela nous coûte cher quand on sait la quantité de sédiments qu'il faut extraire pour garantir la navigation fluviale. A 70 euros le mètre cube, c'est directement la compétitivité et l'avenir de la voie d'eau qui est en jeu. Dans la valorisation des sédiments fluviaux, il y a donc un intérêt immédiat à agir.
AE : D'après les technologies existantes et dans le cadre juridique actuel, quelles sont les valorisations aujourd'hui prêtes à être mises en œuvre ?
OM : Des valorisations peuvent s'inscrire dans le droit français tel qu'il régit le sédiment. Ce dernier peut en effet se substituer au sable dans l'élaboration de béton par exemple. On est suffisamment mûr sur ces technologies pour lancer ce type de filière industrielle. Des solutions, aujourd'hui techniquement prêtes, attendent encore une validation ultime pour les utiliser en opérations de défense de berge : enrochements bétonnés, matelas reno (1) et poutres de couronnement en bordure de berges. Aujourd'hui, on est vraiment à un stade de mise en route de filières industrielles. On va basculer de la recherche à la mise en œuvre.
AE : La valorisation des sédiments passe par des opérations de dragage qui peuvent affecter les écosystèmes. N'y a-t-il pas là un danger pour la biodiversité ?
OM : La gestion de la biodiversité au niveau des opérations de dragage est très règlementée. Nous recevons des autorisations pluriannuelles d'organiser sur une unité très précise une opération de dragage. Pour obtenir ces autorisations, des études environnementales sont nécessaires au préalable.
Les terrains de dépôt, qui reçoivent les sédiments sur le long terme, peuvent devenir des sites environnementaux assez remarquables. Le conservatoire des espaces naturels du Nord et du Pas-de-Calais a observé un certain nombre d'espèces sur un site de stockage. Il y a vu apparaître au fil du temps des habitats intéressants et de nouvelles espèces qui sont venues enrichir la biodiversité des terrains de dépôt.