Mardi 13 mars 2012, Les Etats-Unis, l'Union européenne (UE) et le Japon ont déposé devant l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) une plainte commerciale visant la Chine et ses quotas à l'exportation de terres rares.
La Chine possède environ 40% des réserves mondiales de terres rares, mais elle représente quelque 95% de la production mondiale. Depuis 2010, elle applique des quotas à l'exportation fixés à un peu plus de 30.000 tonnes par an, sur une production annuelle chinoise de 120.000 tonnes.
Les 17 métaux de la famille des terres rares sont indispensables à la fabrication certains produits verts, tels que les éoliennes ou les moteurs électriques.
Prévisible
Les poursuites engagées contre la Chine étaient attendues depuis l'ouverture aux Etat-Unis en octobre 2010 d'une enquête préliminaire pour déterminer si la Chine agit au détriment de ses concurrents internationaux dans le secteur des technologies vertes. Les services de Ron Kirk, le représentant américain au commerce extérieur, avait alors reçu un épais dossier remis par le syndicat de la métallurgie (United Steel Workers (USW)) et listant une série de mesures chinoises visant à soutenir les industries vertes locales. Ces mesures, contraires aux règles de l'OMC selon les métallurgistes américains, vont du versement de subventions aux producteurs nationaux, à la restriction de l'accès du marché chinois, en passant par les quotas à l'exportation des terres rares.
Le syndicat demandait donc au gouvernement d'intervenir afin de protéger l'emploi aux Etats-Unis et c'est l'angle retenu aujourd'hui par le président des Etats-Unis, Barack Obama, pour justifier le recours déposé devant l'OMC. "Nous voulons que nos entreprises construisent ces produits ici en Amérique", a-t-il justifié depuis la Maison Blanche, expliquant que "pour cela elles doivent avoir accès aux terres rares que fournit la Chine".
Par ailleurs, en juillet 2011 les Etats-Unis, le Mexique et l'UE ont obtenu une victoire devant l'OMC contre des mesures chinoises de restriction à l'exportation de minerais, tels que la bauxite, le coke, le magnésium ou le zinc. Un dossier similaire qui envoyait "un signal fort", estimait la Commission européenne, notamment dans la perspective de l'affrontement relatif aux terres rares.
Le cas particulier des terres rares
Néanmoins, il n'est pas certain que la première victoire des pays occidentaux préfigure d'un résultat similaire pour les terres rares. En plaçant au centre de sa stratégie de quotas la question de la protection de l'environnement, les autorités chinoises s'appuient sur une des possibilités offertes par l'OMC pour déroger à ses règles générales. "Les quotas ont été mis en place pour protéger l'environnement et permettre un développement durable", a rappelé Liu Weimin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, ajoutant que "ces mesures sont conformes aux règles de l'OMC".
Pour que l'Organisation valide les quotas, il faut que la Chine démontre qu'ils sont accompagnés de restrictions à la production et à la consommation intérieure. Or, le mécanisme de quotas chinois s'accompagne d'une taxe sur les minerais de terres rares et d'un plafond à l'extraction.
L'argument a-t-il des chances de porter ? Il est délicat de répondre à cette question mais l'on peut noter que ce sont des questions de protection de l'environnement qui ont conduit pour partie certains groupes occidentaux à fermer leurs unités de production en Europe et aux Etats-Unis. En effet, la production de terres rares, aux delà des pollutions habituellement associées à l'extraction et au raffinage des matières premières minérales, se fait à partir de deux principaux minerais, la monazite et la bastnaésite, qui contiennent aussi du thorium, un élément radioactif.
De fait, ce n'est pas la rareté qui a conduit à concentrer la production des terres rares en Chine mais plutôt la fermeture progressives de nombreux sites hors de Chine. S'agissant de l'exemple français, l'Inventaire national des matières et déchets radioactifs publié en 2009 par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) liste au moins 5 sites associés à la production de terres rares et considérés comme des "sites pollués sur lesquels sont entreposés des déchets" radioactifs.
De même, le projet d'usine de traitement des terres rares porté par le groupe minier australien Lynas en Malaisie, l'un des rares projets hors de Chine, vient de recevoir une licence provisoire. Un document délivré par le Conseil de licence pour l'énergie atomique de Malaisie et qui pourrait être révoqué en cas de manquement aux règles de gestion des déchets.
Par ailleurs, la Banque mondiale a apporté un soutien indirect à la Chine à l'occasion de la publication fin février du rapport sur le modèle de développement de la Chine d'ici 2030. Le document recommande vivement de limiter la destruction de l'environnement et la consommation des ressources et l'organisation internationale préconise de "fixer des quotas d'exportation pour la plupart des produits polluants et gourmands en ressources". Exactement, ce que la Chine applique aux terres rares…
Vers des négociations ?
En l'état de la procédure engagée par les pays occidentaux, les différentes partie-prenantes ont deux mois pour régler à l'amiable le litige. Ce n'est qu'en cas d'échec que l'OMC interviendrait et trancherait le litige. Dans ce contexte, il est envisageable que la plainte déposée ait pour unique objet de forcer la Chine à négocier les conditions d'accès aux terres rares.
L'hypothèse prend d'autant plus forme que la plainte précédente, déposée devant l'OMC en décembre 2010 et relative aux aides chinoises destinées au secteur de l'éolien, a abouti en juin 2011 à un accord négocié entre Etats-Unis et Chine. D'autant plus qu'aujourd'hui l'exécutif pourrait tirer partie d'un accord à l'amiable avec la Chine : se montrer ferme vis à vis de la Chine et obtenir d'elle qu'elle respecte les règles du commerce international ne serait pas dénué d'intérêt pour Barack Obama dans sa lutte contre le futur candidat républicain.
Surtout que la négociation est aussi demandée par les Chinois. Le vice-président chinois, Xi Jinping, en visite à Washington (Etats-Unis), a saisi l'occasion pour tendre la main aux Etats-Unis. Il a estimé lors d'une rencontre avec son homologue américain, Joe Biden, que "les deux parties, doivent (…) s'attacher à adopter dans leurs relations économiques et commerciales une perspective de bénéfices mutuels et de résultats gagnant-gagnant".
Que pourraient négocier les pays occidentaux ? A minima le respect des quotas, puisqu'il semblerait qu'en 2011 la Chine n'a finalement exporté que la moitié des 30.000 tonnes autorisées. Une possibilité qui n'a pas échappé à l'Empire du milieu : "la Chine va continuer à approvisionner le marché international en terres rares", a rassuré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Reste à fixer des volumes qui conviennent à tous les acteurs.