« Pendant 10 ans, l'ambition est de faire évoluer la représentation que nous avons de l'eau, pour la considérer pour elle-même, dans un contexte de changement global, a indiqué Agathe Euzen, responsable de la cellule Eau du CNRS et codirectrice du programme « One water, l'eau bien commun ». Nous allons réfléchir en associant un consortium collectif de chercheurs qui développeront des partenariats avec la filière ». Lancé le 16 mars 2022, ce programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) souhaite contribuer à faire évoluer la gestion de l'eau en France. Il sera copiloté par trois établissements de recherche : le CNRS, le BRGM et l'Inrae. Ses objectifs et leviers d'actions ont été détaillés à l'occasion du Carrefour des gestions locales de l'eau, fin juin.

Un projet pour s'adapter au changement climatique…

À l'origine de cette initiative, le constat qu'avec le changement climatique et l'augmentation des extrêmes hydrologiques, de nouveaux enjeux émergent. Et leur prise en charge ne peut plus faire l'impasse d'une approche nécessairement systémique et multi-acteurs. Le programme vise donc à structurer la communauté scientifique, renforcer les dialogues interdisciplinaires pour produire de la connaissance et proposer des solutions de gestion de l'eau partagées. « Pour l'actualisation du plan de bassin d'adaptation au changement climatique, nous avons besoin de connaissances qui ne soient pas en silo, a illustré Valéry Morard, directeur général adjoint de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Il y a un enjeu de perception, de partage de la donnée, de construction d'une autre façon de voir ».

Dans cette optique, plusieurs actions vont s'échelonner de 2022 à 2031. Quatre appels à projets, ouverts à la communauté scientifique, seront lancés pour accompagner les transitions avec un travail transdisciplinaire (1) ou répondre à 6 défis (2) .

…à travers notamment 6 défis

Le premier d'entre eux cherche à anticiper l'évolution de la ressource en eau pour favoriser l'adaptation. Le second, vise à définir et mesurer une « empreinte eau » des activités humaines, aussi bien quantitative que qualitative. Un troisième défi se penchera sur de nouveaux indicateurs à travers l'idée de « l'eau sentinelle » : un moyen de suivre la qualité des milieux et la santé humaine. Le quatrième s'intéressera aux solutions pour favoriser l'adaptabilité et la résilience. Enfin, les deux derniers sont des thématiques transversales qui pour l'un vise à revisiter les modèles de l'eau à travers l'idée de « l'eau bien commun » et l'autre, mettre en commun les données à travers une plateforme « OneWater Data ». « Nous sommes à un moment où il ne suffit pas de réunir les scientifiques pour que ce qui sort soit admis par tous, a pointé Valéry Morard. La manière de coconstruire permettra de faire avancer la perception des sujets : il ne suffit pas d'avoir les outils et la science, il faut aussi avoir les oreilles ».

Un premier appel à projets exploratoi (3) re « défi» a d'ores et déjà été ouvert jusqu'à décembre 2022. « En parallèle, des projets ciblés, sur lesquels nous avons des idées sur comment progresser seront lancés, a précisé Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Eaux et Changement Global au BRGM. Ces derniers travailleront notamment sur les données hydroclimatiques et des systèmes de prévisions, revisiteront le réseau de suivi utilisé dans le cadre de la Directive cadre sur l'eau (4) ou encore étudieront la faisabilité d'une aquathèque (conserver et rendre disponible des échantillons d'eau). « Le PEPR prévoit également des renforcements des capacités de formation de jeunes chercheurs mais aussi des écoles », a ajouté Dominique Darmendrail.  Un volet sera également consacré au financement d'équipements spécifiques.

…Mais doté d'un budget de 53 millions d'euros sur dix ans

Si le programme semble ambitieux, en regard, le budget n' apparaît pas tout à fait en adéquation. L'État prévoit en effet de le soutenir à hauteur de 53 millions d'euros sur dix ans. « C'est clair, nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux, c'est pour cela que nous envisageons des possibilités de partenariats, a reconnu Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Eaux et Changement Global au BRGM. Clairement, il faut que nous nous associions avec ceux qui peuvent apporter des solutions ».

Le financement ne peut aujourd'hui être accordé qu'à des établissements de recherche. Les partenaires du programme ont donc prévu de constituer un groupe de réflexion « think tank » et « labelliserons » des actions OneWater pour pouvoir associer d'autres partenaires. « Les six pistes du programme sont en lien avec les cinq projets structurants de la filière mais aussi avec l'avenant que nous sommes en train de travailler avec l'État, a indiqué Patrick Faisques, délégué du Comité Stratégique de la Filière Eau. Si nous voulons passer à des réalités, il faut qu'une partie privée puisse s'ajouter ».

Les différents acteurs envisagent également de solliciter des aides européennes. « Parfois nous n'accédons pas aux financements européens par manque de gros projets, a remarqué Daniel Pierre, Président du Pôle Dream Eau & Milieux et du Pôle de compétitivité France Water Team. C'est peut-être une opportunité d'actions pour One Water ».

La réunion de l'ensemble des acteurs vise aussi à intégrer toutes les données de l'équation. « Au-delà de pousser de l'innovation, c'est important que la recherche s'empare des verrous techniques et économiques rencontrés par un territoire pour répondre aux enjeux de la gestion de l'eau, indique Daniel Pierre. J'espère qu'il y aura une suite à One Water vu la complexité des enjeux ».