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« Les ongulés sauvages ont une dynamique à succès »

Les populations de cerfs, chevreuils, sangliers et autres ongulés sauvages sont en constante augmentation depuis cinquante ans en France. Anne Loison, du CNRS, en décrypte les causes, les conséquences sur l'environnement et les perspectives d'évolution.

Interview  |  Biodiversité  |    |  L. Radisson
   
« Les ongulés sauvages ont une dynamique à succès »
Anne Loison
Directrice de recherche au CNRS - Laboratoire d'écologie alpine (Leca)
   

Actu-Environnement : L'augmentation des populations concerne-t-elle toutes les régions et toutes les espèces d'ongulés sauvages (1)  ?

Anne Loison : Oui, mais il y a des variations régionales. Les populations n'ont pas toutes commencé à augmenter au même moment et dans la même mesure. L'évolution dépend de beaucoup de paramètres : pression de chasse, pression du pastoralisme, etc. Il y a donc une hétérogénéité dans la dynamique de l'augmentation dans l'espace et par espèce. Il y a une dynamique forte dans les milieux nouvellement colonisés, comme le cerf en montagne. Les ongulés dits de plaine gagnent les montagnes mais, dans le même temps, ceux de montagne descendent dans les forêts et dans les milieux méditerranéens, à l'instar du chamois dans les gorges du Verdon. Il y a donc moins de spécialisation maintenant. Celle-ci était essentiellement liée à une action humaine. La présence humaine est importante aujourd'hui mais, dans le passé, il y avait plus de gens dans les campagnes et la déprise agricole a laissé de la place aux ongulés.

AE : Mais comment expliquer cette croissance alors que les indicateurs en matière de biodiversité sont globalement au rouge vif ?

AL : Il y a eu une prise de conscience de la disparition de la faune d'ongulés au cours du XXe siècle, avec une accélération dans les années 1960-1970, qui a amené à la mise en place d'actions de gestion, notamment des plans de chasse. D'autres facteurs ont joué comme la déprise agricole et sylvicole, ou des actions proactives, comme les réserves de chasse et de faune sauvage avec une gestion très conservative des animaux, à l'instar du massif des Bauges avec le chamois. Il y a eu aussi des réintroductions ou des introductions, comme celles du mouflon dans les Alpes, les Pyrénées et le Massif central. La croissance des ongulés s'explique également par le fait qu'il s'agit d'espèces de grande taille qui peuvent augmenter leur territoire pour s'alimenter. Elles sont moins inféodées à un lieu car elles n'ont besoin ni de nid ni de terrier. Ce sont des espèces dont la potentialité d'augmentation est rapide par rapport à leur masse corporelle. Elles ont donc une dynamique à succès. Les herbivores ruminants sont arrivés récemment dans l'histoire évolutive et ce sont des machines très performantes en termes de transformation d'une biomasse verte pas très riche en biomasse animale.

AE : La croissance des populations va-t-elle se poursuivre ?

AL : Dans des conditions idéales, la population peut doubler entre deux et cinq ans suivant les espèces. Cela peut donc être très rapide, mais la croissance ne se fait pas ad vitam aeternam car les plantes évoluent également sous la pression des ongulés. Les populations fluctuent au gré des effets du phénomène de densité-dépendance. Par exemple, à forte densité, les femelles mettent bas plus tard, les petits survivent moins bien, etc. Même s'il n'y avait pas de chasse ou de prédateurs, la dynamique ralentirait. Il y a aussi un phénomène de fluctuation naturelle selon les années, due à de facteurs multiples, avec de bonnes et de mauvaises années. Dans certains lieux, la croissance s'est déjà ralentie. La dynamique du cerf est par exemple moins forte dans des milieux où il est présent depuis longtemps. Mais les différentes espèces ne répondent pas de la même façon. Le sanglier est très dépendant des glandées de chêne, qui sont plus abondantes avec le changement climatique. Il peut donc se reproduire de façon plus fréquente qu'avant, et ce, alors qu'il peut avoir plus de petits que les autres espèces et que la pression de chasse, liée à la taille, a conduit les femelles à se reproduire plus jeunes.

AE : Quelles sont les conséquences de cette croissance des populations d'ongulés ?

AL : Les effets des ongulés dépendent beaucoup de leur densité. À faible densité, ils n'ont pas beaucoup d'effets. À densité moyenne, ils ont un effet positif. Une forte densité aura des effets qui peuvent être considérés comme délétères, notamment sur certaines plantes, sur le sol par piétinement, etc. Mais dans un système où les animaux pourraient se mouvoir dans le paysage de façon non contrainte, les fortes densités locales entraîneraient une meilleure distribution des individus en fonction des ressources alimentaires dans le paysage. Il y a un jeu d'interactions entre les plantes et les ongulés qui constitue un « équilibre fluctuant ».

AE : Quels sont les effets bénéfiques des ongulés sur l'environnement ?

AL : Il y a beaucoup d'effets bénéfiques en termes de biodiversité, par la sélection des plantes, l'ouverture des sous-bois, la prévention des feux ou encore la dispersion des graines entre milieux forestiers et milieux ouverts. Ce sont des agents structurants des écosystèmes. Et c'est un succès de gestion et de conservation que l'on ait ainsi pu augmenter la biodiversité de grands herbivores en Europe.

AE : Quels sont les effets négatifs ?

AL : Quand il y a des problèmes de régénération, les ongulés peuvent être considérés comme un paramètre de nuisance par les professionnels de la sylviculture, même dans les cas où les problèmes de régénération ne sont pas directement liés à leur présence. Contrairement au milieu agricole, il n'y a pas de dédommagement dans le domaine de la sylviculture. Mais l'impact réel sur la sylviculture est en fait très difficile à étudier, car il ne peut l'être que sur le long terme. Cela dépend de nombreux facteurs : types de peuplements forestiers, mesures de protection mises en place, etc.

AE : Les activités humaines sont-elles impactées ?

AL : Les problèmes étant souvent liés au nombre d'animaux, ils augmentent avec l'expansion des populations. Une difficulté importante pour certaines espèces, et souvent de façon localisée, est le risque de collisions ferroviaires et routières. Pour les éviter, le plus simple est de faire baisser les populations d'animaux, mais ce n'est pas la seule issue possible. On peut prévenir les collisions en mettant des barrières, en interdisant la circulation sur certaines routes, en diminuant la vitesse des véhicules, en éclairant les routes ou en agissant sur les comportements humains.

AE : Existe-t-il également des conséquences sanitaires ?

AL : Ce qui est très difficile à gérer et qui peut faire peur, ce sont effectivement les maladies et zoonoses. Le fait qu'il y ait plus d'animaux permet une circulation plus rapide des maladies, comme la peste porcine chez les sangliers. La plupart des maladies retrouvées dans la faune sauvage proviennent des animaux domestiques et il y a peu de cas où ce sont les animaux sauvages qui sont à l'origine de la contamination des animaux domestiques ou de l'homme. Mais, quelle que soit l'origine, animaux sauvages et animaux domestiques sont très proches au niveau phylogénétique. Il peut y avoir aussi des effets sanitaires indirects car les ongulés sont un des hôtes des tiques.

AE : Peut-on dire que la densité des ongulés est trop importante aujourd'hui ?

AL : D'un point de vue écologique, il n'y a pas de problème. Il pourrait y en avoir plus. La notion de « il y en a trop » se pose par rapport aux problèmes occasionnés à l'activité humaine. L'homme essaie en général d'avoir un écosystème qu'il a l'impression de contrôler. Tout dépend donc de ce que l'on veut comme écosystème : un écosystème productif, stable, résilient, non géré… ? On peut aussi apprendre à vivre avec les animaux qui sont autour de nous. Cela dépend des objectifs de gestion que l'on se donne. La non-gestion peut aussi conduire à une baisse de biodiversité localement ou à laisser cours à des perturbations naturelles telles que le feu. En fait, la biodiversité est maximale dans un écosystème moyennement perturbé. Quand il y a des feux, quand il y a des tempêtes, ou une pression d'herbivorie d'intensité moyenne, il y a alors des niches écologiques pour beaucoup d'espèces différentes.

AE : Quels sont les effets de la croissance des grands prédateurs sur les ongulés ?

AL : Je pense que l'ours a un impact minime, car il est omnivore et n'est pas un gros consommateur d'ongulés sauvages. Quant au loup, son retour a été favorisé par l'abondance des ongulés toute l'année. Il est très opportuniste et va utiliser différentes proies en fonction de leur facilité d'accès. L'augmentation de leur population pourrait conduire à une baisse de celle des ongulés. Mais vu leur capacité de dispersion et le fait que leur palette de proies est large, ce n'est pas si facile à prédire. Ce qui est sûr, c'est que les espèces les plus vulnérables comme le mouflon tendent à baisser les premières, mais rarement à disparaître. Une fois leur population réduite et les individus plus difficiles à attraper, le loup va se nourrir par exemple du chevreuil ou du sanglier, plus abondants. L'impact d'un prédateur sur une population d'ongulés dépend de beaucoup d'éléments : mode de chasse, effectifs des populations d'animaux, âge et condition des animaux consommés, etc. Le nombre de proies ne suffit donc pas à mesurer l'impact, d'autant plus quand les populations de proies sont à forte densité, la prédation pouvant avoir des effets compensatoires.

AE : Certaines espèces d'ongulés vont-elles prendre le dessus sur les autres ?

AL : L'arrivée d'un nouvel herbivore ne va pas forcément entraîner de la compétition s'il mange de la nourriture qui n'est pas accessible ou digeste pour un autre herbivore déjà présent. Le cerf peut manger de la nourriture de moins bonne qualité qu'une espèce comme le chamois, mais il consomme aussi ce que mange ce dernier. Il peut aussi avoir des effets positifs en mangeant des broussailles que le chevreuil ou le chamois n'auraient pas mangées, ouvrant ainsi le paysage et permettant à de la nourriture de bonne qualité de réémerger. Mais, globalement, le cerf est un peu perturbateur dans le système et il nous reste à étudier son impact réel sur les autres espèces. Des études suisses et italiennes suggèrent un effet négatif chez le chamois.

AE : Quel impact va avoir le dérèglement climatique sur les populations d'ongulés ?

AL : Il y a beaucoup d'effets du changement climatique. Il agit par trois canaux : la moyenne de la température qui augmente, la variabilité avec plus d'événements extrêmes et plus de changements d'une année à l'autre, et enfin la saisonnalité, avec des printemps qui deviennent plus précoces ou la neige présente moins longtemps. Ce n'est pas simple d'en prédire le bilan net. C'est bien pour la survie des jeunes, moins bien pour la reproduction des femelles en raison d'un décalage de la réponse aux changements climatiques entre les plantes et les animaux. Quant à la hausse des températures en été, elle contraint énormément les animaux dans leurs comportements. En montagne, ils sont forcés de redescendre en forêt ou d'aller en face nord où la nourriture est de moins bonne qualité.

1. Cerf, chevreuil, daim, chamois, isard, mouflon, bouquetin, sanglier

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