Alors qu'une pétition d'un million de citoyens est remise au Parlement européen, la Commission présente une initiative renouvelée en faveur des pollinisateurs. La question est de savoir si les États membres sont prêts à s'attaquer aux pesticides.
« Écoutez la science et non l'industrie. » C'est le cri d'alarme lancé par Helmut Burtscher-Schaden. Membre de l'ONG autrichienne Global 2000, ce dernier est coorganisateur de l'initiative citoyenne européenne (ICE) « Sauvons les abeilles et les agriculteurs », qui a recueilli plus de 1 million de signatures et qui a été remise au Parlement européen, mardi 24 janvier. Le même jour, la Commission européenne a présenté une initiative renouvelée en faveur des pollinisateurs, mais sans réussir à lever le doute sur la volonté réelle des États membres de s'attaquer aux pesticides, principale cause de leur déclin.
L'ICE, qui vise l'élimination progressive des pesticides de synthèse, a, semble-il, inspiré l'exécutif européen. Celui-ci a proposé en juin 2022 un projet de règlement qui rendrait contraignant l'objectif, contenu dans la stratégie De la ferme à la fourchette et dans la stratégie biodiversité, de réduire de 50 % l'usage des pesticides chimiques et des risques associés d'ici à 2030. Le même jour, était présenté un autre projet de règlement destiné à restaurer la nature.
« Intérêts particuliers »
« Ces deux propositions sont sérieusement menacées par les forces conservatrices et les intérêts particuliers », ont alerté les organisateurs de l'ICE devant les eurodéputés. Courant décembre, les États membres, relayant la demande des syndicats agricoles majoritaires, ont en effet demandé la réalisation d'une étude d'impact complémentaire sur le projet de règlement sur les pesticides prétextant du nouveau contexte constitué par la guerre en Ukraine. Ce qui ralentit d'autant les négociations sur ce texte. « À la lumière des circonstances actuelles, il est crucial que les rendements agricoles restent stables pour produire suffisamment de produits de haute qualité et abordables », avait salué la Copa-Cogeca, organisation professionnelle agricole européenne.
C'est la tâche de la politique de protéger la santé des citoyens au lieu de donner la priorité à l'industrie agricole
Martin Dermine, Pesticide Action Network Europe
Sauf que la science dit le contraire. Les études scientifiques permettent d'affirmer, «
de manière robuste », que les produits phytopharmaceutiques sont une des causes du déclin de certaines populations, dont les insectes pollinisateurs, affirme Stéphane Pesce, chercheur en écotoxicologie des milieux aquatiques à l'Inrae, dans une
expertise scientifique collective menée avec l'
Ifremer et publiée en mai 2022. Dans une
étude scientifique publiée le 14 décembre 2022 dans la revue
Environmental Health Perspectives, les chercheurs de neuf instituts montrent que 3 à 5 % de la production mondiale de fruits et légumes sont perdus en raison d'une pollinisation inadéquate, qui s'explique en grande partie par l'agriculture intensive. Ils ont aussi calculé que, dans trois pays qu'ils ont étudiés (Honduras, Népal et Nigéria), la valeur économique de la production agricole était de 12 à 31 % inférieure à celle qui aurait été obtenue si les pollinisateurs avaient été abondants. En 2016, le
rapport thématique de l'Ipbes consacré aux pollinisateurs pointait aussi l'utilisation des pesticides, dont l'usage massif des
néonicotinoïdes, dans leur déclin.
« Les pesticides sont des toxines qui tuent les abeilles, les papillons et autres pollinisateurs ainsi que les plantes et les micro-organismes. Les pesticides mettent en danger notre santé, en particulier celle des agriculteurs. Les pesticides sont également un facteur majeur de l'extinction mondiale des espèces. (…) C'est la tâche de la politique de protéger la santé des citoyens au lieu de donner la priorité à l'industrie agricole », a exhorté Martin Dermine, de l'ONG Pesticide Action Network (PAN) Europe, coorganisateur de l'ICE, devant les eurodéputés.
Détermination sujette à interrogation
Dans le même temps, la Commission européenne a présenté son « nouveau pacte en faveur des pollinisateurs » sous forme d'une communication, qui révise son initiative de 2018. « Nous avons besoin d'actions immédiates et ciblées pour sauver les pollinisateurs, car ils sont inestimables pour nos écosystèmes, nos sociétés et nos économies. Ce nouveau pacte de l'UE pour les pollinisateurs constitue une avancée décisive, pas uniquement pour l'UE, et peut inspirer des actions similaires à travers le monde », a vanté Virginijus Sinkevičius, commissaire à l'Environnement.
Parmi les trois priorités de cette initiative figure celle d'améliorer la conservation des pollinisateurs et de lutter contre les causes de leur déclin. L'objectif portant spécifiquement sur les pesticides vise à « atténuer [leurs effets] sur les pollinisateurs ». Parmi les actions envisagées, la Commission cite l'obligation légale de mettre en œuvre une lutte intégrée contre les ennemis des cultures, des méthodes d'essai supplémentaires pour déterminer la toxicité des pesticides pour les pollinisateurs, ainsi que la réduction des pesticides et de leurs risques conformément au projet de règlement.
Mais la détermination de l'exécutif européen et des États membres est sujette à interrogation alors que certaines organisations agricoles souhaitent freiner ces initiatives. La veille de ces annonces, la FNSEA a annoncé le lancement, via l'association Contrat de solution, du premier recensement d'initiatives de terrain en faveur des insectes pollinisateurs. Cette association regroupe 44 partenaires parmi lesquels figure, outre le syndicat agricole majoritaire, Phytéis, l'association professionnelle représentant les producteurs de pesticides. Mais point de mention de pesticides dans cette initiative. « Tout comme les pollinisateurs, le recensement d'initiatives de terrain souhaite butiner les solutions existantes pour aller, ensuite, essaimer et polliniser de nouveaux territoires », explique le communiqué de la FNSEA.
« On est en plein paradoxe »
Les déclarations des différents commissaires européens concernés montrent les divergences d'approche. « Dans l'UE, la moitié des cultures qui dépendent de la pollinisation sont déjà déficitaires. Il est absolument nécessaire de réduire et de remplacer les pesticides chimiques », explique, d'un côté, Frans Timmermans, vice-président exécutif chargé du Pacte vert pour l'Europe. « Je reconnais et salue le dur labeur des agriculteurs qui s'emploient chaque jour à nous nourrir tout en respectant les exigences environnementales les plus ambitieuses au monde. Les plans stratégiques relevant de la PAC les soutiendront dans leur transition vers des pratiques plus écologiques », déclare, de l'autre, le commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski.
« On est en plein paradoxe, a pour sa part estimé l'eurodéputé socialiste Éric Andrieu devant le Parlement européen. Aujourd'hui, on a le Green Deal, on a Farm to fork, on a la stratégie biodiversité. Et l'instrument que nous avons qui est la PAC est en total décalage avec ces objectifs-là. »
La Commission invite en tout cas le Parlement et le Conseil à approuver les nouvelles actions qu'elle a présentées. Ces actions « compléteront les futurs plans nationaux de restauration (au titre de la proposition législative sur la restauration de la nature), dans le cadre duquel les États membres détermineront les mesures à prendre pour atteindre l'objectif juridiquement contraignant d'inverser le déclin des populations de pollinisateurs d'ici à 2030 », explique l'exécutif européen.
Quant à l'initiative citoyenne européenne, la Commission y répondra « dans le courant de l'année » via une communication spécifique, précise-t-elle. On en saura alors davantage sur sa volonté, qui ne fait que relayer celle des États membres, de s'attaquer véritablement au problème.
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