Le Parlement européen a adopté le 10 décembre à une large majorité une résolution (1) pour s'opposer au projet de règlement préparé par la Commission visant à définir les critères de sortie du statut de déchet pour les papiers et cartons.
L'initiative n'est pas neutre puisque le Parlement a intercepté cet acte délégué relevant normalement de la compétence de la Commission, estimant que le texte affectait des dispositions législatives essentielles du droit de l'Union européenne. Auparavant, certains Etats membres, dont la France, s'étaient opposés au projet, estimant que l'inclusion des matériaux multicouches dans le champ d'application du règlement représentait un danger pour l'environnement. Ces matériaux, comme les briques alimentaires, comportent effectivement de l'aluminium et du plastique en sus du papier.
Les règlements précédemment adoptés par l'exécutif européen pour trois séries de matériaux (aluminium, fer et métaux ferreux, verre et cuivre) n'avaient pas suscité une telle opposition.
Mauvaise évaluation des incidences du projet
D'apparence purement technique, la volonté de déplacer un curseur dans la chaîne, juridiquement très organisée, du déchet a mis le feu aux poudres. "La Commission n'a pas correctement évalué les incidences du projet de règlement sur le recyclage du papier et les transferts de déchets vers des pays tiers sous forme de produits", indique la résolution adoptée.
Que veulent dire les eurodéputés ? Le projet de règlement prévoyait que le papier usagé obtienne le statut de "fin de déchet" très tôt dans la chaîne de recyclage. Le Parlement a considéré que cette définition n'était pas compatible avec la définition du recyclage figurant dans la directive-cadre sur les déchets, qui implique le retraitement des déchets. "En situant la fin du statut de déchet avant même que le recyclage n'ait eu lieu, on s'expose à des problèmes par rapport à un vaste ensemble de textes législatifs communautaires en vigueur relatifs, notamment, aux labels écologiques, aux marchés publics, à l'écoconception et à Reach", précisent les parlementaires.
Pour la Commission, au contraire, le recyclage n'est pas le seul moyen pour les déchets de papier d'atteindre les critères de sortie du statut de déchet. "La directive sur les déchets autorise toute opération de valorisation, pourvu que les critères pertinents soient remplis", estime le porte-parole du commissaire à l'environnement Janez Potočnik.
Des taux d'impuretés 15.000 fois supérieurs
D'autre part, le choix des normes applicables aux déchets plutôt qu'à celles des produits aurait autorisé des taux d'impuretés 15.000 fois supérieurs à ceux actuellement exigés des produits en papier, estime le Parlement. "Le taux d'impureté proposé est dans les standards applicables actuellement par les papeteries pour l'acceptation du papier récupéré", rétorque la Commission.
Reprenant l'argument des Etats membres opposés au projet, les eurodéputés ont aussi considéré que l'inclusion de papiers multicouches dans le champ du règlement faisait courir des risques supplémentaires pour l'environnement, ainsi que l'avait fait ressortir le Centre commun de recherche (JRC), service scientifique qui relève… de la Commission européenne. Pour cette dernière, au contraire, les fibres de papier multicouches seraient de haute qualité pour le retraitement et la proposition présentait, par ailleurs, des conditions strictes de garantie sur l'impact environnemental de la fraction non fibreuse.
Selon le Parlement, enfin, en adoptant ce règlement, les matériaux auraient pu être commercialisés librement sur les marchés mondiaux "sans que s'appliquent les garde-fous prévus par le règlement sur les transferts de déchets". En outre, ajoutent les eurodéputés, le texte aurait même pu entraîner une diminution du taux de recyclage du papier en Europe, qui s'élève actuellement à 72%. Leur explication ? Le texte aurait occasionné une moindre disponibilité des déchets de papier et, partant, une production plus importante de papier à partir de fibres vierges. D'où un apport d'énergie plus élevé, davantage d'émissions de CO2 et, par conséquent, "des effets globaux nocifs pour l'environnement".
20.000 emplois directs sauvés
L'industrie papetière française, par la voix de Copacel, s'est félicitée du rejet de cette proposition "qui serait allée à l'encontre de la mise en place d'une véritable économie circulaire". Sur la même longueur d'ondes, la Confédération des industries papetières européennes (Cepi) applaudit le vote du Parlement qui permettra, dit-elle, de sauver plus de 20.000 emplois verts directs dans l'industrie du papier et environ 140.000 emplois indirects en Europe. "Si cette législation avait été adoptée, estime l'organisation professionnelle, elle aurait assoupli les règles de gestion des déchets de l'UE et déclenché une fuite de vieux papiers vers l'Asie, faisant monter les prix en Europe et portant atteinte à la qualité des déchets de papier disponibles pour le secteur européen du recyclage".
La Commission s'inscrit en faux et indique que, même si cela avait été le cas, les papiers répondant aux critères de sortie du statut de déchet auraient présenté une menace moindre pour l'environnement que les exportations actuelles de déchets de papier.
La Commission doit revoir sa copie
Au final, qui avait intérêt au vote de ce projet de règlement ? "Tous les collecteurs de déchets de papier qui espéraient que les critères de sortie du statut de déchet leur permettraient de transformer les déchets de papier en un produit qui pourrait être vendu sur le marché", explique le porte-parole du commissaire à l'environnement.
La Fédération des entreprises du recyclage (Federec) se dit effectivement favorable à la sortie du statut de déchet en vue de booster le recyclage et indique avoir été en accord avec la première version du texte. Mais l'intégration des papiers multicouches dans le périmètre du texte au cours de la procédure d'adoption a changé les choses, explique la fédération professionnelle.
La Cepi ne se dit pas non plus opposée au principe de définir des critères de sortie du statut de déchet pour le papier, mais la Commission doit revoir son approche et s'aligner sur celle retenue pour les autres flux de matières, indique l'organisation. En tout état de cause, l'exécutif européen qui déclare actuellement "réfléchir sur le prochain plan d'action" est aujourd'hui contraint de revoir entièrement sa copie.