« Nous sommes dans une course contre la montre pour sécuriser nos approvisionnements en énergie pour l'hiver prochain. Avec l'adoption des mesures du titre III, nous donnons à l'État les leviers indispensables pour agir dès cet hiver », a assuré la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, lors de la lecture, le 3 août à l'Assemblée nationale, du texte de loi sur la protection du pouvoir d'achat issu de la commission mixte paritaire (CMP).
Après une saisine du Conseil constitutionnel par des parlementaires d'opposition, la loi a été promulguée le 16 août par le président de la République et publiée le lendemain au Journal officiel, tout comme la loi de finances rectificative pour 2022, toutes deux constitutives du paquet pouvoir d'achat. Ces textes contiennent plusieurs dispositions en matière d'énergie dans lesquelles l'exécutif met en avant la défense du pouvoir d'achat, mais qui sont critiquées pour leur impact environnemental par les associations de lutte pour le climat.
« Cet accord montre que ni le gouvernement ni les chambres n'ont intégré que la transition écologique reste le meilleur moyen pour lutter contre la précarité. Pire, les premiers grands textes de ce quinquennat intègrent des mesures climaticides, alors que la France subit une sécheresse historique et des canicules à répétition », dénonce ainsi le Réseau Action Climat (RAC).
Remise carburant
Plusieurs dispositions ont été adoptées afin de diminuer la facture énergétique des ménages. Mais le RAC déplore « des mesures temporaires et exceptionnelles qui rattrapent à peine l'inflation ». Et d'ajouter : « Pire encore, certaines mesures favorisant l'achat d'énergies fossiles ne sont pas ciblées socialement. Elles vont donc aussi profiter aux plus aisé.e.s, au détriment à la fois de la transition écologique et de la lutte contre la précarité. »
Mais les lois budgètent aussi 230 millions d'euros en faveur des ménages modestes qui se chauffent au fioul. Elles prévoient également 15 millions pour les petites stations-services rurales.
Les textes votés permettent par ailleurs de maintenir le bouclier tarifaire mis en place fin 2021. « Celui-ci permet de plafonner la hausse des factures d'électricité à 4 % et de geler les prix du gaz à leur niveau d'octobre 2021. Le dispositif sera prolongé jusqu'à la fin de l'année 2022 », vante le ministère de l'Économie dans un communiqué. Le volume maximal de l'accès régulé à l'électricité nucléaire (Arenh), utilisé pour financer ce bouclier tarifaire, est toutefois plafonné à 120 térawattheures (TWh) alors que le Commission de régulation de l'énergie (CRE) demandait à ce qu'il soit porté à 130 TWh en 2023 et que le plafond inscrit dans la loi était jusque-là de 150 TWh. Le prix minimum de l'Arenh est par ailleurs relevé de 46,20 à 49,50 €/MWh. « Nous sommes parvenus à un compromis qui renforcera la protection des entreprises électro-intensives et des collectivités territoriales face aux hausses des prix de l'énergie en 2022 », a estimé Mme Pannier-Runacher.
La loi de finances rectificative ouvre, par ailleurs, les crédits nécessaires à la nationalisation d'EDF, soit 9,7 milliards d'euros.
« Surprises de taille »
Le RAC pointe aussi « deux surprises de taille » dans la loi Pouvoir d'achat : la relance de la centrale à charbon de Saint-Avold et la création d'un nouveau terminal méthanier. La centrale Émile-Huchet de Saint-Avold devait être mise à l'arrêt le 31 mars 2022, mais le gouvernement a décidé de relancer son exploitation compte tenu de l'indisponibilité du parc nucléaire et de l'arrêt progressif des importations de gaz russe.
« Pourtant, la crise énergétique actuelle est la conséquence directe de notre dépendance aux énergies fossiles, que nous allons continuer d'entretenir avec ces décisions », explique le RAC, qui rappelle le retard de la France dans le développement des énergies renouvelables et les économies d'énergie. « Nous avons conservé les compléments du Sénat concernant les sanctions associées à la nouvelle obligation de compensation incombant aux exploitants des centrales à charbon en contrepartie de leur reprise temporaire d'activité, ainsi que l'exigence que les projets de compensation soient bien situés sur le territoire national », fait valoir, de son côté, Maud Bregeon, rapporteure (Renaissance) de la CMP devant l'Assemblée nationale.
La mise en place d'un terminal méthanier flottant au large du Havre doit, quant à lui, permettre de sécuriser les approvisionnements en gaz pour l'hiver prochain. « Ce terminal sera utilisé pour importer du GNL, davantage émetteur de gaz à effet de serre que le gaz importé par gazoduc, d'autant plus s'il s'agit de gaz de schiste, particulièrement polluant », dénonce le RAC, qui pointe aussi les règles dérogatoires au droit commun pour implanter cette « méga-infrastructure de gaz fossile ». Il a été conçu pour « avoir le moins d'impact possible sur le plan social et environnemental » et son exploitation est encadrée pour cinq ans seulement, met, de son côté, en avant Mme Pannier-Runacher.
Ce paquet législatif permet aussi au gouvernement de réquisitionner les centrales à gaz produisant de l'électricité en cas de forte tension sur le réseau. Le Parlement a restreint à quatre années cette disposition et a limité cette réquisition pour les installations de cogénération, a expliqué la ministre de la Transition énergétique.
Mais on notera le regard très critique du Conseil constitutionnel sur ces dispositions. Saisi à la fois par des députés et par des sénateurs d'opposition, les Sages de la rue de Montpensier ont encadré en des termes inédits, par des réserves d'interprétation énoncées sur le fondement de la Charte de l'environnement, la mise en œuvre des dispositions relatives au déploiement du terminal méthanier et des installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles.
Augmentation du forfait mobilités durables
De son côté, le Sénat met en avant plusieurs dispositions contenues dans les textes issus des commissions mixtes paritaires. Parmi celles-ci figure celle incitant les employeurs à participer davantage à la prise en charge des abonnements de transport de leurs salariés, au-delà de 50 % de leur coût, via une exonération fiscale et sociale de la fraction allant jusqu'à 75 %. Outre le bouclier tarifaire sur l'énergie et la remise carburant, la Chambre haute vante également le renforcement de la prime transport et du forfait mobilités durables, de même que la facilitation de recours à l'imposition aux frais réels. Les seules avancées du paquet concernent les mobilités, notamment l'augmentation du forfait mobilités durables, estime en effet le RAC.
Le Sénat se félicite, par ailleurs, de la simplification des normes applicables aux projets de biogaz. « 1 200 projets étaient en attente, dans un contexte critique pour notre sécurité d'approvisionnement en biogaz », justifie le Palais du Luxembourg.
« La grande majorité des propositions portées par des député.e.s ou sénateurs.trices visant à accélérer la transition ont été rejetées », déplore toutefois le RAC. « Les deux mesures fortes que nous avions réussi à faire passer au Sénat, la dotation climat pour les collectivités et le crédit d'impôt rénovation pour les TPE-PME ont été abandonnées », regrette ainsi le sénateur écologiste Ronan Dantec.
« Mais, la séquence financière ne fait que s'ouvrir : à la rentrée sera discuté le premier projet de loi de finances du quinquennat. L'occasion pour le gouvernement et les parlementaires de rectifier le tir, et d'enfin amorcer une transition juste », tente de se rassurer le Réseau Action Climat.