Il faut redonner ses lettres de noblesse aux paysages, qu'ils soient exceptionnels ou qu'ils appartiennent au quotidien. C'est le message qu'a voulu faire passer la ministre de l'Ecologie aux parties prenantes réunies à l'occasion de la remise d'un rapport sur les paysages et l'aménagement par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), le 8 septembre. Celui-ci préconise de "conduire une véritable relance politique nationale du paysage".
Des paysages à l'abandon
En 1993, Ségolène Royal, qui était ministre de l'Environnement du gouvernement Bérégovoy, a porté la loi sur la protection et la mise en valeur des paysages. Malgré les avancées de ce texte, depuis, ce sujet a été laissé aux oubliettes. "Il n'y a pas eu de mobilisation nationale importante sur les paysages. La signature de la Convention européenne du paysage par la France en 2000, puis sa mise en œuvre en 2006, ont été faites en toute discrétion. Puis le Grenelle de l'environnement a marqué une régression sur la prise en compte du paysage", analyse Denis Clément, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et coauteur du rapport du CGEDD.
Résultat : "Le territoire a été consommé plutôt qu'aménagé" au cours des dernières décennies, estime l'ingénieur. Etalement urbain très marqué, urbanisme péri-urbain sans cohérence, entrées de villes standardisées, mitage des zones rurales, publicité prégnante, agriculture intensive… font partie d'un long processus de banalisation et de dégradation des paysages entamé depuis une cinquantaine d'années. Un processus "irréversible", souligne Ségolène Royal.
Pour "redonner au paysage toute sa place dans les politiques publiques", la ministre a donc prévu de présenter une communication en Conseil des ministres fin septembre. Auparavant, elle a engagé des réflexions avec les parties prenantes sur les avancées législatives nécessaires (qui pourraient être introduites dans les projets de loi sur la transition énergétique et sur la biodiversité) et les outils à mettre en place pour mobiliser l'ensemble des acteurs sur le sujet.
Le paysage est l'affaire de tous
Le paysage, c'est ce qui fait de la France le pays le plus visité au monde. Le tourisme représente 7% du PIB et 8% des emplois français, indique le CGEDD, précisant que ces emplois sont non délocalisables. C'est aussi l'image de marque des productions françaises.
Quand on parle des paysages français, on pense d'abord aux "joyaux du territoire", qui jouent un "rôle déterminant dans l'attractivité de la France", rappelle Ségolène Royal. Mais il ne faut pas oublier "les paysages du quotidien, qui sont porteurs de sens et de valeurs", souligne la ministre. Le rapport du CGEDD souligne d'ailleurs que leur importance sociale est sous-estimée. Le paysage est créateur de bien-être ou de mal-être : les études sur les liens entre paysage, urbanisme et santé se multiplient, précise Denis Clément.
Le paysage peut également entraîner une "fierté d'appartenance, un lien social fort", estime l'ingénieur. Il peut être l'occasion de co-construire un projet de société, en y associant l'ensemble des acteurs et des citoyens, rappellent les auteurs de l'ouvrage Paysages de l'après-pétrole. Car le paysage est l'affaire de tous, chacun se l'approprie. "C'est notre plus grand dénominateur commun", résume Jean-Marc Bouillon, président de la Fédération française du paysage. Il suffit de voir les fortes mobilisations que provoquent certains projets d'aménagement…
"Lorsqu'on fait une proposition de paysage ou d'aménagement, on prend en compte une interprétation du territoire et on définit un projet futur. C'est une lecture sensible du paysage, qui raconte le lien entre le milieu naturel et les hommes qui y vivent. Grâce à cette approche, on peut créer un consensus important sur un projet", estime Catherine Soula, présidente de l'association des paysagistes conseils de l'Etat.
Des exemples à suivre et à généraliser
Dans le cadre de la modernisation du droit de l'environnement, le CGEDD propose également de regrouper les différents titres consacrés aux paysages dans le code de l'environnement (sites, publicité, nuisances…). Il estime également qu'il faut "préserver le rôle majeur" des lois littoral et montagne.
Les parcs naturels ont également développé des approches intégratives, en faisant du paysage la "clé d'entrée du projet de territoire", explique Pierre Weick, directeur de la fédération des Parcs naturels régionaux.
Mais le CGEDD a également recensé "nombre d'expériences ponctuelles de maîtrise des évolutions paysagères du territoire rural ou périurbain". Et de citer les Schémas de cohérence territoriale (Scot) de Montpellier, du Pays de Brenne, de la Terre des deux caps, l'aménagement des bords de Garonne à Bordeaux, des berges du Rhône et de Saône à Lyon, le réaménagement du vieux port à Marseille… Les auteurs du rapport constatent que "la réussite tient bien souvent à l'initiative et à l'engagement des élus, des pouvoirs publics, et souvent aussi des citoyens, pour aboutir à de véritables projets partagés".