La collecte et le traitement de données personnelles sans le consentement des citoyens pour répondre aux enjeux environnementaux et sanitaires est particulièrement difficile, rappellent les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique et solidaire. Cela pose problème à l'agglomération lilloise qui souhaite rémunérer les conducteurs qui renoncent à utiliser leur voiture sur certains axes routiers aux heures de pointe. Tel est le constat dressé par un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) publié mi-octobre. Le document s'intéresse au projet Ecobonus Mobilité (1) , le dispositif de péage que souhaite développer la métropole européenne lilloise (MEL).
S'inspirer du succès de Rotterdam
Pour y remédier, la MEL a retenu en 2016 un dispositif incitatif visant à rémunérer des usagers récurrents qui modifieraient leurs déplacements. Elle cherche donc à recruter des volontaires qui circulent aux heures de pointe sur les infrastructures les plus congestionnées et qui seraient disposés à reporter certains de leurs trajets ou à utiliser un autre mode de déplacement. Le projet bénéficie d'un financement de 3,3 millions d'euros de la part de l'Etat.
Ce type de "péage inversé", qui fait l'objet d'un engagement national aux Pays-Bas, semble efficace : 40 à 50% des volontaires modifient effectivement leurs trajets pour une rémunération de l'ordre de deux euros par report (pour l'expérience menée à Rotterdam, dont s'inspire directement le projet Ecobonus de l'agglomération lilloise). Le bilan hollandais est "résolument favorable [car] l'opération a permis d'infléchir durablement les habitudes des participants, même après la clôture du dispositif d'incitation", constate le CGEDD.
Difficultés juridiques
Concrètement, la MEL compte identifier le vivier de volontaires en croisant les données recueillies par un dispositif de lecture automatisée de plaque d'immatriculation (Lapi) avec le fichier du système d'immatriculation des véhicules (SIV). Mais la procédure s'appuie sur une collecte et un traitement de données personnelles au sens de la loi de 1978 relative à l'informatique et aux libertés. En conséquence, l'utilisation d'un dispositif de Lapi se limite donc à des cas très précis, notamment en lien avec la recherche d'infractions. Cet usage est contrôlé par le juge administratif, la commission nationale informatique et libertés (Cnil) et le conseil constitutionnel (le droit au respect de la vie privée est un principe à valeur constitutionnelle).
"Les précédentes décisions du conseil constitutionnel, du conseil d'Etat ou les avis de la Cnil portant sur des sujets transposables ont bien toutes rappelé une stricte exigence de proportionnalité entre l'atteinte à la vie privée et la finalité du traitement de données personnelles", rappelle le CGEDD. Et de préciser que les entretiens avec la Cnil et l'analyse de sa jurisprudence "confirment la difficulté, du point de vue juridique, de la mise en œuvre du projet dans les conditions prévues par la MEL". Et de conclure : ce qui a été possible à Rotterdam ne l'est pas en France.
Changer de stratégie de mise en œuvre
Pour y remédier, le rapport privilégie l'abandon de l'usage du dispositif de Lapi pour recruter les volontaires, au profit d'une opération de communication à l'échelle de l'agglomération. Campagne de presse, mailing aux 600.000 propriétaires de véhicules de l'agglomération ou démarchage des employeurs sont envisagés. "Afin d'éviter les candidatures d'opportunité et les risques de fraudes, une période test serait prévue au cours de laquelle les volontaires démontreront sur un ou plusieurs mois, qu'ils sont des usagers habituels des tronçons routiers aux horaires d'encombrement."
Lors de la période de test comme lors de la mise en œuvre effective de l'Ecobonus, l'usage du système de Lapi reste possible. En effet, seules les données relatives aux plaques minéralogiques des volontaires sont temporairement conservées. Mais cette option "comporte toutefois une incertitude au regard des réserves de principes de la Cnil". Le dossier de la MEL devra donc être particulièrement robuste pour convaincre la Cnil. Une autre solution serait d'équiper les voitures des volontaires d'un boitier GPS. Cette solution est privilégiée par le rapport, même si elle n'offre pas toutes les garanties en terme de lutte contre les fraudes.
Reste la possibilité de réviser la législation. Mais le CGEDD ne croit pas que ce soit une bonne idée. Elargir le recours au dispositif de Lapi pour des raisons environnementales ou sanitaires "paraît, en l'état de la jurisprudence du conseil constitutionnel, assez hypothétique". Il faudrait notamment "démontrer que des nouveaux enjeux environnementaux justifient d'élargir le champ de collecte et de traitement de données personnelles sans le consentement des citoyens". Le rapport suggère que les services de l'Etat réfléchissent au sujet, notamment à l'occasion de la transposition du nouveau règlement européen sur la protection des données.