« Pour bien partager la ressource, il est nécessaire de bien compter », a assuré Frédérique Tuffnell, députée de Charente-Maritime du Groupe Écologie Démocratie Solidarité lors de la présentation à la presse du rapport sur la gestion des conflits d'usage en situation de pénurie d'eau.
La mission a exploré comment les situations de blocage dans le partage de l'eau se créaient. Pour cela, elle a notamment auditionné différents acteurs impliqués dans trois conflits d'usage : celui dit des « bassines » des Deux-Sèvres, l'exploitation de la nappe dite de Vittel et enfin la sécheresse et la pénurie d'eau en 2019 dans l'Indre.
Premier constat : la connaissance sur l'état des ressources, notamment prélevables, doit être améliorée. « L'absence de données publiques précises sur le niveau des nappes est un point contribuant à l'exacerbation des tensions, assure-t-elle. Il est en effet nécessaire d'établir un diagnostic partagé sur le niveau des réserves d'eau ».
Étendre le réseau de piézomètres
Aujourd'hui, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dispose d'un réseau de 1 600 piézomètres pour mesurer l'état du niveau des nappes d'eau souterraine. La mission estime que ce réseau public national devrait être étendu à 2 000 points à l'horizon 2024. Et pour cela, son budget doit être sécurisé. « La diminution du budget du réseau de l'ordre de 20 % en 2019 selon le BRGM, soulève la question du maintien du réseau existant de piézomètres, alors qu'il est, au regard des changements climatiques, plus que jamais nécessaire de l'étendre », pointe la mission. Celle-ci estime qu'il faudrait également mieux suivre les prélèvements en eau des acteurs privés. Aujourd'hui, les données reposent sur les déclarations faites aux agences de l'eau pour des prélèvements annuels supérieurs à 10 000 m3. « Il est nécessaire de disposer de données mensuelles et non plus annuelles sur les prélèvements privés afin de permettre un suivi saisonnier de la ressource en eau », considère la mission.
Pour que l'état des lieux sur l'état des réserves d'eau soit réellement partagé, elle préconise également de rendre obligatoire la transmission à la commission locale de l'eau (CLE), si celle-ci le souhaite, des données sur l'état de la ressource et des réserves d'eau détenues par des personnes privées qui relèvent, sur le territoire, d'un schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage).
Mieux définir les seuils des arrêtés sécheresse
Autres indicateurs pointés du doigt : ceux utilisés pour définir les seuils dont le dépassement déclenche des mesures de restriction en période de sécheresse : les arrêtés sécheresse.
Établis par des arrêtés-cadres, ces seuils tiennent compte des types de besoin en eau, des caractéristiques des ressources disponibles et des points de surveillance existants.
La mission souhaite que l'indicateur de référence utilisé, le QMNA, qui indique le débit du cours d'eau permettant d'assurer le maintien de la vie aquatique en fin d'été, évolue. Elle préconise qu'il puisse varier mensuellement pour tenir compte des évolutions de la ressource selon les saisons. Autre recommandation : systématiser le recours aux données de l'observatoire national des étiages (Onde) comme paramètres pour la définition des seuils d'alerte.
Outre la détermination du seuil, la mission a relevé qu'il fallait souvent que les seuils soient franchis plusieurs fois avant de déclencher les mesures de restriction. « Il y a une disparité des mesures de restriction entre territoires, pourtant voisins, regrette Frédérique Tuffnell, rapporteure de la mission. Cela pourrait être intéressant de disposer d'un arrêté-cadre qui soit plus large et qui permette la coordination entre l'amont et l'aval au sein d'un même sous-bassin ».
La mission souhaiterait également associer les magistrats aux décisions prises lors de restrictions d'eau.
« Les engagements volontaires ne suffisent plus », a souligné Loïc Prud'homme, député de Gironde de la France insoumise, président de la mission d'information.
Aujourd'hui le non-respect des mesures de restriction des usages de l'eau est puni d'une amende de 1 500 euros. « Il est ressorti de l'audition de l'Agence française pour la biodiversité (désormais Office français de la biodiversité - OFB) que les contrôles sont difficiles et les sanctions parfois trop peu dissuasives », note la mission. Elle préconise d'augmenter l'amende en cas de récidive à 15 000 euros.
Mieux définir les cours d'eau
« La question de la connaissance du niveau et du débit des cours d'eau ne peut toutefois être détachée de celle de la définition d'un cours d'eau, constate la mission. Or un arrêté du 4 mai 2017 a fait évoluer la définition des points d'eau IGN, entendus comme les cours d'eau et les éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes à l'échelle 1/25 000 de l'Institut géographique national »
La mission souligne ainsi que l'OFB, comme les associations environnementales, ont noté un recul des points d'eau par rapport à la cartographique précédente. « Ce déclassement pourrait accroître les risques de pollution dans les plus petits cours d'eau et, si ceux-ci alimentent des cours d'eau classés, cela conduira à une augmentation de la pollution des cours d'eau plus importants pouvant nuire à leur potabilité », déplore la mission. Elle souhaite revenir à la définition des points d'eau antérieure.
Les PSE, un levier pour recharger les nappes
Parmi les différents outils mis en avant par la mission pour tenter d'éviter les conflits d'usage de l'eau, figurent les solutions fondées sur la nature. Des opérations de renaturation de zones humides, de désimperméabilisation des territoires par exemple, permettent d'améliorer la recharge des nappes et l'alimentation des cours d'eau. Comme levier pour permettre ces opérations, la mission compte sur les agriculteurs, grâce à l'appui des paiements pour services environnementaux (PSE). « Les PSE ne sont pas assez déployés et les agences de l'eau ont besoin de renforcer leur fonds », oppose toutefois Frédérique Tuffnell.
La mission propose donc la création d'un fonds de paiement pour services environnementaux.
Il serait doté d'un budget total d'un milliard d'euros sur la période 2021-2025, financé par l'intégralité du surplus des taxes affectées aux agences de l'eau par le mécanisme dit du « plafond mordant ». Autre proposition d'apport : l'augmentation des redevances perçues par les agences de l'eau à hauteur de 200 millions d'euros par an, ou des financements provenant d'entreprises ou de collectivités.
« La seule voie possible est de construire un compromis ensemble, des solutions partagées, adaptées aux territoires et qui associent tous les citoyens. C'est une condition d'efficacité des gestions de crise. Elle s'impose absolument quand il s'agit d'élaborer une stratégie pour prévenir ou se préparer à de futures crises », a constaté la mission.