Au Japon, depuis la catastrophe de Fukushima, il y a deux mois, 27 des 54 réacteurs japonais sont hors service. Avec l'arrêt annoncé des deux réacteurs de la centrale de Hamaoka, située au sud de Tokyo et alimentant la zone industrielle d'Osaka, ce sont 29 réacteurs qui sont à l'arrêt au Japon, où les manifestations contre l'énergie nucléaire attirent toujours plus de monde. Le porte-parole du gouvernement Yukio Edano a annoncé une révision de la politique nucléaire du pays, sur fond de nationalisation de l'entreprise Tepco en faillite. La société a interrompu le chantier de la centrale de Higashidori et suspendu trois autres tranches. Deux autres compagnies japonaises ont stoppé des chantiers : Electric Power Development Co. et Chubu-Electric, selon un rapport commandé par le World Watch Institute (1) . La fédération nationale des coopératives de pêcheurs a demandé au gouvernement d'annuler tout nouveau projet de centrale nucléaire sur le territoire.
En Chine, Xie Zhenhua, vice-président de la Commission nationale du développement et des réformes, a déclaré que l'évaluation de la sécurité nucléaire et le contrôle des centrales seraient renforcés. Mais si l'accident de Fukushima sollicite une plus grande attention sur la question nucléaire en Chine, le pays n'entend pas remettre en question l'option nucléaire. Tian Jiashu, responsable de la sûreté nucléaire sous la tutelle du ministère de la protection de l'environnement, a souligné que "la sécurité des centrales nucléaires chinoises était garantie et que la Chine n'abandonnerait pas son plan de développement du nucléaire sous l'effet de la crainte de risques minimes". La Chine prévoit 66 centrales nucléaires d'ici 2020 avec une capacité de production de 66 millions de kWh, représentant 6% de la capacité totale de production d'électricité du pays, a révélé M. Tian. Pour le moment, la Chine compte 6 centrales nucléaires, qui produisent 2% de l'électricité du pays et a entrepris la construction de 12 centrales supplémentaires. L'exécutif a annoncé à la mi-mars, lors d'une réunion du Conseil d'Etat présidée par le premier ministre Wen Jiabao, qu'il allait suspendre temporairement l'autorisation de nouveaux projets de centrales nucléaires, y compris celles qui en sont au stade préliminaire. Liu Hua, chef de la sûreté nucléaire et radioactive, a révélé que le gouvernement s'apprêtait à renforcer les normes de construction des centrales. "Nous adopterons dorénavant des normes drastiques afin de prévenir les inondations mais aussi dans le but de renforcer les murs extérieurs des réacteurs", a-t-il précisé.
L'Inde va avoir encore plus de difficultés qu'avant Fukushima à convaincre son opinion publique des bienfaits de l'option nucléaire. Ses 20 réacteurs ne produisent que 2% de l'électricité indienne, et ses chantiers en cours connaissent des retards de livraison. Cinq unités sont en construction, qui suscitent de fortes oppositions locales. Les projets de Jaitapur-Madban (Maharashtra), Haripur (Bengale-Occidental), Gorakhpur (Haryana), Mithivirdi (Gujarat) déclenchent des mouvements de résistance populaire massive. Dans une tribune parue dans la presse en décembre 2010, A. Gopalakrishnan, ancien directeur du Bureau de régulation de l'énergie atomique indienne, identifiait de sérieuses difficultés dans la conception des EPR vendus à l'Inde par l'industrie française. Après Fukushima, cet ingénieur prône un redimensionnement des réacteurs et critique les "déficiences sérieuses" de l'EPR, dont l'Inde a commandé entre deux et six exemplaires à AREVA dans le cadre d'un accord commercial bilatéral en 2009, pour le site de Jaïtapur, dans l'Etat du Maharashtra.
Un horizon d'incertitudes
Aux Etats-Unis, pays le plus nucléarisé du monde avec 104 réacteurs produisant 20,2% de l'électricité du pays (chiffre de 2009), le sénateur Joe Liberman a déclaré sur la chaîne CBS, au lendemain de la catastrophe, qu'il ne s'agissait pas de mettre un terme à la construction de nouvelles centrales nucléaires, "mais je crois que nous devons doucement ralentir jusqu'à absorber ce qui s'est passé à Fukushima". Le vice-ministre de l'énergie Daniel Poneman a annoncé que la sécurité des centrales serait réévaluée. Tandis que le député de Californie, Devin Nunes propose une loi de relance de l'énergie nucléaire comprenant 200 nouvelles centrales aux Etats-Unis d'ici à 2040, Lois Capps, députée démocrate de la côte californienne, demande que soit suspendue la licence d'autorisation accordée par la Commission nationale de régulation nucléaire à la centrale de Diablo Canyon construite sur la faille sismique de San Andreas, et exige une étude indépendante. D'un point de vue économique, la filière nucléaire est pointée comme coûteuse, comparée aux gaz de schiste que les sous-sols américains recèlent en abondance, par le PDG d'Exelon lui-même, n°1 du nucléaire aux Etats-Unis. Au Texas, la compagnie nucléaire NRG a annoncé qu'elle se retirait d'un projet majeur de développement énergétique, le South Texas Project (STP): "L'accident tragique du Japon a soulevé de nombreuses incertitudes autour du développement futur de l'industrie nucléaire aux Etats-Unis, ce qui a pour conséquence de réduire fortement la probabilité que les tranches STP 3 et 4 puissent être construites en temps et en heure", a déclaré le PDG de NRG, David Crane.
En Europe, la chancelière Angela Merkel a imputé la défaite électorale de son parti dans le Bade-Wurtenberg le 28 mars à l'accident de Fukushima. Cette région, qui compte 4 des 17 réacteurs nucléaires allemands, a sanctionné la politique de la CDU, qui avait décidé en octobre 2010 de prolonger la durée de vie des centrales allemandes. Le premier ministre (Verts) du troisième Land allemand a désormais la responsabilité de l'arrêt définitif des 4 réacteurs de ce territoire. En Italie, un moratoire d'une année a été voté le 23 mars, interrompant la stratégie de relance nucléaire poussée par la compagnie ENEL. En Grande-Bretagne, le ministre de l'énergie et du climat, Chris Huhne, a chargé l'autorité de sûreté nationale d'une enquête sur la nécessité éventuelle du renforcement de la sécurité des dix centrales du parc nucléaire britannique, dont une dizaine de réacteurs doivent être démantelés d'ici à 2023, mais EDF Energy, filiale britannique du groupe français, entend investir massivement pour prolonger la durée de vie de deux de ces unités.
Seule la France exclut catégoriquement la sortie du nucléaire (2) , bien que les suites de Fukushima aient conforté les difficultés financières du groupe EDF et inaugurent une période d'incertitudes sur le développement international d'AREVA.